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L'écume des jours

Notre despote éclairé a encore frappé : laissant fuser dans la même confidence faites à des journalistes lors de sa visite en Egypte, une triple référence à Boris Vian, à Hegel et à Fernand Braudel - excusez du peu ! Ce ne sont pas ces bourrins d'énarques qui auraient pu le faire !

Je crois à la raison de l’histoire. On a des rôles qui peuvent être importants, des erreurs peuvent être fatales. Mais il y a des phénomènes plus profonds qui nous embarquent (…) Le reste, c’est l’écume des jours.

Braudel pour cette idée qu'à l'agitation de surface répondent des mouvements beaucoup plus lents enracinés dans l'espace géographique. Hegel évidemment pour le livre éponyme où il explicite que l'Esprit est à l'œuvre, que l'histoire a un sens rarement révélé d'emblée dont nous sommes les acteurs souvent involontaires en tout cas pas les auteurs. Vian, évidemment pour le roman qui porte ce titre.

Il y a décidément, chez Macron, quelque chose de l'intellectuel rentré - comme on parle d'un ongle incarné - quelque chose qui hante le personnage comme d'un rêve au bout duquel on ne serait pas allé ; non pas vraiment comme d'un échec mais d'une bifurcation qu'on eût renoncé à emprunter. Comme d'un habit, pas même usé, dont on n'ose se séparer. La culture chez celui-ci n'est pas feinte : ses études de philosophie suivies à Nanterre en parallèle à Sciences Po laissent des traces qui ne se renient pas même si on aura exagéré assurément le rôle tenu à côté de Ricœur ou que son échec à entrer à Normal Sup leur donnât un arrière-goût d'échec.

Mais surtout quelque chose de l'intellectuel qu'on ne parvient ni plus que ne voudrait véritablement enterrer. Ce n'est pas la première fois que dans ses propos et à plusieurs reprises dans ses deux interventions au Congrès notamment - qui ne se souvient de la part maudite de 2017 ? - que Macron se joue de ces références subliminales qui passeront sans doute inaperçues pour le plus grand nombre mais seront reconnues ici et là, par des journalistes parfois quand leur culture les y autorise ; par les enseignants souvent. Mais pourquoi donc ces allusives saillies de docte présomptueux sinon pour être reconnu par eux ? pour ne surtout pas être considéré comme l'un de ces énarques ordinaires pétris de technicité à l'emporte-pièce, de schémas de pensée ourdis comme des éclisses de meccano ? pour échapper à cette horde de technos hollando-sarko-chiraquiens hantant les couloirs de la République depuis si longtemps et trustant les places avec l'avidité gloutonne d'un diable de Tasmanie.

Ce qu'il dit n'est au reste théoriquement pas faux si politiquement inaudible. Evidemment les crises viennent toujours de loin, de beaucoup plus profond que leurs causes immédiates, déclenchantes. Mais c'est précisément en cet endroit que les logiques de la pensée et de l'action viennent se heurter avec toute la violence et l'injustice possibles. La pensée aime à poser correctement les problèmes et ainsi, pour mieux les saisir, prend du recul et retient toute réponse trop précoce ; voire toute réponse, tout court. A l'inverse, ce que l'on attend du politique ce sont des décisions, de préférences rapides - certainement pas des méditations si justes et fécondes semblent-elles devoir être.

Ah si jeunesse savait ; si vieillesse pouvait ! l'aporie morale se double ainsi d'une incompatibilité politique.

Il n'est pas d'action sans pensée préalable ; ni de pensée sans expérience et rapport concret au monde. Entre les vaticinations infécondes du métaphysicien et les délires de puissance du politique n'y a-t-il vraiment pas de voie moyenne qui se puisse inventer ?

De Gaulle était un militaire cultivé : s'il avait hautement le sens du politique, en réalité celui de la dignité de César, et sans conteste une belle plume, sa pensée demeura courte ; simplement empirique. Seuls ses chemins de traverse étaient géniaux parce que d'une belle habileté. Mitterrand était un homme de goût, de culture ; ce n'est pas qu'il n'eût pas de pensée politique …il l'est avait toutes. Opportuniste ? non pas même. Florentin simplement. Ces deux-là aimèrent le pouvoir passionnément ! Abusivement. Ce n'étaient pas des hommes de pensée qu'ils conformaient simplement à leur exigence d'action.

De Machiavel je ne fais pas forcément la lecture qui convient : bien sûr on peut y voir la réflexion d'une éminence grise sur les mille et une manières d'exercer le pouvoir et d'abuser (amuser) le peuple. Morale et politique y tiennent de réputation leur divorce. Soit ! J'y vois surtout l'incompatibilité entre pensée et action ; entre sagesse et politique - si l'on préfère. Leurs chemins parfois se croisent ; inopinément ! Et c'est parfois merveille ; souvent horreur.

Celui-ci a l'illusion de la jeunesse pas encore tout à fait passée : il s'aimerait, pour sa gloire autant que pour les autres, changer vie, monde et avenir. Il se croit détenteur d'une clé et presque capable d'ouvrir la porte qui nous sépare de notre avenir. Il ne sait pas que l'histoire est tragique ! Est en train de l'apprendre. Il n'est pas de pire menace, par grande maladresse ou par mégalomanie, que celle ourdie par ceux-là qui se veulent honorer du titre de bienfaiteur de l'humanité.

Je sais à peu près jusqu'où on peut penser sans trop défaillir : c'est avancer sur le chemin forestier que de réaliser qu'il ne mène pas forcément quelque part. Je ne sais pas trop jusqu'où l'on peut agir ni espérer que le temps, les autres et les aléas ne couvrent le faible écho de ses efforts. La seule chose que je sache est qu'avec un peu de prudence et beaucoup de lucidité, on peut tâcher que sa pensée ne soit pas dangereuse ; s'y efforcer en tout cas. Que même prudence et lucidité n'épargnent pas que le moindre geste n'eût demain des conséquences nulles au mieux, catastrophiques souvent. C'est là peut-être la gloire des politiciens de partir à la manœuvre nonobstant et ici la honte ( la trahison) des intellectuels de se taire et de ne rien tenter.

D'entre ces deux maux, je ne sais lequel est moindre. D'entre être abusé ou désabusé !

Celui-ci qui est président, qui tour à tour m'agace et me révolte, à l'occasion m'émeut fait l'apprentissage de la vanité des choses. Il n'est décidément de vérité que de l'être ; que de l'autre.

Le technolâtre est une malédiction toujours qui n'a qu'une idée en tête ! une idée ? que dis-je un tour de main. Renoncer à la chose, à la dureté de la pierre.

Je marche sur la glace ! Ah enfin !!!