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Accueil->Bloc-Notes->Décembre 15 -

Veille

 

Bien sûr, comme tous, remontent en mon âme ces chants que nous entonnions le plus souvent en leur version allemande au pied d'un sapin surchargé de bougies, que mon père mettait tant de temps et de prudence à allumer, un sapin qui me paraissait immense mais peut-être ne l'était-il que pour ma toise d'enfant. Je ne me souviens pas avoir cru en l'existence du Père Noël ; sans doute. Mais ces senteurs de cire chaude crissant sur les épines, ces flammes à la fois si fragiles et tenaces envahissant le plafond de leurs ombres dansantes, ces rouge, vert et jaune se disputant la primeur de nous faire oublier la froidure neigeuse du dehors auront largement pourvu mes rêves d'enfant.

Si magie il y eut, elle tenait à notre entrée dans la pièce que le sapin envahissait de toutes ses lueurs et senteurs, et à l'écart de quoi nous avions été maintenus le plus longtemps possible. Les miens avaient le sens du rituel dont jamais ils n'imaginaient pouvoir déroger. Toujours le même.

Dans l'après-midi on nous emmenait mon frère et moi au cinéma voir le dernier Disney. Ce n'était pas encore la magie mais déjà le plaisir. Sortir, en fin de séance, c'était entrer d'abord dans la nuit, froide et quelquefois enneigée : partout des odeurs, des lumières clignotant et ce monde s'attardant, en attendant la fête ou la préparant, achetant l'ultime bredele qui accompagnera le dessert ou cette si charmante étoile qui trônera en cime de l'arbre. C'est que le cinéma se trouvait place Broglie et la sortie nous précipitait en plein milieu des vapeurs de vin chaud du Christkindelsmärik ...

Nous nous précipitions, anxieux et excités, vers la demeure de nos grand-parents qui avaient profité de ce répit pour orner le sapin. Alors, il fallait bien attendre. Dans la cuisine où ma grand-mère avait toujours à s'affairer et où se mitonnaient les délices du repas se succédaient les histoires qu'on nous racontait, très édifiantes pour ma grand-mère, trop, à quoi nous préférions celles de notre grand-père, moins morales mais tellement plus excitantes. Bien sûr nous étions empressés d'ouvrir nos cadeaux - comment imaginer qu'il n'y en eût point ? - encore fallait-il auparavant, assis en cercle autour du sapin écouter un morceau de Bach, entendre mon père qui tenait trop à la solennité du moment pour ne pas lire quelques versets retraçant la sortie d’Égypte et d'autres où il savait la promesse d'Alliance devoir nous engager. Seulement alors advenait le temps des enfants, sous des chants qui tintent encore dans ma mémoire et que reprenait l'assemblée dans ce qui me paraissait être joie fervente : le froissement des papiers le disputaient aux rires fusant au milieu des mercis que nous n'omettions pas d'adresser.

Je ne me souviens pas vraiment des cadeaux, ni d'ailleurs de la suite de ces réveillons, moins encore de ce que nous y mangions. Seulement de l'empressement que nous mettions à précipiter ce repas pour, très vite, retourner à nos jeux ; mais du réconfort surtout ressenti à chaque fois devant la réunion des deux pendants de notre si petite famille. Signe s'il en est que la présence importe plus que les présents, que l'entêtement que nous mettons à l'hyperbole, quoique marque de la fête, comble décidément moins l'âme que les prémices qui nous y enjoignent.

Mes enfants ont grandi, se sont éparpillées et je ne parviens plus à regarder un sapin avec leurs yeux. Nostalgie ? non pas même ! juste le regret de n'être sans doute pas parvenu à leur transmettre cette densité si lumineuse. Reste la famille, ma famille, à quoi je me découvre plus incroyablement attaché que je ne voulus jamais l'admettre ; mes filles qui d'un même tenant m'inondent de passé et me précipitent d'avenir.

Je crois deviner pourquoi il faut redevenir comme des enfants et soupçonne Noël d'en demeurer une opportunité si souvent ratée.

Savoir accueillir l'enfant qui est en soi ....

Comment dire autrement que l'histoire, à jamais, demeure tragique ? Comment ne pas s'émouvoir, comme en ce jour de Noël, devant une promesse qui s'accomplit, mais ne pas désespérer de l'issue désastreuse qu'immanquablement elle appelle ?

Je n'arrive pas, plus, à séparer ces deux images. Est ce un effet de l'age ? Sont-ce mes filles, trop adultes désormais pour enjoliver cette veille de ce qu'improprement on aura appelé magie de Noël ? Je ne crois même pas.

Je ne me résous pas, simplement, à voir les lueurs ainsi se tenir de tant de surdités, s'éteindre de tant de déshonneurs. Est-il si difficile de vivre sans empeser le monde de ses vanités ? Pourtant combien, enfant, cela m'avait paru aisé ; simple. Ce le fut même peut-être.

Tenter encore et toujours de reprendre le chemin ...