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D'entre rigueur et légèreté

 

Ecoutez Bach, criez d'aise: qu'il calcule, mesure et construit en rigueur ! Oyez Couperin, vous hochez la tête: que cela sonne charmant et mélancolique! Lisez Kant : tudieu, quel édifice, de la base au faîte ! Hegel, quel implacable mouvement ! Mais Montaigne sourit avec désinvolture, Rousseau pleure de sentiment et Diderot, l'espiègle, fait rire de dérision!
M Serres

Mais, à côté de cette légèreté qui révèle notre impuissance à nous maintenir à correcte distance de l'être et nous ferait piteusement brasser du vent pour nous faire oublier nos manquements et notre incapacité à rien regarder en face, il en est une autre, celle que parfois l'on associe à la convenance et au bon goût, à l'élégance ou à la distinction, celle qui nous fait nous désempêtrer de tous ces artifices, de toutes ces fioritures dont nous espérions qu'elles fissent office de faire-valoir ou au moins de sésame pour nous faire tolérer et reconnaître par ceux qui n'y étaient pas enclins ou qui pourraient nous faire pénétrer en ces cercles où étancher notre soif de notoriété.

Je sais la qualité d'un texte tenir à l'impossibilité d'y rajouter un seul mot ou même une discrète ponctuation sans qu'aussitôt il ne s'alourdisse jusqu'à la vulgarité, de rien lui en retrancher sans qu'aussitôt il ne se dépouille de tout sens et de toute vertu. Yourcenar avait avant la chose, inventé le copier-coller. Ses manuscrits une fois achevés, composés souvent de milliers de feuillets, subissaient une ciselure méticuleuse mais impitoyable avant de parvenir au texte final. Elle raturait moins qu'elle ne biffait. Sans doute cherchait-elle ce point d'équilibre appris de Solon : rien de trop !

Cette légèreté je crois bien qu'il faut l'aller chercher tant dans l'œuvre que chez l'auteur. L'obsession de paraître - et donc aussi d'être publié - secrétera invariablement en lui goujaterie, balourdise de philistin, suffisance. Et, dans l'œuvre, par crainte de n'être assez brillant ou que ceci ne se vît pas assez, l'obsession mécanique du système et la prolifération de pages aussi denses qu'arides.

Oui je crois bien qu'on doit pouvoir faire mieux et ce mieux qui, pour moi, est promesse de grâce, je l'entrevois chez Montaigne mais aussi chez La Fontaine ou chez ce Rousseau qui s'égare dans les chemins de traverse entre philosophie, littérature et musique.

Est-il besoin de longs discours, de dialectique soignée, ou de taxinomie acrimonieuse, est-ce bien utile de controverser d'entre inné et acquis pour deviner ce qui d'entre ces deux volatiles, pas rieurs du tout, se joue, l'un convoitant la place de l'autre voire l'autre tout-court, en un élan certes encore hivernal mais propice déjà aux promesses printanières quand l'autre se pique, par intérêt, instinct ou seulement réflexe de s'en défendre ?

Une petite fable troussée avec grâce eût fait l'affaire et en cherchant bien en farfouillant dans les trésors du fabuliste il serait étonnant qu'on n'en trouvât pas une qui fît l'affaire.

Gustave Doré illustra à merveille les vers du fabuliste. Nul doute qu'aujourd'hui il le ferait de quelques photographies.

J'aime que les livres pour enfants soient toujours illustrés … point n'est besoin de sentencieuses leçons de morale pour se faire entendre.

Je rêve d'un ouvrage de philosophie d'une centaine de pages composé d'une petite cinquantaine d'entrées - des histoires pas d'arides démonstrations - toutes illustrées de photos …

Et si je m'y mettais ?

Il est des livres qu'on ne relira jamais - ce que Mauriac confiait ; il en est d'autres, plus rares mais infiniment précieux qui vous accompagnent tout au long de votre parcours, qu'on appelait autrefois livre de chevet. Ceux-ci vous emportent ; ne sauraient vous empeser.

Pour qui me connaît, ce goût, pas si soudain mais de plus en plus insistant pour la légèreté peut paraître paradoxal voire franchement comique. Effet de l'âge peut-être ou du besoin, en me retirant, de me dépouiller de tout ce qui n'importait finalement pas tant que cela ; n'a jamais importé mais dont il me fallut un moment me faire parure … Rouvrir sa valise … et laisser ce dont de toute manière on n'aura plus jamais usage.

Que reste-t-il à dire qui ne le fût déjà ? Je ne sais ! Que reste-il à écrire qui le pourrait de manière plus aérienne ? Tout sans doute.