Bloc-Notes 2016
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Odon Vallet
Aux origines de politique, Mots Mars 1989

 

L'origine du terme ne semble guère discutée et se trouve dans une racine indo-européenne 0p.l- évoluant souvent en °p.r-. L'idée générale semble celle d'un lieu élevé favorable à la défense et donc à la richesse : une enceinte, généralement fortifiée, où sont abritées provisions et ressources. En tant qu'espace clos, cette enceinte délimite un contenu et un contenant. On peut donc dire qu'à l'origine la polis était le lieu enclos ; on peut dire aussi que c'était le peuple assemblé dans cet enclos.

Les langues germaniques mettent l'accent sur l'élévation : le berg ou burg, proche de polis sinon par l'origine du moins par le sens, peut être aussi bien un mont des Flandres qu'une ville maritime mais entourée de hauts murs. La domination naît ici de la position supérieure qui avantage le défenseur par rapport à l'assaillant. L'histoire des batailles confirme cette victoire du haut sur le bas et enseigne le prix qui s'attache à la conquête des plateaux ou des collines comme le malheur qui stagne dans les marais ou les cuvettes. Et la victoire, en politique, c'est souvent la conquête d'un siège ou la défense d'un bastion : un lieu éminent, une situation élevée.

Ultérieurement, le bourg deviendra le lieu politique par excel­lence, celui où des bourgeois, à l'abri des pillages grâce aux remparts, pourront développer une politique intérieure : le bourg anglais ( borough) deviendra la circonscription-type, la surface enclose où se développent richesses et franchises.

Quand l'explosion urbaine abattra les remparts, les faubourgs du prolétariat entreront en lutte contre les bourgs des bourgeois. Lorsqu'ils menaceront de l'emporter, on divisera ou on réduira le pouvoir des faubourgs (cf. éclatement des départements de la Seine et de la Seine-et -Oise en 1964, réduction des pouvoirs du « Grand Londres » à l'initiative de Margaret Thatcher). Mais, surtout, on établira des remparts invisibles sous la forme de « murs de l'argent » : les prix de l'immobilier réservent la ville aux plus aisés et rendent les bourgs aux bourgeois. On mesure là le rôle primordial de l'enceinte (cf . sanskrit pur = mur enceinte) comme périmètre protégeant un intérieur avare contre un extérieur avide.

La rétention et la convoitise peuvent affecter l'intérieur même de l'enceinte. D'où la nécessité d'une deuxième surface enclose, plus petite, où sont abrités les trésors, souvent « sacrés ». Tel est le rôle de l'« acropole » (akron-polis). Mais aussi des temples ou cathédrales aux lourdes portes comme des châteaux forts des gouvernants.

Aujourd'hui, le degré d'ouverture d'un régime se mesure souvent à la plus ou moins grande perméabilité de ses institutions, « maisons de verre » ou « bastions ». Rien de commun entre le modeste 10, Downing street et l'imposant Kremlin, entre les résidences quelconques des dirigeants scandinaves et les puissantes forteresses de tant de dictateurs. La Cinquième République n'est peut-être devenue concrètement démocratique que le jour où le général de Gaulle s'est résigné à l'Elysée et a renoncé à ses projets de déménagement au château de Vincennes, préférant ainsi une « folie » avec ses risques à un donjon inexpugnable.

Le mot politique induit donc une double dimension, verticale et horizontale. La verticalité du bourg (berg) ou de la citadelle (akropolis) naît des impératifs de défense, tandis que l'horizontalité de la circonscription (borough) ou de la cité (polis) provient des besoins de l'échange.