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Bricole

J'aime le mot si je déteste là chose. Qui bricole passe d'une activité à une autre sans vraiment s'attacher plus à l'une qu'à l'autre ou passe le temps - je veux dire trompe son ennui. Même si le mot semble désigner d'abord une sorte de catapulte, il suggère zig-zag, ruse, tromperie. Qui bricole n'est peut-être jamais tout entier à ce qu'il fait : à l'insu de tous et peut-être même de lui-même, il trompe ou se trompe lui-même.

Bricoler n'est pas vivre mais tromper son ennui. Qui n'a son subterfuge, son - si bien nommé - passe-temps, son violon d'Ingres, son hobby, sa passion ? Pascal, qui se laissait rarement duper, non plus par les hommes que par les choses, nommait ceci divertissement. Toujours nous finissons par fuir, par nous détourner … de nous-mêmes d'abord.

Le voici, lui, traversant le pont de Bir-Hakeim, tout emprunté de son cabas et de ces deux planches qu'il ne parvient que malaisément à maintenir contre lui sans qu'obstinément elles ne penchent et ne le déséquilibrent. Zigzagant entre les photographes impénitents croquant mannequin en talons hauts ou jeunes mariés en quête de clichés plus que de souvenirs, il trébuche entre tous ceux qui, en cet après-midi grisâtre de début de week-end, se précipitent à regagner ce foyer réchauffé où ils conjugueront vacuité et paresse, et, presque à contre-sens de tout, proclame, urbi et orbi, dans le silence de sa maladresse, la tâche qui bientôt le dévorera.

Particulièrement maladroit, je n'aime ni ne sais bricoler - l'un par ce que l'autre sans toutefois que je sache quoi entraîna l'autre. Je n'ai pas de mépris, mais pas non plus d'admiration pour le bricoleur même si parfois, je l'avoue, je profite de son habileté bieenveillante. Je n'ai jamais tenté de m'y exercer autrement qu'à contre-cœur et en abdiqua toujours à la première cheville récalcitrante. La chose n'a rien de méprisable, elle est même tendance - il faut bien consommer intelligent, responsable et autre slogan que prisent désormais les urbains embourgeoisés mais écartelés entre crises diverses et apeurements incontrôlés - mais elle confirme ce que Pascal y avait soupçonné. Nous ne tenons pas en place mais surtout ne tenons à rien durablement dont nous nous détournons aisément. Platon avait tort : le soleil ne nous éblouit ni ne nous aveugle. Il nous lasse tout simplement. Tellement vite. Nous ne sommes décidément pas bâtis pour l'absolu non plus que pour la vacuité alors entre plénitude et néant nous baguenaudons au point d'à la fin tenter même de tromper l'ennui de vivre.

Ni le soleil, ni la mort certes. Ni plus l'être que nous-mêmes. Nous ne supportons pas le néant ou l'absurde mais ne parvenons à nous hisser à la hauteur ni de l'être ni du sens.

Et si je prenais un livre plutôt !