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A la sauvette 2

 

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Non que je me sauve mais des scènes néanmoins saisies à la dérobée qui me paraissent raconter sinon une histoire au moins une époque. La nôtre !

Je regarde ce que font les autres ; comment sont ficelés les livres-photos : souvent muets, chichement légendés en tout cas. J'en suis incapable et le regrette parfois. Je reste bavard impénitent et si je ne me retenais, j'imagine que j'écrirais de longues pages sur chacune de ces photos.

Je rêve d'épure ; m'y emploie …

Sans doute est-ce le cas de n'importe quel rituel : sa préparation se concocte d'ingrédients savamment dosés dont ferveur, impatience et joie. Agitation et organisation viennent de surcroit. Noël n'y échappe évidemment pas.

Ici simplement on se trouve de l'autre côté, sur l'ubac où tout s'obscurcit et ne demeurent plus que les embarras.

A l'arrière quelques subsides dans la vitrine : là aussi il faudra liquider, vite.

Les lendemains déchantent et je ne connais rien de plus triste que ces fins quand même augurent-elles d'un recommencement ultérieur.

Toutes les fêtes ne sont pas gaies : la Pâque chrétienne ne l'est particulièrement pas qui esquisse peut-être une espérance mais consacre de bien ténébreuse tragédie. La Pentecôte à peine pour la Parole qu'elle se promet de répandre. Seul Noël l'est comme le doivent être tous les grands commencements. Sa terminaison n'en est que plus amère.

Las ! on finit toujours par éteindre les lumières. Les Rois mages font un petit tour … et puis rien. Et le sapin que, sur la supplique des enfants, l'on aura conservé le plus tard possible mais qui perd décidément trop ses épines, finira dans la rue comme le reste de nos déchets.

Que nous y prenions désormais garde, soit ! l'heure est au vert et nous y sacrifions ostensiblement ! Qu'importe : même nos joies finissent par souiller.

Il est des mots que personne ne doit voir … Geste universel qui, pourtant, attire l'attention plutôt que ne suscite la discrétion.

J'aime la main pour cela : d'être outil universel qui saisit, transforme, parfois détruit, mais pourfend aussi malheureusement ; qui dessine, écrit et sculpte ; caresse et console ; heureusement.

Qui esquisse ici la ligne de l'intime.

C'est ici presque tricher tant l'exercice est facile. Il est terrifiant surtout.

Qu'on prît encore soin de soi et revêtir fièrement manteau de fourrure, chausses cirées et brillantes à merveille et chapeau plat révélant cheveu blanc mais soigneusement mis ou qu'au contraire on se contentât d'un coupe-vent qu'une poche avant, gonflée à souhait, disgracieuse à gommer tout souvenir de silhouette qu'un chignon hâtivement ficelé achève de rendre revêche, oui, quelque soit la mise qu'on parvienne à adopter encore, vieillir c'est n'avancer plus qu'à pas comptés, accompagnés ou craintifs.

Qu'on ne me dise pas que vieillir se passe dans la tête ! voyons ! c'est affaire de déséquilibre qui achève de faire du moindre pas une aventure, bientôt un péril.

Injustice cruelle de nos stéréotypes, sans doute. Guère plus vaillant que ces dames, celui-ci, penché sur les bonnets, toques, écharpes et couvre-chefs divers, a pourtant un côté vieux sage quand même sa vêture, adaptée au froid, échappe à tout impératif d'élégance.

C'est qu'il est ici parfaitement à sa place. Le cheveu filasse, gris sale qu'achève cette longue barbe blanche qui ne demande qu'à s'effilocher, fait en réalité tellement écho aux laines sans couleur des marchandises de l'étal qu'on pourrait prendre le vieil homme pour une sorte de gnome sorti tout exprès, ou de vieux sage qui doit bien avoir quelque parenté avec l'hiver.

Toute de rouge vêtue, dans une tenue sans âge, elle se tenait Champ de Mars juste devant le manège à chevaux de bois. Il était tôt encore, faisait froid déjà, mais elle chantait, plutôt juste d'ailleurs, sans qu'il y eût encore grand monde pour l'entendre, une de ces rengaines populaires qui se prétendirent réalistes où excellèrent des Fréhel, Berthe Sylva et autres Damia.

Il s'était installé à l'entrée du marché … on ne voyait que lui. Certes ces chaises qu'ils se promettaient de rempailler mais ce ne sont pas elles qui retenaient l'attention mais ces couteaux grands et petits qu'il passait sur sa meule avec une patience qui n'avait d'égale que la régularité des tours qu'il lui donnait.

C'est peut-être ceci que l'on appelle révolution : cet incroyable retournement qui vous fait voir comme une modernité implacable ce qui avait bercé pourtant vos promenades d'enfant. Non les choses ne reviennent jamais au même … enfin pas tout-à-fait. Mais ici, comme dans la vie, il suffit souvent de simplement se retourner pour que l'avenir ne ressemble plus à lui-même.

Il est tellement de gestes où vieillir vous désarçonne, et parfois humilie … La jeunesse a l'insolence des victoires faciles et, après tout, qui le lui reprocherait ? Mais a-t-elle déjà histoire à raconter même aux ficelles un peu trop grosses, même au dénouement téléphoné ; même aux héros trop lisses ?

Il nous arrive de regarder la jeunesse … mais elle nous regarde-t-elle ?

Je ne pouvais taire cette scène tout anodine pourtant.

Elle porte comme une oriflamme, discrète mais généreuse, un geste tout simple que sans doute elle n'échangerait contre aucun autre ni même contre aucune impatience juvénile.

Tendresse.