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Marcher …

 

Je n'y aurais sans doute jamais songé … ou pas ainsi. Il m'arrive, en écrivant ou en montrant par mes photos, de partager ici ce que je vois moi qui, depuis plus d'un an maintenant, ai pris la résolution, joliment contrainte, de marcher ? me promener ? me balader ? Quel mot saurait ici au mieux convenir. Je n'y aurais pas pensé n'était ce libre qu'on vint de m'offrir et que j'avoue ne pas connaître non plus que son auteur. L'idée me plaît et les quelques pages que j'ai parcourues encore plus : j'aime cette manière d'écrire, par courts textes : presque par aphorismes.

Qui me suggère plusieurs réflexions :

est-ce de la philosophie ? Oui, je le crois au sens où je l'entends. Et même deux fois ! Parce qu'elle s'énonce en termes clairs et simples et non dans ce propos hermétique que les philosophes affectionnent tant mais que, surtout, parce qu'il s'agit ici de cette tension si forte et si caractéristique de la philosophie de s'interroger ainsi sur tout et spécialement sur ce qui d'ordinaire se présente à nous sous l'aune de l'évidence. Tu intellectualises tout, me faisait rearquer un jour un ami … ce n'est pas faux en réalité, plus simplement, j'essaie de penser tout ce qui se présente à ma portée. J'aime assez que tout doive un jour être interrogé même - et surtout - ce qui paraît ne pas même le mériter. C'est ici toute la grandeur mais aussi la vanité de la philosophie de le tenter fût-ce sous les lazzis du sens commun et avec le fol espoir d'y dénicher quelque chose.

Qu'est-ce ceci - moins la promenade d'ailleurs que l'acte de se promener ? Marcher n'est pas un sport ni un loisir non plus qu'un divertissement puisqua acte vous ramènant à vous-même au moins autant qu'au monde. Un art ? peut-être ! de vivre ou de mourir ! de réinventer sa place dans le monde ? Peut-être. En mes pérégrinations, je les aurais tous bien observés ; m'en serai moqué parfois ; et ce n'est rien de dire qu'ils m'auront intrigué souvent dans leurs manies, leurs comportements stéréotypés … Je les ai regardés sautiller, courir, boxer, s'essoufler bref s'entretenir ; s'asseoir le long de l'eau non pour rêvasser, encore moins pour déjeuner, à peine pour parler mais se perdre seulement dans la contemplation addictive de leurs smartphones.

Mais au fond, je m'en aperçois à l'instant, jamais je ne me suis pensé marchant ou me promenant ni n'ai évoqué ce que je percevais, éprouvais, détestais ou adorais …

Recommençons donc !

Il n'est pas un geste de nos vies modernes, pas une entreprise que nous mènerions ou de projet que nous aurions concocté qui ne vise ou doive viser un objectif, clair, assignable, justifié ou justifiable au moins ; dont nous pourrions justifier les étapes parce que nous les aurions minutieusement préparées. Ceci se nomme sérieux, maturité, organisation ou dans le jargon moderne performance, professionnalisme etc.  

 Tout, oui, sauf nos existences elles-mêmes, qui ne se justifient que par elles-mêmes, poursuivent notre exclusive espoir ambition de nous perpétuer le plus possible - par habitude, peur ou tension irrésistible. Tout y semble comme aspiré par le décret impitoyable de la fin, par ce but, ce projet dont on nous rebat les oreilles à longueur de litanie managériale alors que rien ne l'étaye, justifie ni n’excuse. Nous nous déplaçons pour aller quelque part, ou, parfois même, fuir notre point de départ. Bien sûr ! Quand nous voyageons, surtout pour des vacances, nous tentons seulement de rompre le quotidien, simulons la rupture alors que, le plus souvent, nous ne faisons que transporter ailleurs nos ici, habitudes, préjugés, hantises et désirs. Et, de toute manière, nous ne partons que pour revenir. Est-il si certain que nous aimions tant que cela les départs irréversibles qui sonnent toujours pour nous plutôt comme des exils, des échecs que des escapades ?  Et dans l’immigré, qui pourtant eut le courage ou le désespoir de tout quitter avec l’espoir sinon d’un mieux en tout cas d’un moins pire, nous repérons plus spontanément mais avec une cupide vulgarité, celui qui gêne, empiète que le désespéré, la victime ou le persécuté. 

Troublante, au reste, cette obsession de l’excursion pour une culture qui n’a que racine à la bouche et ne paraît vouloir avancer qu’à rebours, le regard jeté en arrière peu soucieux finalement de l’ailleurs, de l’autre ou de l’insolite, en dépit des leçons assénées ici et là et de ses objurgations piteuses. Obsédée de soi et de la répétition de soi.  

Nietzsche l’évoqua comme le poids le plus lourd … sans doute trop lourd pour que nous ne tentions de l’esquiver à la dérobée. Mais, décidément, nos lignes droites irrésistiblement s’incurvent et ressemblent bientôt à s’y méprendre à ces volutes si répétitives qu’on les croirait spirales infernales nous enfermant en des anfractuosités de plus en plus étroites ; rien ne ressemble plus à l’inertie que nos simulacres d’agitations. Nous nous leurrons avec pathétique besogne. Mais sous l’agitation baroque cette impuissance lancinante qui paralyse et nous fait tellement peur.  

Quoi du mouvement ou du repos est le leurre de l’autre ?  A regarder notre histoire, force est de constater que nous eûmes prise sur tellement peu : nos âmes ne sont pas meilleures qu’autrefois et même se sont amollies sous l’égide de morales paresseuses et complaisantes et si nos savoirs et savoir-faire ont effectivement progressé- seule réalité incontestable – ils ne nous aurons rendu ni plus sages ni plus prudents. Tout au plus parvînmes nous à dévaster le monde avec gourmandise de plus en plus frénétique. Et efficacité de plus en plus désespérante.  

Mais ne savons pourquoi nous vivons et aurions du reste peur de la réponse. Nous poussons notre petit caillou, imperturbablement comme si notre avenir en dépendait, ou que l'univers l'espérât. Sentons-nous qu'en réalité nous ne trouvons apaisement que dans la lente répétition des mêmes gestes ? Chaque matin, même trajet pour se rendre au travail où l'on exécutera les mêmes gestes, mêmes tâches et proférerons des propos semblables. Nous y prenons plaisir nous représentant, ces intimes répétitions pour de sociales, techniques ou théoriques progressions ne réalisant pas même que nous tournions en rond.  

De  ces incessants manèges nous  érigeons des rites et nous entichons d'y contrefaire la profondeur.  

Il faut s’imaginer Sisyphe heureux écrivait Camus. Comme l’imbécile ?

Les chemins, croient-on, mènent toujours quelque part … à Rome dit-on. Pourtant nos routes ressemblent de bien trop près à ce que Heidegger nommait Holzwege - chemins forestiers, chemin qui ne mènent nulle part Nos tension intimes, nos rêves comme nos angoisses se maquillent toujours sous le masque du chemin, du retournement – de la conversion – de l’ascension. Au même titre que ces rares rescapés de l’illusion  parvenant à s’extirper de la caverne et montant au plus haut, au plus près de cet extérieur, de ce soleil, de cette Idée de ce Dieu qu’importe  qui les aveuglera sans doute, ou que ces prêtres qui nous invitent tantôt à baisser les yeux confus d’humilité puis à les lever au ciel pour monter au plus près de la lumière, oui nous n’arrivons pas à effacer l’image de Moïse montant seul aux sommets du mont Horeb pour rencontrer Dieu et en redescendra visage rayonnant et chevelure blanchie parce qu’il aurait eu rencontré la Lumière.  

Pourtant nous n'allons nulle part et sommes plutôt, quoique nous en disions, rétifs à ce qui ne nous ressemble pas. Est-ce pour cela que nous amusons nos enfants à les emmener au manège ? pour cela que la discipline reine des affairistes du moment - le management - est, bien plus encore que la forme bourgeoise de l'encerclement et de la manipulation, celle de l'emprise et de l'aliénation ?

Quand je me promène je ne vise aucune destination, à peine une direction, et je prends pour une cohérence de revenir à mon point de départ, toujours, quitte à ce que le cercle décrit par mes pas se fasse de plus en plus large. Bien sûr j'y tente le soin de mon corps, ou plutôt d'en ralentir la course entropique mais ne s'agirait-il que de cela, je pratiquerais activité plus agressive, plus rapide, sollicitant jusqu'à épuisement. 

Je ne fais que tromper le cercle.