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Polémiques

Héraclite s'en fût assurément amusé lui qui affirmait que polemos était père de toute chose … il n'empêche qu'avec les réseaux sociaux o, aura atteint sans nul conteste l'apogée de l'insignifiance.

L'empaquetage de l'Arc de Triomphe éveille les ardeurs des ratiocineurs de toute obédience … à se demander si ces énergumènes de l'ennui, ces olibrius de la suspicion n'avaient à ce point rien d'autre pour occuper leur vacuité qu'à déverser leur morgue atrabilaire sur tout ce qui viendrait à se prêter à leurs rapaces griffes.

Outre les piteux mais sans appel j'aime pas, les traditionnelles remontrances sur le coût de l'opération, et les étonnantes réflexions, sagaces, pas nécessairement idiotes mais tellement outrancières en la circonstance, sur l'usage pas du tout démocratique de l'espace public regrettant qu'on n'eût pas consulté la population sur la pertinence de cet emballage ; le fin du fin - pour ne pas écrire le pompon sera atteint par Marianne qui y décèle l'absurdité si caractéristique surtout du sens caché - mais bien entendu pervers - du néolibéralisme.

Je ne suis pas certain que tout ceci traduise bien autre chose qu'une méconnaissance absolue de ce que peut être une œuvre d'art même ratée ou l'intention esthétique surtout. On peut proposer de l'Arc de Triomphe toutes les interprétations que l'on voudra et il n'est pas faux qu'au fil des années il est devenu sans doute bien autre chose que son intention initiale : il n'y a qu'à regarder de près les statuaires qui l’ornent pour réaliser combien le petit caporal, assoiffé de démesure et ivre d'orgueil n'eut pas seulement de cesse de conquérir, d'instituer, de réformer et de régner mais aussi d'essaimer dans tout Paris, des monuments aux ponts, les traces de sa grandeur - ces N auréolés de couronnes de lauriers ou ces effigies romaines qui ne l'imaginent pas autrement qu'en César devant qui tout le monde s'agenouille invariablement.

Avant d'être le symbole de la construction de la Nation comme veut le croire l'auteur de cet article, avant d'y voir une représentation du collectif dépassant nécessairement l'individuel, l'Arc aura été édifice egolâtre, le symptôme presque vulgaire de la mégalomanie quand le moi se pique de se confondre avec l’État, La Nation.

Après tout, que l'on cache, ne serait ce que pour une quinzaine, les prurits de cette ὕϐρις où les grecs eurent parfois la sagesse de soupçonner l'origine de tous leurs maux, ne serait déjà pas si mal et une manière en tout cas de revisiter un passé qui pour être glorieux n'est pas pour autant exempt de taches comme il est de règle pour toute histoire humaine.

Laissons cela : la polémique n'émoustille que les imbéciles. Monument comme l'indique le latin moneo signifie à la fois faire songer à quelqu'un ou quelque chose mais aussi mettre en garde, éclairer, instruire. Le monument regarde à la fois le passé et l'avenir.

C'est pour cette raison que j'aime assez l'idée de cet empaquetage même s'il ne faut pas en exagérer la portée ni nécessairement en sublimer la vertu esthétique. Les cadeaux que nous offrons à nos enfants et proches à la Noël, nous les emballons bien, non ?

Ce papier à quoi sert-il ? A cacher ou à révéler ? A retarder le moment de la surprise enfin dévoilée ou bien à rappeler que le don pèse mieux que ce qui est donné ? L'enfant, avec frénésie déchire tous ses paquets … il veut tout voir, tout embrasser d'un seul geste mais il sait, le sent en tout cas, qu'il lui faudra des journées entières pour faire le tour de ses nouvelles acquisitions.

Non décidément l'emballage n'est pas anodine ornementation à jeter et oublier aussitôt : il est au contraire embellissement et infatigable promesse de l'imagination.

Pour qui ne l'aurait pas compris encore voici la raison pour laquelle tant en grec qu'en latin, tant cosmos que mundus désignent certes le monde, l'ordre mais aussi l'ornement des femmes, leurs parures et bijoux. Parce qu'il n'est de monde que par cette parure ; qu'elles ne se cachent pas en se maquillant mais se révèlent ou se laissent deviner.

Non décidément ce journaliste se trompe. L'événement n'en est pas un et ne mérite en tout cas ni excès d'honneurs ni de tels assauts d'indignité. Cet emballage en réalité dit plus sur nous que sur le monument lui-même et pas grand chose sur Christo, en tout cas.

Mais cet emballement dit beaucoup en tout cas sur le désœuvrement des pisse-copies.

 


Marianne

 Emballage de l'Arc de triomphe : art du non-sens et triomphe des charlatans Par Mikaël Faujour

C'est à ses dépens qu'un pan de l'art contemporain révèle son sens profond. Imaginé en 1961 par Christo (1935-2020) et Jeanne-Claude (1935-2009), accompli ces derniers jours par un bataillon d'exécutants, l'empaquetage de l'Arc de triomphe est l'énième manifestation d'un art... néolibéral.

Avec les « installations » de Christo et Jeanne-Claude, tout finit immanquablement par être affaire de chiffres, leur démesure se résumant toujours, faute de fond et de symbolisation, à une prouesse technique. Rideau de 13 000 m² dans une vallée du Colorado, barrière de tissu de 200 000 m² et 39,5 km de long au nord de San Francisco, 60 hectares de polymère rose pour encercler onze îlots au large de Miami... Le dernier « emballage » imaginé par le couple franco-bulgare (naturalisé étatsunien), celui de l'Arc de triomphe (après ceux du Pont-Neuf en 1985 et du Reichstag en 1995) ne fait pas exception – et les médias égrènent le chapelet de chiffres qui dépassent l'entendement : 25 000 m² de tissu retenus par 3 000 mètres de corde ; « des semaines de préparatifs, une équipe de 95 cordistes » ; un coût global de 14 millions d'euros (sur fonds exclusivement privés)...

Qu'y a-t-il de plus à signaler que la débauche de moyens (financiers, bureaucratiques, juridiques, logistiques...) et l'effet spectaculaire qu'elle produit logiquement ? Car, au fond... il n'y a pas de fond, rien d'autre à en dire. Le spectacle, la prouesse technique ne renvoient à rien d'autre qu'eux-mêmes, ne produisent ni valeur symbolique, ni surcroît d'intelligence du réel. Le protocole de l'emballage a tout du logo (ce que soulignait Jean-Philippe Domecq au sujet des rayures de Daniel Buren) et le duo d'artistes est une « marque » : il ne renvoie qu'à Christo et JeanneClaude.

Monument commandé par Napoléon en hommage aux guerres révolutionnaires puis, depuis 1921 et l'inhumation du Soldat inconnu, lieu de recueillement (assorti depuis 1923 de la « flamme du souvenir ») commémorant les hommes morts au combat lors de la Première Guerre mondiale, l'Arc de triomphe symbolise la construction politique et historique qu'est la nation française. Le recouvrement d'un symbole de la communauté politique, du commun dépassant le particulier individuel, par un « geste artistique » ne renvoyant qu'aux artistes eux-mêmes et à leur « rêve » dit quelque chose de notre temps. À plus forte raison quand, voilà deux ans, l’État détruit l'Arc de triomphe en bois de palettes des gilets jaunes... quelques jours avant l'inauguration du « Bouquet de tulipes » de Jeff Koons.

Qu'un lieu cristallisant une histoire collective soit employé au profit d'une « signature » individuelle illustre l'exceptionnalité que les pouvoirs publics sont disposés à accorder à l'artiste. Dans un temps de pseudoindividualisme, il est l'incarnation semi-mythique de l'individu « plus individu », individu au carré jouissant du droit exorbitant de supériorité sur la collectivité – jusqu'à l'effacer sous sa « marque ».

Débauche de moyens humains et techniques, aval de la Ville de Paris propriétaire du monument, financement par la vente chez Sotheby's (maison d'enchères dont Patrick Drahi, proche d'Emmanuel Macron, est actionnaire majoritaire) d'œuvres des artistes avec leur holding sise dans le paradis fiscal de l'État du Delaware, le tout sous les hourras de la gauche culturelle – volontiers encline à dénoncer les « privilèges » blanc ou hétéro, mais aveugle à ceux, matériels, financiers, sociaux, de vedettes exploitant au nom de l'art les mêmes ressorts que n'importe quel patron – : à ses dépens, l'emballage de l'Arc de triomphe symbolise parfaitement le moment néolibéral, antipopulaire et antirépublicain que les « élites » néolibérales font subir à la France et à son peuple.