Bloc-Notes 2017
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Marlène …
(en voyant ces photos dans le Monde)

Étrange destinée que celle de cette femme mais tout autant de cette chanson qu'elle a portée et qui, à sa façon lui ressemble. Celle qui tourna le premier film parlant allemand (L'ange Bleu) resté dans toutes les mémoires, fut aussi l'une des grandes figures du cinéma américain.

Par sa longévité, elle prolonge très tard dans le siècle l'écho des premiers âges du cinéma et nous rappelle quel suicide culturel représenta aussi l'avènement du nazisme.

Du M le Maudit de F Lang * à l'Ange Bleu de von Sternberg, en passant par le Nosferatu de Murnau, le jeune cinéma allemand, en dépit - ou à cause - de ses petits moyens, sut exister et se donner un style de haut vol. Il n'est qu'à comparer ce qu'il en reste en 45 pour comprendre que le désastre nazi ne fut pas que militaire, politique ou moral.

Les USA, surtout, en profitèrent, qui surent accueillir tous ceux qui, tôt ou tard, fuirent. Dietrich partit très tôt et, on le sait, sut durant la guerre, s'engager résolument.

Même destin pour cette étrange chanson Lili Marlene. Sur un texte de Hans Leip, datant de 1915, qui ne fut publié puis mis en musique que vers la fin des années trente, cette chanson devint presque par hasard la chanson fétiche des soldats de la Wehrmacht. Curieusement, elle franchira le front et deviendra progressivement l'hymne de la victoire aux USA. Chaque guerre suscite une chanson qui la résumera ( la Madelon en 14 etc) mais en est-il tant que cela qui furent chantées des deux côtés avec le même succès ?

Il est assez révélateur que Dietrich lui préféra bientôt une autre chanson, moins militaire, ICH HAB NOCH EINEN KOFFER EN BERLIN, manière pour elle de rappeler que toute américaine qu'elle était devenie, résidant à Paris, c'était plus l'Allemagne qui s'était égarée et détournée d'elle que l'inverse. Ce qu'elle rappelle en 89 à la radio au moment de la chute du mur de Berlin.

Je n'ai jamais été fasciné par cette posture de femme fatale où elle excellait et que von Sternberg lui avait fait adopter : sans doute participa-t-elle de son mythe et fit que toujours, où qu'elle soit, quoi qu'elle fît, toujours hommes comme femmes tournaient leurs regards vers elle mais sous ses multiples aventures et amours et peut-être à cause d'elles et de l'histoire comment ne pas voir ces yeux insondablement tristes et vides comme dans cette scène incroyable du Jugement à Nuremberg où jouant le rôle d'une veuve de guerre tentant de convaincre S Tracy - le juge du film - que les allemands ne savaient pas ?

Voici une femme seule et je ne suis pas sûr qu'elle ait jamais pu retrouver cette valise laissée à Berlin ni que Berlin, en dépit du chemin fait depuis, retrouve jamais le fil de sa propre histoire si violemment interrompue.

C'est à ceci que je songe à chaque fois que je croise ce regard : à cette insondable tristesse, pas un désespoir non mais une inconsolable désolation … Cet écart vertigineux entre cette Allemagne qui tente de se réinventer après la défaite de 18 non sans gloire ni talent et pourtant sans moyens, entre cette jeune actrice chantant qu'elle est faite pour l'amour, de la tête aux pieds, et ce regard évidé qui paraît aussi dépenaillé que celui d'O Welles, et cette Allemagne brillante encore, qui s'est relevée bien sûr mais n'en a pas fini d'en découdre - s'il se peut seulement dont l'égarement mais l'effarement aussi se ressent dans cette posture qui se veut digne, qui est raide et froide.

On a l'habitude de lire les événements de son propre côté et sans doute est-ce nécessaire et inévitable.

Dans le cas du génocide, un impératif catégorique.

Marlène Dietrich, au parcours irréprochable mais à cause de celui-ci, nous amène à envisager cela de l'autre côté. Et tâcher de comprendre l'infini désarroi devant le suicide collectif de ce qui fut une grande nation et une culture exceptionnelle. Se peut-il y avoir un après ? oui bien sûr mais tellement douloureux. Ou tellement lâche. La suave légèreté des années Weimar allait bientôt se payer si cher. Alors oui, c'est ce même regard que je retrouve dans les yeux de Marlène et de ce vieillard de l'Alexanderplatz.

Destin brisé qui va au delà de celui de cette femme, celui de notre propre histoire qui s'est abominablement achevée dans les noirceurs polonaises.

 

 

 


M Le Maudit de Fritz Lang 1931

scène finale

 

 

 

film en entier

 

 

Jugement à Nuremberg film de S Kramer 1961

 

 

La Soif du Mal 1958