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Réveillez-vous, ils deviennent fous !

C'était la fin de L'Aveu de Costa-Gavras sur cette étrange musique, désespérée et angoissante avec sa régularité de métronome, comme si les printemps devaient invariablement s'achever par la balourdise des chars ou que l'histoire ne pût qu'être provisoirement heureuse. L'homme qui avait réchappé aux procès staliniens et voulu témoigner avait ironiquement pu se réjouir puis s'attrister d'une aurore vite éteinte. Prague 1968 étouffera les ultimes espérances. Plus jamais, même avec nuances, le communisme ne sera horizon désirable.

Il fallait le faire ! Deux ans à peine après l'événement, tout juste un an après Z qui dénonçait la dictature des colonels grecs, avec ces deux grands acteurs qui étaient le symbole même de l'engagement à gauche (Signoret et Montand) Costa-Gavras dénonçait non seulement Staline mais le totalitarisme soviétique !

Ces jeunes praguois, à la fin, écrivent sur les murs Lénine, réveille-toi ! ils sont devenus fous ! L'idéal demeurait vivace pour A. London comme pour eux, même s'il fallait le purifier de ses infâmes scories totalitaires. Comme s'il suffisait de relire le Capital ou de faire appel aux apôtres des premiers jours pour retrouver quelque chose de la pureté initiale, de la sincérité des intentions. Au delà de l'engagement, il y avait quelque chose de dogmatique chez certains, sans doute, mais de mystique aussi, qui empêcha beaucoup d'écarquiller leurs yeux. Autant après Budapest en 56 que Prague en 68.

Un monde nous en sépare désormais ! Un siècle.

Il y avait une patrie pour l'espoir ; une Bible pour une société meilleure. Tout est définitivement parti en fumée en la fin d'été de cette année étrange !

N'avoir même plus de mot ou de nom pour invoquer l'espérance est perte irréparable. N'avoir pas su en presque un demi-siècle lui trouver d'alternative, explique à la fois la capilotade où s'est égarée la gauche et l'incroyable embrouillamini idéologique actuel. Nous savons parfois ce que nous ne voulons plus ; mais pas ce que nous espérons ; seulement les périls qui nous menacent.

J'y reviendrai sans doute : l'histoire pourrait s'écrire scandée de ses occasions ratées, de ses rencontres qui ne se firent pas ; de ses alliances qui échouèrent contre toute attente quand elles eussent pu embraser l'horizon ; de quelques mains tendues qui ne se tinrent pas ; plus ou pas assez solidement. Mais de ces appareillages mensongers, trompeurs et monstrueux aussi : national-socialisme en fut ; islamo-gauchisme aussi ! On gagne peu de boucaner des concepts aussi flous … qui poussent à haïr ; pas à penser. L'oxymore sied mal au politique.

C'est pourtant à cette phrase que je songeai en entendant Vidal vouloir mener enquête sur l'islamo-gauchisme et les dégâts que la chose est supposée provoquer dans l'université française et dans la société en général : que peut bien cacher cette curieuse offensive, lancée avec quelques ratés par Blanquer qui manifeste autant de finesse idéologique que les Panzerdivisions de l'Afrikakorps. Quoi, en pleine pandémie, en plein débat sur le retour des étudiants en cours, alors même que pendant un an on aura peu, si peu, entendu cette ministre de la Recherche qu'on aura beaucoup cherchée, la voici qui, vexée sans doute qu'on la prît pour l'ectoplasme égaré de la macronie, se met soudainement à saturer l'espace médiatique avec un talent consommé pour le contretemps. Elle le rappelle dans cette réponse à la Chambre : elle intervint la semaine dernière pour soutenir les victimes des violences sexuelles … Vidal existe, je l'ai rencontrée ! rencontre mystique ?

Quel sens tout ceci peut-il bien avoir ?

Psychanalytique en tout cas : je ne puis m'empêcher de me demander ce qu'un tel combat mené contre un tel objet, si confus, si trouble, si évanescent - l'islamo-gauchisme - peut bien signifier, cacher.

Commençons par ce superbe hommage à Freud : ah que oui, le lapsus relève bien de la psychopathologie de la vie quotidienne. Sans doute celui-ci révèle-t-il d'un inconscient qui craquelle de toute part.

Je crois que la radicalisation des opinions et des propos est ce qui met le plus en danger la capacité à éviter les débats contradictoires

Que la radicalisation - nom moderne chic et genre pour fanatisme, en tout cas dogmatisme - ne favorise pas le dialogue on le comprend bien.

Mais madame la ministre parle d'éviter le débat contradictoire.

Que je sache, il n'est de recherche scientifique que libre- et ceci concerne tout autant les sciences humaines que les sciences dures. Libre de toute pression. Libre de tout préjugé. Libre de toute imagination, celle-ci dût-elle sembler absurde ou saugrenue au premier regard. La relativité d'Einstein ne fut-elle pas surprenante d'abord ? La seule contrainte de toute recherche, autant épistémologique que morale, étant de vérifier et prouver.

Que je sache, il n'est de recherche scientifique que contradictoire : publicité des recherches - donc publication - échange des données ; dialogue entre les chercheurs font partie du b-a-ba des sciences ; de son histoire, dès le début. Des lettres échangées par des gens comme Descartes, Leibniz, Pascal qui forment parfois la face cachée mais si essentielle de leurs écrits, des revues et almanachs d'autrefois aux textes en ligne aujourd'hui, oui, discussions, critiques, rencontres, colloques, diatribes parfois même, sont l'ADN de la pensée, de la recherche, des sciences.

De l'honnêteté intellectuelle plus simplement.

Il m'arrive, à regarder non sans émotion, cette photo du congrès Solvay de 1927, à observer cette concentration de sagacité, d'audace intellectuelle , d'innovation, il m'arrive, oui, de me dire que les choses ont quand même un peu avancé à considérer ainsi Marie Curie seule femme au milieu de tant de sommités ; à constater en tout cas l'importance cruciale de ces lieux où l'on parle, discute des théories et hypothèses diverses - et c'est bien après tout le sens premier de colloquium. Que celui-ci porte le nom d'un industriel et chimiste (Solvay) ne fait qu'illustrer, de surcroît, l'étroite relation, entre théorie et pratique, hypothèse et expérimentation ; entre savoir et technique.

Alors quoi ?

Je me garderai bien d'une interprétation psychologiste de ce lapsus … mais bigre que la tentation est grande ! Pour une ministre chez qui la capacité de dialogue n'est pas le caractère le plus évident, et la discrétion comme une vocation qui agace jusqu'à ses plus grands soutiens, on serait presque tenté de croire que faire ainsi cesser le débat est comme une seconde nature, un retour à peine cynique d'un refoulé plutôt violent.

La voici intervenant à tout propos et hors de propos. Le bilan de la dame n'est pourtant pas inexistant ; mais bien peu flatteur. De Parcoursup à la LPPR, et dans un mépris sidéral pour les organisations syndicales - étudiantes comme enseignantes, Vidal, comme à la manœuvre, fonce, n'écoute rien, parle peu. Elle a la finesse d'un autobus ; la patience d'un bulldozer ; le sens politique d'une limace. Les mauvaises langues disent qu'elle arriva au gouvernement par hasard, à la surprise de tous ; même de la sienne ; qu'elle y demeura avec Casteix non par enthousiasme mais par manque de candidat à ce ministère.

Piquée au vif par la série de remontrances sur son invisibilité, elle réagit avec la subtilité d'un rhinocéros ayant enfin senti la pointe du dard transpercer le cuir épais de son obstination : avec outrance et inconséquence.

Voici bien, en premier, ce que cache cette saillie.

Mais encore ?

A la recherche de la victime émissaire …

Ce fut la grande leçon de R Girard, est-il besoin de la rappeler ? Quand un système est en crise, c'est-à-dire ne n’oublions pas, quand la ressemblance est telle des désirs, ou des craintes que chacun devient l'ennemi de chacun et que la crise manque à chaque instant de dégénérer en guerre de tous contre chacun, il peut sembler habile, même si l'exutoire ne fonctionne que provisoirement et ne règle rien, de détourner l'attention vers quelque objet ou individu qu'on présumera responsable de tout et dont l'holocauste rassemblera tout le monde, au pied de l'autel, dans une puissante détestation commune. L'histoire a montré que la désignation de ce bouc émissaire ne tenait à aucune logique, réalité ou preuve mais procédait sinon du hasard en tout cas de la facilité. Barabbas, cria la foule. Il s'en trouve toujours, prêts à servir.

Le subterfuge est archi-connu ; abrupt et plutôt sot ; qu'importe il fonctionne encore quand même la ficelle fût grosse ; et même, à mesure que la ficelle est grossière.

Faites un infâme ragoût de vos craintes ordinaires, jetez-les en pâture à la vindicte publique, qu'importe qu'elles n'aient rien à voir les unes avec les autres, la place publique s'agitera bientôt et poussera le cri de haine, de peur ou de soumission tant désiré. Que la victime propitiatoire soit faible, laide, ou marquée de quelque signe distinctif, l'affaire sera vite emballée.

Oui, La Fontaine a raison : entre le Barabbas biblique et le Haro sur le baudet point de différences. La foule ne se forme jamais impunément. Fait payer, toujours, sa survie de quelque victime

A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Les animaux malades de la peste

L'émissaire forme pourtant ici un bien curieux attelage : islamo-gauchisme. Qui ressemble à s'y méprendre au mariage de la carpe et du lapin !

De quoi parle-t-on exactement ? Car enfin si gauchisme avait autrefois un sens en désignant ces groupuscules et courants extra-parlementaires que constituèrent après 68 des trotskistes de toute obédience et des maoïstes enfiévrés de livre rouge, en plus de quelques anars égarés au milieu de ce maelström épais, qui désigne-t-on aujourd'hui sous ce vocable à peu près aussi indigeste - et peu scientifique - que populisme. Je n'évoque pas même cet islamo qui pris en premier élément du vocable permet de ne pas trop préciser qui de l'Islam, ou de l'islamisme radical on vise.

Le terme fut, semble-t-il, utilisé pour la première fois dans l'ouvrage de l'historien des idées Pierre-André Taguieff La Nouvelle Judéophobie et désignait en réalité la rencontre de militants d'extrême gauche et des courants islamiques dans le cadre de la lutte pro-palestinienne. La chose est finalement ancienne : la gauche, et surtout l'extrême-gauche, ont pris très tôt le parti du peuple palestinien ; surtout après 1967 et la guerre des 6 jours mettant ainsi en un cruel porte-à-faux ceux, juifs ou non, qui nourrissaient pour Israël un attachement réel mais trop vivement éprouvé à mesure que l'impérialisme s'accentuait et que s'estompaient les souvenirs émus des débuts - fortement teintés d'un travaillisme de pionniers. Il faut néanmoins reconnaître qu'en ces temps-là l'Islam se cherchait plutôt au travers d'un nationalisme fier et bravache (Nasser) pas du tout, pas encore, par le biais d'un intégrisme religieux, ombrageux, violent, dogmatique et aisément fanatique.

Je ne connais pas en soi d'apparentement plus terrible que celui-ci. Je ne sache pas que l'on vît jamais, à gauche, d'autre solution que celle d'un Etat laïc qui cantonnerait la religion dans la sphère privée. Rien n'est plus étranger à l'idée de liberté telle que la conçoivent, sans exception, tous les courants de gauche, que celle d'une religion impérieuse et impériale, qui ne supporterait ni critique, ni dialogue ; ni évidemment limite.

Alors quoi ? de quelle étrange bestiole parle-t-on ? D'études, à écouter Vidal, autour du post-colonial, du communautarisme qui au nom de justes revendications à la reconnaissance, autonomie et mémoire en viendraient à sournoise compromission avec les terrorismes de tout poil ?

Force est de constater qu'après la décapitation de S Paty et le juste sentiment d'effroi ressenti alors, certains, dont Taguieff, firent paraître un manifeste demandant aux pouvoirs publics d'intervenir :

Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des « Blancs »et de la France ; et un militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la doxa antioccidentale et le prêchi-prêcha multiculturaliste.

A lire ceci, je ne suis pas certain qu'on soit si éloigné des monstruosités proférées par un Zemmour et sa guerre d’extermination de l’homme blanc hétérosexuel qui doit désormais boire du petit lait.

J'y vois même erreur, même art consommé de l'amalgame ; même confusion.

Faut-il rappeler le désarroi de tous ceux qui soutinrent, à juste titre, l'indépendance de ceux-ci ou ceux-là, ne purent qu'être déconvenus des suites nationalistes et parfois dictatoriales. De la chute de la monarchie à Khomeiny ; plus récemment du printemps arabe à l’Égypte de Sissi … pour ne pas évoquer la chute de l'URSS aboutissant à des Poutine, Orban et autre Kaczyński. L'histoire est tragique, nous le savions pourtant. Ce fut même erreur, à l'époque, d'excuser ou de taire les dérives totalitaire du bloc soviétique, au nom de l'intérêt supérieur et de la valeur du socialisme que celle d'aujourd'hui, de fermer parfois les yeux sur les terreurs qui minent le combat pourtant juste contre l'impérialisme, la ségrégation ; l'aliénation.

Il y a sans doute des zones d'ombre - et de honte - dans ces courants qui bruissent, crient parfois et s'ébrouent de plus en plus souvent. Qui en douterait ?

Il faut n'avoir jamais agi pour n'être pas emporté parfois par la spirale des événements : parfois, oui, l'action est l'inverse de l'action. Il faut ne rien savoir de la pensée pour imaginer que puisse se formuler jamais théorie sans écueil, sans ligne à ne pas franchir, sans excès ou piège. La fin ne justifie décidément jamais les moyens mais qui ne s'est jamais aveuglé de la beauté de la cause ? L'argument de l'omelette est si béatement évident ? La cohérence est sûrement gage de sérieux ; mais ni nécessairement de sincérité, ni assurément de preuve. Les théories peuvent être belles ; mais tuent aussi. Et jamais la raison, fût-elle prudemment administrée, n'a épargné erreurs, horreurs ; mensonge ou vanité.

Il faut ne s'être jamais attardé dans les allées de la connaissance pour méconnaître à ce point les si complexes relations entre théorie et pratique ; pensée et action ; morale et politique.

Car enfin que veulent-ils ces L Ferry, M Gauchet, P Nora et autre Taguieff ? Une police de la pensée ? Un ministère de la Vérité ?

Que veut dire intervenir ici ? Limiter la recherche ? Cloisonner et surveiller sa liberté ? Vidal ou le grand retour de M'ame Anastasie !

Je veux bien y considérer les empressements de la peur, les incohérences d'une réaction passionnée face à une inadmissible horreur ! on pourrait cependant attendre mieux d'intellectuels chevronnés. Décidément quand une nation a peur, elle se vautre vite dans la couche de la tyrannie. Et, triste est de constater, que les intellectuels, les enseignants, rarement courageux ne sont pas les derniers à découvrir les délices de la soumission quitte à la travestir d'amphigouriques conceps.

A moins que ?

Dérive autoritaire ?

On a souligné ici et là combien la gestion, depuis un an, de la crise sanitaire avait accentué l'hyperprésidentialisation du régime, le péché originel de la Ve. Macron, de comités de défense en comités de défense - on se demande d'ailleurs ce que la défense vient faire ici - décide, désormais seul. Plus vraiment besoin de Parlement, encore moins de conseil des ministres ; à peine le Premier Ministre : seul ce conseil dont il choisit à discrétion les membres ; qu'il écoute … mais ne suit pas. D'où ce 3e confinement auquel tout le monde s'attendait ; qui n'eut finalement pas lieu. La presse s'émoustille des risques que prend le Président : mais quoi gouverner n'est-ce pas précisément tenter d'anticiper l'imprévisible ? ce n'est pourtant pas le faire seul.

Mais sur ce sujet la presse se tait !

La loi Sécurité limite jusqu'au droit de relayer certaines informations … et ça passe ! Et ainsi de toutes les autres lois ! sur le séparatisme aujourd'hui ! sur l'enseignement supérieur hier. Contre l'avis de tous !

D'entendre un Darmanin - vous savez le petit Rastignac au sourire sardonique qui semble avant toujours un coup antirépublicain d'avance - vouloir pourfendre avec Blanquer l'islamo-gauchisme et se voir féliciter par les caciques du Rassemblement National est loin d'être rassurant.

Ce ne sont ni les limites imposées à nos libertés ordinaires par la crise sanitaire, ni le couvre-feu, ni le masque, ni même l'état d'urgence sanitaire à nouveau prolongé qui me feraient me lever et manifester contre des mesures scélérates et liberticides. Plutôt ce consensus mou, ce fascisme doucereux qui déclare nous protéger et rogne petit à petit, sans que nous nous en rendions compte, les éléments premiers et fondamentaux de la liberté républicaine. Macron a tout de l'aménité doucereuse, papelarde, mielleuse du despote qui se croit éclairé : même dans un gant de velours, la main de fer étrille et étreint. Il a tout de l'anti-phrase ; tout de l'hypocrite manager de l'entreprise agile. Si habile qu'on en viendrait presque à le remercier de vous étouffer.

Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur, mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? C'est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l'emploi du libre arbitre; qu'il renferme l'action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu chaque citoyen jusqu'à l'usage de lui-même. L'égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait. Tocqueville

Les emprises sont tellement nombreuses mais si félinement orchestrées, les atteintes si sournoisement ourdies et habilement travesties qu'au nom de l'égalité - et de la sécurité - nous y consentons , nous habituons à y consentir et achevons de trouver insupportables intrus ceux qui en viennent à perturber notre lâche assoupissement. Nous avons confié, presque par mégarde, le pouvoir à un prédicateur ivre de satisfaction et obnubilé de démiurgie ; il pérore, seul, sans contre-pouvoir … mais nous regardons ailleurs.

Alors non, cette étrange enquête ne ressemble en rien à la maladresse d'une ministre à la dérive : ressemble plutôt à une démarche logique dans la déconstruction patiente de la liberté républicaine. Rousseau l'avait vite compris : entre ordre et liberté, il y a, ne peut qu'y avoir contradiction. C'est au politique de chercher la voie qui sans brader le premier garantit la seconde. Que le fléau de la balance insensiblement se mette à pencher du côté de la sécurité, de l'ordre, alors invariablement, le Prince cessera de servir l'intérêt général parce qu'il se croira l'Incarnation de la sécurité. Lui aussi bientôt fera don de sa personne à la France pour atténuer son malheur.

On sait bien comment finissent ces odyssées-là ; ces harangues-ci : par des vous souffrez, vous souffrirez encore ! pardi il faut bien payer nos fautes, ces mensonges qui nous en fait tant de mal !

Touchez à la liberté de la recherche, vous toucherez à la liberté tout court ! La liberté, oui, se paie toujours d'une dose de désordre, de brouillage, d'incertitude. Mais l'ordre seul, toujours impose silence de mort ! Touchez à la liberté de s'opposer, de contester, de dénoncer vous offrirez pour quelques instants le mirage efficace de l'empire, dévoilerez bientôt la grimace affreuse de la tyrannie.

Je veux bien que la gravité de la situation, la durée surtout d'une crise à quoi nous n'étions pas préparés et à laquelle nous n'avons jusqu'ici su répondre que par de malhabiles expédients, que l'inédit de cette pandémie, oui, affole et corrode jusqu'à la plus élémentaire socialité ; érode jusqu'au plus élémentaire bon sens . Egare nos intellectuels et rende mégalomaniques nos princes !

Mais là, décidément !

Oui, ils sont devenus fous ! veules et stupides.

Mais je ne vois aucun Lénine à réveiller …