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Sur Alain
Le prétendu remarquable Alain est mort. Dans Combat, flot de panégyriques extraordinaires : Jean Prévost, Maurois, Maurice Nadeau, Pierre Bost, pour lui « le seul grand homme », S. de Sacy. Pauvres gens, à qui il a fallu un professeur pour leur mettre quelque chose dans le cerveau, « apprendre à penser », comme dit Jean Prévost. On cite de cet Alain cette sorte de principal principe de sa doctrine : « Il faut aller à la vérité de toute son âme », ce qui est de la littérature, et assez niaise. Pilate lui était bien supérieur en esprit, en pensée, en jugement critique, avec son : « Qu'est-ce que la vérité ? » Et en effet, elle est multiple, elle a d'innombrables faces, et chacune de ces faces a son contraire. Au point qu'on peut dire qu'elle n'existe pas. Ce mot de Pilate, d'une autre hauteur philosophique que les propos de cet Alain, disciple de Lagneau, que Barrès disait n'être qu'un sot. Paul Léautaud (07.06.51)
Signe parmi d'autre de l'absence totale d'aménité du personnage. Alain n'est certes pas un grand homme mais il aura manifestement été un grand professeur qui a marqué tous ceux - et ils furent nombreux - qui suivirent ses cours, notamment Simone Weil, Raymond Aron, Georges Canguilhem, André Maurois, Julien Gracq … Or un prof de philo, quand il sait s'y prendre, marque à vie surtout en ces années-là où le cours de philosophie fonctionnait sciemment comme un rite d'initiation.
La remarque sur la vérité est parfaitement sotte. Léautaud se croit malin en dissertant sur la vérité : il aurait au moins pu avoir l'humilité de repérer qu'affirmer que la vérité n'existe pas fait partie de ces propositions qui se mordent la queue. Mais il n'a pas cette élégance. Il ne l'eut pas même pour lui-même. Et c'est encore jouer sur les mots que de faire croire qu'il eût rempli le cerveau de ses élèves. Un prof de philo ne dit pas ce qu'il y a à penser mais introduit tout au plus à la lecture des grands textes et apprend à procéder avec rigueur et prudence. C'est peu mais c'est tout. Et c'est énorme.
La philosophie nous éveille à ce que l’existence du monde et la nôtre ont de problématique en soi, à tel point que nous soyons à jamais guéris de chercher, comme disait Bergson, une solution “dans le cahier du maître. Merleau-Ponty
Pourtant ces deux-là on quelque chose de commun qui peut expliquer la rage du vieillard acariâtre : Alain s'est essentiellement consacré à son rôle d'enseignant et de chroniqueur. Ses propos ne font pas véritablement œuvre et il n'a laissé aucune philosophie qui fasse système. Plus prof que philosophe au sens de Camus. Léautaud non plus n'a rien laissé sinon son Journal. Amertume a posteriori ? Il y a quelque élégance à se mettre au service de la transmission ; de la pensée des autres. Celui-là sut le faire. Celui-ci demeura à hauteur du fiel de sa rancoeur.
Décidément !