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Photos 2

Il est des photos pour rien ou presque ; il en est que l'on peaufine parce qu'on sent qu'on y tient un geste, une musique, un sens qui vous la rendra incontournable ; il en est qui vous surprennent et d'autres qui ne valent que pour l'insolite qu'elles révèlent.

Celle-ci, prise ce matin de ma fenêtre : je ne regardais rien préférant épier l'éventuelle chaleur qui m'indisposerait et, baissant les yeux par habitude ou négligence, là en-bas, sur les bandes du passage protégé - qui ne furent pas blanches bien longtemps - cette inscription hésitant entre l'émouvant et le burlesque ; l'insolite et le banal.

 

Quelle maladresse avait-il pu commettre ou sottise proférer pour l'avoir ainsi crue perdue ? Quelle aimable ambassade put ainsi s'enhardir pour s'entremettre à réparer les pots cassés ? J'imagine la jeune fille agacée, fâchée autant que contrite, blessée autant que dépitée de perdre ainsi celui au désamour de qui elle ne se résolut pas…ou pas encore. Je devine le jeune homme, habitant peut-être en mon immeuble, quelques étages au-dessus, empesé de tant de maladresses, chafouin de son emportement mais trop fier encore pour s'abandonner en quelques excuses et trop lâche pour s'y risquer à quelque rebuffade. Je soupçonne l'intercesseur, l'ange, sa bombe de peinture à la main, tracer son message en pleine nuit un peu craintif néanmoins qu'on ne l'y surprît … Mais de quelle hardiesse n'est-on pas capable quand ce n'est pas pour soi !

Qu'elles soient adolescentes ou tardives, les amours ne cessent de m'intriguer pour la part de mystère de ce qui s'y noue, pour cet embrouillamini de grandeur et de banalité vulgaire où elles nous enferrent ; pour cette ligne étrange entre l'intime et l'universel où elles s'attardent. Car c'est sans doute à l'endroit même où l'on se croit le mieux soi-même, en cet instant où l'on s'éploie de toute son individualité qu'en réalité on ressemble le plus à l'autre et frôle l'universalité de l'humain.

Entre intimité qui est intériorité absolue et extrême qui est extériorité accomplie (eschatos) il n'est qu'un souffle celui de l'esprit ; celui de la grâce.

C'est ceci que raconte cette incription là, par terre, sur le macadam sale d'une rue ordinaire.