La cour du lion VII,6

 

 

Sa Majesté Lionne(1) un jour voulut connaître
De quelles nations le ciel l'avait fait maître.
          Il manda donc par Députés
          Ses Vassaux de toute nature,
          Envoyant de tous les côtés
          Une circulaire écriture (2),
          Avec son sceau. L'écrit portait
          Qu'un mois durant le Roi tiendrait
          Cour plénière (3), dont l'ouverture
          Devait être un fort grand  festin,
          Suivi des tours de Fagotin (4).
          Par ce trait de magnificence
Le Prince  à ses sujets étalait sa puissance.
          En son Louvre il les invita.
Quel Louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord (5) au nez des gens. L'Ours boucha sa narine:  
Il se fût bien passé (6) de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton (7) faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colère (8)
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur:
          Il n'était ambre, il n'était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie.
          Ce Monseigneur du Lion-là
          Fut parent de Caligula (9).
Le Renard étant proche: Or cà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le moi : parle sans déguiser.
          L'autre aussitôt de s'excuser, 
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire (10)
          Sans odorat ; bref, il s'en tire.
          Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand. (11)