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Où le ridicule le dispute à la honte

L'on n'écrit que pour être entendu ; mais il faut du moins en écrivant, faire entendre de belles choses : l'on doit avoir une diction pure et user de termes qui soient propres, il est vrai ; mais il faut que ces termes si propres expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renferment un très beau sens ; c'est faire de la pureté et de la clarté du discours un mauvais usage que de les faire servir à une matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sans nouveauté : que sert aux lecteurs de comprendre aisément et sans peine des choses frivoles et puériles, quelquefois fades et communes, et d'être moins incertains de la pensée d'un auteur, qu'ennuyés de son ouvrage ?
Si l'on jette quelque profondeur dans certains écrits ; si l'on affecte une finesse de tour, et quelquefois une trop grande délicatesse, ce n'est que par la bonne opinion qu'on a de ses lecteurs.
La Bruyère, Les Caractères, 57 [IV ]

Je n'avais pas prévu d'écrire sur ce sbire que je ne connais pas bien sauf à l'avoir entendu parfois chez Ruquier ; que je n'ai pas lu - que rien au reste ne m'incite à lire jamais ; encore moins désormais - auquel j'avais déjà fait référence cependant en début d'année pour les confidence bien nauséabondes sur ses dilections amoureuses. Je ne l'aurais pas fait : la sortie de son Orléans où il raconte une enfance malheureuse durant laquelle il aurait subi mauvais traitement de son père ; torture de la part de son frère m'aura fait sourire trois secondes sitôt que son frère renverse l'accusation. Comment ne pas penser qu'à force de se complaire à exhiber ses poubelles, on ne finisse bientôt par les renverser. Est-ce encore de la littérature ? C'est peut-être un faux sujet ! je n'ignore pas qu'on ne fait pas de littérature avec des bons sentiments ! les noirceurs d'âmes en tout cas n'y contribuent pas mieux.

Le plus étrange est que cette première salve fut aussitôt suivie d'une seconde où l'on fera émerger le passé trouble du sycophante : il avait publié en sa - tendre ? - jeunesse textes et dessins explicitement et fièrement antisémites. D'aucuns se feront bientôt malin plaisir de préciser qu'il ne s'en contenta pas mais persévéra à fréquenter longtemps quelques unes des huiles rances du négationnisme …

Et le plumitif de se défendre, avec la complaisance du comique de sous-préfecture, dans un de ces plaidoyers pro domo les plus pitoyables qui soient : Ces textes et ces dessins sont antisémites, mais je ne suis pas antisémite !

L'affaire se solde, provisoirement, par des ventes médiocres de son livre et la suppression de l'émission de débat qu'il animait sur Paris Première !

Une petite cabale, un scandale, rien de mieux pour éveiller le Tout Paris qui compte, le seul qui pense, évidemment.

Depuis la bataille d'Hernani en 1830, a-t-on fait mieux ?

C'est en réalité cette petite phrase de Marc Weitzmann qui m'a donné envie de rajouter ma petite musique à ce capharnaüm :

 L’affaire Yann Moix » est née le 21 août dernier avec la parution de son nouveau livre, Orléans, comme un coup de vent d’une violence rare mais circonscrite : elle concernait la famille de l’auteur. Puis, en quatre jours, par le biais de faits nauséabonds, et sous l’effet de serre d’un milieu médiatique et littéraire surconfiné, cette bourrasque s’est muée en l’un de ces ouragans que seule la vie culturelle de ce pays est capable de produire avec cette intensité, qui laissent chaque fois tout le monde incrédule, pantois, écœuré.

 

Paradoxe de l'époque actuelle, où on lit de moins en moins mais publie de plus en plus, où, les enjeux économiques ont depuis longtemps pris le pas sur les débats culturels mais où ces derniers forment cache-misère à ceux-là ; spécificité française en tout cas où le politique ne braconne jamais très loin du littéraire … à moins que ce ne soit l'inverse.

Après tout : quelles gravissimes conséquences pourraient bien engendrer les délires nauséabonds d'un écrivassier plutôt désagréable et hautain aux jugements hâtifs, souvent à l'emporte-pièce, et aux polémiques paresseuses exclusivement hantées par le buzz à produire ? On est bien dans ce registre de l'intellectuel médiatique dont l'œuvre importe peu … aussi peu que les engagements réels dont la présence sur les plateaux TV pèse surtout pour la polémique qu'elle peut engager où tout paraît essentiellement déterminé par des règles purement marketing d'un produit à vendre.

Sauf qu'ici, brutalement, le produit, exhale un fumet putride, insoutenable ! Et la marchandise invendable même dans les réseaux hard-discount !

Tout ceci en réalité n'a aucun intérêt et donne plus à régurgiter qu'à penser.

Me reste cette gêne devant ce déballage impudique où l'on fait passer petites ou grandes souffrances pour de la littérature … En est-ce ? Est-ce abusif de rappeler qu'en début d'année il publia Rompre, chronique d'une séparation amoureuse ? La question est justifiée : après tout d'autres, ne pensons qu'à Vipère au poing - firent de leur enfance, objet de littérature.

Je n'ai pas de réponse. Je sais qu'il n'est pas de littérature, pas d'art en général, sans absolue liberté, notamment de transgresser Je demeure toujours terriblement gêné quand on me place en position de voyeur et ne prise que modérément les postures d'exhibitionniste. Je n'hésite pourtant pas, moi-même, à écrire parfois sur ces relents d'enfance qui signent tellement les commencements de vieillesse … même si je ne prétends ni à l'art ni à l'esthétique. Où est la frontière ; en est-il seulement une ?

Où s'achève l'œuvre ? et commence l'étal putride des immondices ?

Je n'ai pas de réponse : je sais seulement, et ceci n'engage que moi, que je ne veux rien présenter hormis ce qui inciterait à aimer, ou à penser. Je puis me tromper, m'égarer ; rater mon coup ! je ne supporte pas, je l'avoue, la complaisance devant l'horreur, la bassesse. Encore moins devant la haine. Serres en son temps avait rappelé qu'auteur signifiait qui augmente ! qu'il est garant ! Ce qui implique de rester derrière son œuvre ! Je ne déteste rien tant que ce qui vous prend à témoin et vous souille.

Je crains bien que ce ne soit le cas ici.

Il n'y a pas d'œuvre ici ; seulement un triste fanfaron qui aime à critiquer et donner des leçons aux autres. L'homme cache l'œuvre. Qu'importe ! l'une ne vaut pas mieux que l'autre.

Il n'est qu'à rappeler la prédilection des collabos, écrivains ou non, pour les métaphores coprophiles ou perverses … Il n'est qu'à rappeler que Κάκος cacos en grec comme en latin signifie le mal, ce qui est laid et honteux …

« La littérature est l'essentiel, ou n'est rien. Le Mal - une forme aiguë du Mal - dont elle est l'expression, a pour nous, je le crois, la valeur souveraine. Mais cette conception ne commande pas l'absence de morale, elle exige une "hypermorale". La littérature est communication. La communication commande la loyauté : la morale rigoureuse est donnée dans cette vue à partir de complicités dans la connaissance du Mal, qui fondent la communication intense. La littérature n'est pas innocente, et, coupable, elle devait à la fin s'avouer telle. L'action seule a les droits. La littérature, je l'ai, lentement, voulu montrer, c'est l'enfance enfin retrouvée. Mais l'enfance qui gouvernerait aurait-elle une vérité ? »
Georges Bataille.

Oublions et passons à autre chose !