index précédent suivant

 

 

Ch Laughton

 

Je l'ai revu récemment dans Témoin à charge de B Wilder - un peu par hasard je l'avoue ne connaissant pas ce film mais la rencontre de cet incroyable acteur avec cette grande dame avait tout de quoi plaire.

Il est connu évidemment pour son capitaine Bligh dans Les Révoltés du Bounty (1935). Il fait partie de ces acteurs à gueule comme H Baur, Michel Simon en France par exemple.

Acteur génial comme si sa gueule l'avait obligé à mieux encore intérioriser ses personnages, il excelle évidemment dans les rôles de bougon, de cruel mais de tendre aussi - ce qui est loin d'être un contre-emploi.

J'aime assez que le seul film qu'il conçut et dirigea - La Nuit du Chasseur - soit un chef-d'œuvre.

J'aime assez le démenti involontaire que cet homme-là avec d'autres, infligèrent aux clichés du temps.

A regarder simplement cette scène fétiche, des Tontons Flingueurs, on comprend qu'aucun n'aura été ni jeune premier ce qui ne les empêcha pas de faire carrière et parfois très belle carrière. Pourtant le film était une galéjade ! pourtant chacun de ces hommes y laissa trace mémorable.

Où s'esquisse peut-être ce qui fait la magie ou le mystère de l'acteur. Il ne peut s'agir uniquement d'offrir belle prestance en disant correctement un texte ; encore moins de faire état d'une jeunesse insolente. Dira-t-on jamais l'insulte faite aux femmes de n'avoir si souvent attendu d'elles que l'étal d'un corps jeune et désirable ? Tout mythique que demeure la Lola de l'Ange bleu, je devine bien plus d'art dans ce regard lourd, triste et mystérieux qui ne fait pas même mine de ciller.

Tous les discours ont été tenus sur l'art de la comédie et, sans doute, déchirent-ils tous une part du voile … mais derrière est-il seulement vérité ? Réentendre ce qu'un Delon, tout insupportable qu'il puisse être et avoir été, dit sur la malédiction de la belle gueule ! sur le sens de la comédie. Ou, surtout sur ce public dont il rappelle combien c'est lui qui crée les stars.

Vérité et mensonge … comment dire mieux qu'avec l'art de la comédie et du théâtre combien ces termes sont usurpés ici, ont peu de sens ici ou alors seulement à la dérobée. Ces gens-là, certes, ont le talent de faire du vrai avec du faux et même s'il est difficile d'expliquer comment ils y parviennent, ils savent donner corps à leur personnage et donc se retirer sans toutefois se nier ou disparaître totalement. Cette retenue, ce retrait a quelque chose à voir avec la création originaire.

Platon s'est trompé lourdement : les artistes ne mentent pas ! Pas plus que les philosophes en tout cas ! Mais nous, souvent, tout autant de croire et d'affirmer que s'y jouerait quelque chose de l'ordre de la superficialité. Non : on touche ici au plus profond de l'être, l'espace secret où il tressaille. Ce n'est pas affaire ici de beauté ou de maquillage.

Les saltimbanques parfois effleurent le sacré.

Ce n'est pas la laideur accentuée de Ch Laughton dans Quasimodo qui fait mouche ici mais évidemment cette émotion toute d'humanité blessée qu'il y incruste avec une retenue géniale.

Voici évidence que l'art nous enseigne et répète jusqu'à satiété : il n'est de vérité - ou de mensonge - que dans le regard que nous portons sur l'autre ; cet autre que nous créons d'y considérer un visage, un chemin … un être. Quand on ne voit plus en l'autre la couleur de ses yeux ou la forme de son visage, alors oui, enfin on le rencontre.

L'acteur ici ouvre le chemin de cette rencontre.

Là, à ce moment précis, il est d'une beauté sidérale.

Qu'importe l'histoire qui, parfois, peut être d'une banalité à mourir. Mais les histoires de toute manière reviennent au même ; presque toujours.

J'aime pour cela le mot acteur : si l'auteur est celui qui vous augmente, l'acteur quant à lui est celui qui met en mouvement, meut et émeut ; donne vie à des mots, des images ou des musiques. Il est là encore, mais presque plus ; laisse sa chance à l'éclosion d'une présence.

Qu'il faut aimer l'humain pour ainsi lui prêter son âme.

Qu'il faut aimer ceux qui ont cette grâce de tout embraser et savoir transfigurer.