Bloc-Notes 2018
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Camus, Carnet II, p 90

Les anciens philosophes (et pour cause) réfléchissaient beaucoup plus qu'ils ne lisaient. C'est pourquoi ils tenaient si étroitement au concret. L'imprimerie a changé ça. On lit plus qu'on ne réfléchit. Nous n'avons pas de philosophies mais seulement des commentaires. C'est· ce que dit Gilson en estimant qu'à l'âge des philosophes qui s'occupaient de philosophie a succédé l'âge des professeurs de philosophie qui s'occupent des philosophes. Il y a dans cette attitude à la fois de la modestie et de l'impuissance. Et un penseur qui commencerait son livre par ces mots : « Prenons les choses au commencement » s'exposerait aux sourires. C'est au point qu'un livre de philosophie qui paraîtrait aujourd'hui en ne s'appuyant sur aucune autorité, citation, commentaire, etc., ne serait pas pris au sérieux. Et pourtant...

 

J'y ai souvent songé à ce passage que ma prof de Terminale avait mis en exergue de son propre cours. Comment ne pas songer au cahier du maître de Bergson ou à cette rage de tout vouloir recommencer qu'évoque Husserl.

Il y a pourtant tellement de vanité à s'imaginer pouvoir se hisser aux origines et faire comme si rien avant soi n'eût d'importance. Ce n'est pourtant pas de cela dont il s'agit - ou pas exclusivement. Car c'est se perdre aussi que de vouloir, avant même d'entamer sa propre quête, brosser la recension de tout ce qui se pensait avant soi. Je l'avais deviné en commençant ma métaphysique présumant que je n'arriverais à rien tout au mieux à une énième analyse des présocratiques.

Alors quoi ?

Rien sinon prendre le double risque de la présomption et de la vacuité.

Faire comme si ?

C'était cela, peut-être, que chercha Ovide : raconter des histoires ; reprendre à son compte les vieilles histoires des dieux qu'avaient déjà racontées Homère, Hésiode ou d'autres encore ; les reprendre, les enjoliver ; y mettre son tout petit grain de sel, à peine sensible, pas même visible qui donnera pourtant ce goûteux suffisant pour susciter l'envie.

Il y a peut-être, d'entre la philosophie et la littérature, un sentier, étroit, sinueux mais majestueux parfois. C'est celui qu'emprunte tout grand-père à la découverte de ses petits enfants.