Bloc-Notes 2016
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Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte

Je n'ai pas lu ce roman de Jonquet mais connaissais ce poème de Hugo. Retrouvé aux détours d'une série TV où, mêlant actualité et fiction, les personnages, inspirés par lui, mirent en acrostiche la mort de Jonquet avec ce vers de Hugo qui fut aussi le titre de son dernier ouvrage.

Mai 1876, Hugo monte à la tribune du Sénat : il va défendre, en un discours admirable un projet d'amnistie signé aussi par Victor Schoelcher et Auguste Scheurer-Kestner qu'on retrouvera plus tard au moment de l'Affaire Dreyfus. Il la sait inacceptable pour cette assemblée de notables d'autant que la Chambre des députés venait de rejeter un projet semblable. Il y va, pour l'histoire, pour l'exemple ; par principe.

L'homme avait détesté ce qui lui parut être les excès de la Commune ; néanmoins il ne se trompa jamais de camp. Très vite, après l'écrasement de la Commune, il fit savoir que sa porte était ouverte. Sans doute est-ce à ceci qu'on reconnaît un grand : jamais il ne se trompe ni de cause ; ni de camp.

L'année Terrible, dont ce poème fait partie dit cet attachement.

L'effondrement de l'Empire et la proclamation de la République, la Commune puis son écrasement, ce qu'il faut bien nommer guerre civile et la perte des provinces de l'Est font que cette guerre, décidément, n'aura pas été tout à fait comme les autres ; font que l'effroi ressenti dépasse largement la contrariété d'une défaite.

Non il y avait ici comme un mystère : celui d'une histoire qui allait recommencer mais qui pour y parvenir crut devoir renier et massacrer ses propres enfants. La République n'était pas inscrite dans la défaite : les élections de 71 le montrèrent qui donnèrent pleine majorité aux monarchistes. Pour qu'elle jaillît de ces décombres, il aura fallu, certes, l'habileté de Gambetta, la rouerie de Thiers et la sottise des monarchistes ; il aura fallu surtout une détestation partagée. Paradoxalement, la Commune permit la naissance d'une république on ne peut plus bourgeoise.

Il est ici aussi le grand mystère qu'à sa façon G Doré soulève mais ne dévoile pas dans son Énigme : l'incapacité à rien construire sans détruire ; cette tragique et altière assurance des colonnes de fumée et de feux ; cette sotte propension de l'homme à toujours mettre sa survie en jeu pour se croire héros de son histoire.

Mais ici bien plus encore qu'avec sa magnifique scansion binaire, Hugo pointe avec toute l'humanité solidaire dont il est capable mais la gravité aussi que sa lucidité ne cache jamais. La mère, ici, renie ses enfants.

Elle a peur et on le sait, la peur est toujours mauvaise conseillère.

Décidément, comme en 89, comme en 94 on n'aimera jamais autant le peuple que lorsqu'il bouscule l'ordre établi mais rentre aussitôt dans le rang pour laisser les choses sérieuses aux experts, aux notables. Belle figure de proue, colifichet que l'on porte en sautoir, comme les chrétiens le crucifix, le peuple est un slogan que l'on n'arbore que pour aussitôt l'oublier ; réalité que l'on déteste - en l'avouant même parfois !

Du peuple : je crois bien en avoir écrit quelques pages !

Je m'étais, il y a longtemps déjà, interrogé sur ce qu'être de gauche pouvait signifier : il n'est qu'à lire Hugo. N'avoir jamais peur du peuple. Être à ses côtés, toujours ; en dépit de tout.

Dans les effluves médiatiques, dans les remugles de la pré-campagne actuelle, je devine toutes les hantises, toutes les trahisons à venir : Taubira voit juste qui craint la gauche en passe de disparaître des radars. Elle parle de valeurs : pourquoi pas ; même si je n'aime pas ce terme être galvaudé.

Nous allons payer très cher ce quinquennat raté : il le fut non pas parce que l'on n'eût pas tenu ses promesses - si peu furent prononcées ; il le fut parce qu'on voulut être sérieux ; rigoureux et expert ; qu'on joua la technique contre la politique ; il le fut parce qu'on a abandonné le peuple pour satisfaire les critères internationaux de la finance publique. Il le fut parce qu'on a oublié tout objectif politique clair. Il le fut parce que l'on a abandonné le peuple.

Cette bourgeoisie a peur : oui, nous somme leur crainte. Elle parlera de nous, parlera surtout à notre place ; oindra nos plaies de quelque putride démagogie et nous laissera à nos désarrois, prompts à céder aux pires sirènes. Oui, elle est notre épouvante.

Année terrible : pas seulement parce que ces élections signent pour la gauche la chronique d'une défaite annoncée - elle a si souvent perdu en son histoire ; parce que le choix ne sera qu'entre la peste et le choléra - entre une droite toute frétillante d'aller bientôt se vautrer dans la couche de l'extrême et une droite plus policée et apparemment plus vertueuse mais qui s'impatiente de nous administrer l'ordonnance ultra-libérale - sous couvert de réformes nécessaires ou d'adaptation à la modernité - qui nous laissera exsangues et soldera les comptes des maigrelettes avancées sociales des dernières années.

Il m'arrive parfois de rêver de la grande colère d'un peuple s'impatientant subitement ; je crains que Roudinesco n'eût raison d'évoquer le désir inconscient de fascisme.

Je ne sais qu'une chose : en dépit de ses gesticulations parfois ridicules, la gauche nous a abandonnés. Hugo, non !