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Légèreté

Il s'en faut parfois de bien peu pour que ce qui frémissait à peine en ses intimités calfeutrées subitement se dévoile, sans nécessairement s'exhiber ; se hasarde dans le bruissement gourd de nos affairements.

C'était dimanche et dans ces étranges alternances, le bleu avait triomphé de la grisaille de la veille.

Et voici que sur les berges, sur la rive droite pour une fois, là-bas une jeune fille invariablement arcboutée sur son téléphone mais qui de loin paraissait méditer. Elle avait fait les choses bien et sans doute s'était-elle préparée à cette fin : assise sur son pull pour un peu plus de confort ; presque en position de tailleur elle ne se laissait distraire ni par le brouhaha sourd des touristes sur la péniche achevant ici son périple ni par la mouette qui s'agitait devant elle comme pour mieux attirer - mais en vain - son attention. Prenait-elle simplement l'air ; attendait-elle quelqu'un ; cherchait-elle à bronzer mais - quoi ? - même ensoleillés, les ciels parisiens de Janvier ne sont quand même pas propices à cet exercice ? Ou comme le suggère cette curieuse expression n'était-elle là que pour prendre l'air ?

Je ne saurais trop mieux pointer la légèreté de l'être, de nos tensions, de nos passions velléitaires, de nos volontés anémiées, ou de nos errances têtues. Marcher, se promener, je l'ai suggéré déjà, c'est n'aller nulle part. Descartes en son temps proposait de marcher droit pour parvenir à sortir enfin de la forêt ; soit ! Mais le souhaitons-nous véritablement ? N'aurions-nous pas angoisse à seulement envisager l'orée qui se situerait là-bas, à l'extérieur ? au point de préférer sottement tourner en rond ou simplement nous asseoir et attendre comme si d'avance l'aventure nous éreintait ou que l'effort nous fît frémir ?

Nos tensions sans doute nous contentons-nous de seulement les mimer.

Un peu plus loin, mais à peine, m'apprêtant à passer sous le pont, une agitation apparente, due simplement au rétrécissement que la voûte impose à l'horizon, alors que de l'autre côté, une théorie de vieillards repus d'avance, s'entassent à l'entrée d'un restaurant sur péniche réputé, ici venant vers moi ces hommes qui courent, soucieux, j'imagine, de leur santé, de leur forme (de leurs formes ? ) et, à peine plus loin cette femme, posant telle une star, pour un compagnon enorgueilli de croquer ainsi une beauté qu'il aimerait fatale et toute de papier glacée.

La légèreté réside en ceci : ni la jeune fille obnubilée du message écrit ou attendu, ni les coureurs exsudant d'efforts, ni la femme pastichant la grâce n'ont cure de l'espace, du monde ; de ce qui les entoure. Mais d'eux exclusivement.

Nous avons vraiment perdu le monde.