Bloc-Notes 2018
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Honte

Une de plus ! comme si ce n'était pas suffisant ! Même si je ne prise pas plus que de nécessité ces actes de contrition mémorielle par quoi il m'apparaît que nous nous donnons un peu trop vite bonne conscience sans avoir rien à changer ni à nos préjugés ni à nos comportements ; que je nourrisse quelque méfiance à l'égard de ces études post-coloniales prises en otage, comme les études genrées d'ailleurs - ainsi qu'on les nomme aujourd'hui - par des militants plus que par des chercheurs, empressés de faire valoir leur cause en se nourrisant des noirceurs de notre passé.

Pour autant ceci !

Cette série d'articles dans Libé qui révèlent ce dont nous aurions pu nous douter mais que nous n'avons pas voulu voir, ni désiré penser ; encore moins voulu dénoncer. Pourquoi donc l'exploitation coloniale, évidente, cruelle souvent, implacable en tout cas, se serait-elle arrêtée aux limites du champ, de l'atelier ?

La mise à disposition des corps est un grand classique de l'exploitation. Il n'est qu'à relire l'invraisemblable prose du Général Mangin (La Force Noire) pour comprendre que cette disposition des corps valut ô combien pour la chose militaire. Pourquoi ne se fût-elle pas étendue aux lits de plaisirs. L'esclavage toujours s'attarde en tous les registres de l'indignité humaine.

A peine soutenable !

Pourquoi donc songeais-je alors aux trois couches du temps de Braudel ? Sinon pour les traduire en cet autre registre, inversé, de l'espace ? Pour constater que nos pages d'histoires, les belles comme les moins belles, celles dont nous pouvons être fiers comme celles dont nous devrions avoir honte ; celles que nous avons appris dès nos tendres écoles comme celles que nous découvrîmes plus tard en nos matures pérégrinations ; toutes celles qui font partie de notre patrimoine, que nous les aimions ou non, sur quoi nous avons aiguisé mémoire, réflexion et dilection, toutes ces pages, oui, nous ne les avons regardées que de très haut, d'assez haut en tout cas pour ne pas être indisposés par les détails scabreux, gêné par les odeurs putrides, dégoûtés par les comportements sordides.

Ici aussi, il y a des couches successives, des strates qui se superposent et se cachent les unes les autres. Mais à l'inverse de celles de Braudel, c'est au fond que s'agitent frénétiquement les horreurs. A mesure que l'on remonte, les mouvements se font de moins en moins fougueux même si toujours violents pour ne laisser à la surface, comme seul tribut de gloire que les hauts faits, les œuvres et les héros.

Nous le savions, ne voulions pas toujours le retenir : les champignons poussent sur le fumier ; l'ordre sur le désordre. Sous les pavés d'impitoyables immondices.

Civilisations, de quelles putrescences faut-il payer votre prix ?