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Morale provisoire

 

L'époque où un ministre mis en cause pouvait espérer tenir jusqu’à ce que la justice lui demande des comptes est révolue. D’année en année, les Français ont relevé leur degré d’exigence vis-à-vis de leurs élus. Ils ne supportent plus qu’ils jouent avec l’argent public. Ils les veulent irréprochables, non seulement sur le plan de la légalité, mais aussi de l’éthique.
Pour ne pas l’avoir compris, François de Rugy s’est retrouvé, une semaine durant, sous le feu roulant des révélations de . Acculé, le numéro deux du gouvernement a démissionné, mardi 16 juillet, quelques heures avant la discussion au Sénat du projet de loi énergie et climat qu’il aurait été incapable de porter sereinement : à nouveau, il avait à défendre son honneur. Le site d’information l’accusait cette fois d’avoir, en 2013 et 2014, alors qu’il était député, réglé une partie des cotisations à son parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV) en se servant de son indemnité parlementaire défiscalisée, tout en déduisant les sommes versées du calcul de ses impôts.
François de Rugy a contre-attaqué en dénonçant un lynchage médiatique , il a affirmé avoir déposé plainte pour diffamation contre le site. Mais, politiquement, son sort était réglé. Il ne pouvait plus tenir, anéanti par la dévastation qu’avait causée dans l’opinion la mise à jour quasi quotidienne de comportements contestables : des dîners donnés lorsqu’il était président de l’Assemblée nationale aux travaux réalisés dans son appartement de fonction lorsqu’il est devenu ministre, tout donnait l’impression, à tort ou à raison, d’un élu qui se servait au lieu de servir et, ce faisant, contribuait à accroître le fossé entre le peuple et les élus, alors que la crise des « gilets jaunes » en avait révélé la profondeur.
Parce que, à ce jour, le cas Rugy relève davantage de la morale que de la loi, l’exécutif a obstinément refusé de le trancher à vif. Jusqu’au bout, Emmanuel Macron et Edouard Philippe sont restés fidèles à une ligne consistant à dire qu’ils se prononceraient sur des faits, non sur des « révélations ». Ils ont donc diligenté des enquêtes. Ce faisant, ils ont cru ériger un garde-fou. Mais ils se sont trompés. Leur système de défense était intenable : à quoi bon attendre l’avis de la déontologue de l’Assemblée nationale ou celui du secrétariat général du gouvernement, puisque, aux yeux des Français, François de Rugy, éthiquement défaillant, n’était déjà plus en capacité d’exercer sa fonction de ministre de l’environnement, au moment où ce thème est érigé en grande priorité ?
S’il ne fallait retenir qu’une leçon de l’affaire Rugy, ce serait celle-ci : rien ne résiste à la demande de moralisation de la vie politique. Pour ceux qui exercent une fonction politique, cette exigence suppose de savoir définir, chaque jour, la frontière entre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. La tâche peut être complexe, car le pays a longtemps fermé les yeux sur le comportement de ses élus, mais depuis que leur efficacité est mise en doute, le retour de bâton est brutal. Depuis la fin des années 1990, les lois dites « de moralisation » se sont multipliées sans empêcher les dérives individuelles qui, lorsqu’elles se produisent, jettent l’opprobre sur l’ensemble du personnel politique et accroissent l’ampleur de la défiance. Le seul antidote à cette suspicion tient en un mot : l’exemplarité. On en est, hélas, encore loin.
Editorial Monde du 17 juillet

Cet édito dans le Monde après l'éviction express de F de Rugy du ministère de la Transition écologique. Pour une fois l'exécutif a choisi d'aller vite histoire de ne pas voir son été pourri comme il le fut l'an passé avec Benalla. Soit.

Histoire médiocre, assurément d'un personnage peu reluisant comme se complaît à le souligner ce billet bien cruel du Point [1]. Sans doute le petit provincial ivre d'ambitions mais dépourvu de talents sacrifia-t-il à l'ambition du faste. J'avoue : ce qu'il y a de plus ridicule, impardonnable en cette affaire est peut-être sa médiocrité affligeante. Il y a dans cette histoire un côté grenouille enflant démesurément jusqu'à éclater qui en d'autres temps m'eût fait rire.

Le quidam n'est pas glorieux qui a toujours traîné derrière lui le fumet trouble d'un Iago de pacotille. On parle de morale, il se défausse sur de petites erreurs chères payées ? Oublierait-on que le quidam, il y a juste deux ans, se présenta aux primaires de la gauche - ce qui supposait de s'engager aux côtés du vainqueur - avant que de filer armes et bagages déjà préparés du côté du vainqueur.

Non décidément pas même la peine qu'on s'y attarde.

Plus intéressante en revanche cette remarque de l'édito du Monde : rien ne résiste à la demande de moralisation de la vie politique.

Voire ! doit-on rappeler les avanies d'un Bayrou appelé place Vendôme précisément pour faire un peu le ménage dans les affaires publiques et contraint d'en repartir aussitôt pour cause de tripatouillage des comptes du MODEM ?

Il ne fait aucun doute que le corps électoral supporte de plus en plus mal les privautés que s'autorisent les grands si habitués aux aisances qu'ils achèvent de s'en croire propriétaires. On est loin des rigueurs altières des danois, évidemment dont le Premier Ministre récemment battu quitte son poste à pied. Ici on abuse des fastes et voitures de fonction.

Me reste néanmoins un arrière-goût amer : je ne vois jamais avec plaisir l'emporter les moralistes pisse-vinaigre, les donneurs de leçons acariâtres. Les ligues de vertu m'ont toujours fait peur.

Comment ne pas voir que derrière cette exigence d'austérité, se cache avec une démagogie à peine cachée, des relents d’antiparlementarisme qui ont toujours fait les délices des factions d'extrême-droite.

Que cette racaille bourgeoise, imbue, prétentieuse, cynique se prenne à l'occasion les pieds dans le tapis, évidemment, a toujours quelque chose de réjouissant. Le problème est qu'il sont en train de creuser, outre leurs propres tombes, la nôtre. Celle de la République.

Et là, subitement, c'est moins drôle.


 


 

1)

 

Praud - Amours, coquillages et crustacés

BILLET. François de Rugy ne paie pas tant ses erreurs éthiques qu'une personnalité grise. Rugy n'a pas de charisme, peu de soutiens, pas d'amis. Paris est cruel !

Le Point

 

François de Rugy prônait la transparence. Qu'il se rassure, elle lui va bien. François de Rugy n'a pas l'étoffe d'un héros. C'est tout le problème. L'ex-ministre de la Transition écologique paie ses maladresses, son comportement, sa défense. Il paie aussi de ne pas être à sa place. Il n'était pas calibré pour devenir président de l'Assemblée nationale. Il n'était pas non plus programmé pour devenir numéro 2 d'un gouvernement. On l'aurait sans doute aimé député à vie comme on aime un second rôle au cinéma. André Pousse ne s'est jamais pris pour Alain Delon. Histoire du principe de Peter.

Rugy est tombé. Personne ne l'a soutenu. « Les médiocres ne pardonnent jamais à l'un des leurs de réussir », est-il dit dans ce chef-d'œuvre de Claude Miller qu'est le film Garde à vue (1981).

Rugy est tombé parce qu'il n'a pas le niveau

Jacques Chaban-Delmas, Edgar Faure, Laurent Fabius ou Philippe Seguin sur le perchoir, ça avait quand même une autre gueule que ce monsieur de Rugy, personnage falot, député par hasard et ministre par traîtrise. Rugy avait concouru dans l'écurie d'en face pour la primaire de 2017 avant de sentir souffler le vent des éoliennes et de baiser l'anneau du futur vainqueur. On a vu mieux, question fiabilité.

Rugy est tombé pour une histoire de cornecul, c'est vrai. Mediapart s'est acharné, c'est encore vrai. Le monde de Plenel et d'Arfi me fait peur, c'est toujours vrai. « La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson », est-il écrit dans un autre chef d'œuvre des années 70. Mais ce n'est pas le souci. Rugy est tombé parce qu'il n'a pas le niveau. Et chacun l'a deviné : ministres, parlementaires, journalistes, électeurs. Faut pas jouer les riches quand on n'a pas le sou. Faut pas faire des dîners d'apparat, donner des leçons, éructer l'anathème quand on est né second couteau. Chacun à sa place et les vaches seront bien gardées.

Si Stefan Zweig était toujours de ce monde, il n'écrirait pas la biographie de François de Rugy. Il le citerait comme un personnage secondaire du monde macroniste, figure passagère d'un univers trop grand pour lui. En revanche, Zweig n'oublierait pas de citer Madame de Rugy, personnage clé de ce roman de gare dont le terminus est l'hôtel de Roquelaure. Ce qui est intéressant dans l'affaire Rugy n'est pas ce qui est dit, mais ce qui est suggéré. Implicite, si vous préférez.

Les gens sont méchants

Séverine de Rugy, née Servat, est présentée comme le mauvais génie du couple. Une femme que la lumière attire, que l'argent anime, que le pouvoir excite. S'il faut un leader dans chaque couple, personne ne doute que ce soit elle. Tout cela n'est pas dit bien sûr. Mais la révolution MeeToo n'a pas effacé des années de sexisme ou de machisme. La femme coupable. La femme diablesse. La femme intrigante. François de Rugy, dans un de ces rares éclairs de lucidité, a regretté que la presse présente son épouse comme une Marie-Antoinette de contrebande. Il y avait aussi un peu de Cruella d'Enfer dans les portraits que j'ai lus ici ou là. « C'est un personnage de Maupassant », ai-je aussi appris. Je ne sais ce qu'est un personnage de Maupassant. L'ambitieuse Madeleine Forestier dans Bel-Ami qui fait la courte échelle à George Duroy pour qu'il accède à la gloire ? C'est l'été. Je relirai Bel-Ami sur la plage et j'ajouterai César Birotteau puisque François de Rugy est un héros de Balzac.

Dans la vraie vie, Séverine de Rugy est journaliste à Gala. Elle aime le strass et les paillettes. Elle a poussé son François à faire des folies. Et lui, bon bougre, a voulu épater sa Marilyn Monroe. Je le répète, personne ne le dit comme ça. Mais chacun le pense. Comme beaucoup se réjouissent de la chute d'un couple que le destin a projeté à Versailles mais que la vie a renvoyé à Pétaouchnock. Les gens sont méchants, vous dis-je.

De Rugy sort par la petite porte. Il a évoqué la mémoire de Pierre Bérégovoy. Pourquoi pas celle d'Alfred Dreyfus ? Je lui conseille de repartir pour Nantes. Député, c'est bien.