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Photos

Typique de cette communication moderne et professionnelle qui n'est en réalité que mise en scène et propagande, ce récit d'un photographe supposé couvrir la présentation du gouvernement Castex - sa photo de famille. Tout y semble calé au millimètre près comme dans ces ouvrages - supposés pédagogiques - où l'on vous assène à force schémas et graphiques - les bonnes pratiques, bref les recettes d'une communication réussie. Le monarque - ou plutôt ses sbires - entend régler jusqu'à l'intensité de la lumière que, par mansuétude, il condescend à déverser sur ses misérables sujets et gommer jusqu'à la moindre rature qui viendrait rappeler son ordinaire condition.

Inutile de revenir sur cette funeste tendance qui vit les managers envahir la sphère du politique : l'affaire est engagée depuis trente ans au moins qui vit, au nom de la pseudo citoyenneté de l'entreprise, l'économie envahir le politique plutôt que le politique régir sinon l'économie, au moins ses principes de fonctionnement. Non, ce qui est fascinant ici, serait plutôt cette incroyable naïveté - niaiserie ? - consistant à imaginer que l'application méthodique de quelques recettes fût jamais suffisante et qu'ainsi la communication, en dépit de toutes les observations usuelles, fût un canal fiable, sûr et efficace.

Je me suis longtemps demandé d'où se nourrissait mon aversion, endémiquement renforcée, à l'égard de la communication. Je l'ai une première fois compris avec Platon : c'est qu'il s'agit ni plus ni moins de sophisme consistant à prétendre qu'on puisse pérorer sur n'importe quel sujet auprès de n'importe quel public.

Il y a sans doute plus : la réduction de l'humain, en ce qu'il peut se solder de faillibilité mais aussi d'inopinée inventivité, à de simples processus techniques ( process comme ils disent) ! Quelle sottise, quel danger que de ne pas voir que c'est plutôt dans les interstices où échoue la parole, en cet espace presque invisible en tout cas insaisissable, où s'enchevêtrent raison, intentions, désirs et passions, que se nouent chemin, vérité et vie. Que nous ne sommes humains que de ne parvenir jamais vraiment non plus à formuler qu'à réaliser nos projets, nos désirs ou nos craintes.

Je comprends bien l'effort à toujours plus de scientificité autant que le rêve d'une maîtrise toujours plus affûtée de nos savoir-faire. Je comprends mais m'en méfie comme de la peste. Ce que je ne comprends pas, du côtés des acteurs, demeure cette veulerie à se soumettre à ces schémas préconçus ; du côté des supposés doctes réside en cette science contrefaite qui feint de produire des connaissances définitives - falsification qui peut difficilement résulter d'autre chose que de la paresse ou de la malhonnêteté …

Affaire de courtisans allant toujours au-delà de ce que rêve le Prince, ou effet délétère de ce qu'Heidegger appela la technoscience ? Qu'importe au fond, le résultat est le même : un univers étriqué qui ne sait envisager la contrariété des choses ni la confusion des âmes.

Cette réticence je l'ai vécue tout au long de mon existence et elle aura envahi jusqu'à ma manière d'exercer mon métier : enseigner - officiellement - la communication dans un département voué à la gestion … l'histoire a de ces ironies ! Deux fois j'aurai été confronté à cet agacement : je n'ai jamais supporté cette manie de vouloir (devoir) préparer un cours selon un ordre prédéfini de séquences ne dépassant jamais chacune 10 mn/un quart d'heure ; je n'ai jamais imaginé que la transmission pût s'opérer sans une part d'imagination, d'intuition, d'improvisation. Ce serait autrement demeurer répétiteur de leçons conçues par d'autres. Je n'ai jamais voulu que l'ordre préconçu d'un discours si fin et ajusté pût-il sembler, doive ignorer la question de l'interlocuteur qui, invariablement, viendra en briser l'admirable ordonnancement !

Le gestionnaire autant que l'expert de la chose administrée a peu de goût pour l'inconnu et fréquente malaisément les escarpes de l'innovation ou de l'imagination. C'est vite dit qu'il faille trouver un équilibre entre le désordre produit par la nouveauté et la nécessité irréfragable d'un ordre ; pourtant ! entre l'innovation sagement contenue dans les roides mesures de la convenance et l'ordre nécessairement bousculé par la vie, il y a plus qu'un monde. Un rapport à l'être.

Entre ordre et liberté, toujours il y aura compromis à inventer. Je sais où mon cœur penche.

 

Demeure cette minable et presque toujours risible flagornerie du courtisan … La Fontaine en a dévoilé beaucoup sur la question. Mais Saint Simon ou La Bruyère tout autant. Il serait vain de fustiger le pouvoir … Après tout, les monarques d'autrefois surent s'entourer d'amuseurs publics et de fous qui n'hésitèrent jamais à leur rappeler que tout auréolés de sacre qu'ils fussent, leur cul n'était pas hissé plus haut que celui du commun. Les monarques sont sans doute moins risibles que les bassesses et flatteries dont par faiblesse ils se laissent entourer.

Qu'importent après tout ces sordides arrangements avec le réel : le souvenir que ces puissants laisseront sera rarement durable et restera lié, s'il existe, bien plus qu'on ne l'imagine à l'action entreprise qu'à la statue hâtivement érigée, bien vite déboulonnée. Il n'est pas de grand homme pour son valet de chambre. Et les peuples bien moins ingrats qu'on ne le dit mais si peu dupes des prétendues largesses qu'on lui consent.

La vanité court chaque centimètre de cette lamentable mise en scène. J'imagine les réunions nécessaires pour orchestrer cette simagrée ; les offices à rémunérer, les chiourmes à surveiller, les trabans à former pour qu'ils ne ratent rien qui fût indésirable et gâcherait le fier avènement du nouveau chemin … et cet attirail d'électronique ambulante qu'il a bien fallu acheter et entretenir tout cela pour une photo de famille qui ne dit rien et n'a rien à dire et viendra seulement s'empiler sur le tas poussiéreux des 41 photos des gouvernements qui se sont succédé depuis 1959 …

A tout prendre, pour la puissance ou la nostalgie d'un mythe, je lui préfère l'aimable désordre de la présentation de Juin 1936

 

Il est vrai que chaque photo, à sa manière particulière, raconte une histoire. Ce n'est pas toujours celle qu'on croit. Et elle le fait plus souvent par ce qu'elle cache que par ce qu'elle montre.

 

 

 

 


«CHEZ POL»

A l'Elysée, le photographe est un pion

Par Corentin Fohlen — 31 juillet 2020 à 12:15
Photo de famille du gouvernement Castex à l'Elysée, mercredi.Photo de famille du gouvernement Castex à l'Elysée, mercredi. Photos Corentin Fohlen pour Libération
 

Corentin Fohlen, photographe pour «Libération», était au «Château» pour la photo de famille du gouvernement. Il a constaté que, désormais, les photographes n'y ont plus aucune liberté.

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     A l'Elysée, le photographe est un pion

«Je n’étais pas venu à l’Elysée depuis 2012. A l’époque, sous Sarkozy, les photographes étaient encore considérés et pouvaient travailler. La sécurité et le service de presse nous respectaient a minima. Une certaine idée de l’image politique existait. Mercredi a eu lieu la traditionnelle photo du nouveau gouvernement Castex. On nous convoque dès 10h30. En patientant sous un soleil de plomb, j’ai le temps de m’informer auprès des confrères, habitués du protocole "à la Macron". Dorénavant, au palais, n’existe plus aucune liberté de photographier. Le photographe est un pion de la communication, gentiment encadré par de jeunes communicants et rudement recadré par des colosses de la sécurité. Un confrère, pour passer le temps, lève son appareil pour photographier une scène de la vie quotidienne : une employée remettant en place un drapeau français. Un policier en civil lance un glaçant : "Pas de photo !" Le ton est donné.

«On finit par être appelés – après deux heures d’attente – pour patienter encore dix minutes dans un salon doré, encadré par six ou sept jeunes loups dont je ne comprends pas le rôle et, semble-t-il, eux non plus. Puis les portes s’ouvrent. "Vous avez quarante-cinq secondes."

«La dizaine de photographes s’élance pour se loger derrière un cordon et des piquets. Je découvre des ministres figés. Immobiles. Des pantins. Le gouvernement a été positionné en avance sur une estrade afin d’éviter les scènes de maladresses qui faisaient autrefois le bonheur des preneurs d’images. Je sors du champ rigide de la photo de classe, pour tenter de m’éloigner sur le côté. Un garde du corps me suit de près. Le temps imparti est terminé, aucun ministre n’a bougé d’un cil. Absurdité d’une scène totalement aseptisée.

«Au moment de nous faire quitter les lieux, un communicant intime l’ordre aux ministres de ne pas bouger. Surtout pas de faux pas ! Nous sommes bousculés afin d’arrêter de photographier. "On vous dit d’arrêter !" Des mains se plaquent brutalement sur mon appareil photo. Je réponds au cerbère que je suis en droit de choisir quoi shooter. Ma réponse l’insupporte. Je suis apparemment le seul à oser contester les directives.

«A la sortie, je réitère le droit absolu et légal de photographier ce que je souhaite dans ce haut lieu du peuple. On me fait bien comprendre que je ne suis pas chez moi, mais chez eux. Deux officiers de sécurité exigent mon identité et photographient ma carte de presse : "Vous allez voir si vous pouvez faire ce que voulez à l’Elysée", me balancent-ils d’un ton hautain et menaçant.

«Mes confrères me soutiennent après coup discrètement ; ils tiennent à leur place et à leur job. Je les comprends. Le gouvernement a changé, mais les méthodes de l’ère Macron perdurent. Je ne suis pas sûr de pouvoir revenir de sitôt au Château.»