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Accueil->Bloc-Notes->Décembre 15

L'appel

Celui-ci n'est pas tout à fait un homme comme les autres et s'il n'est pas le premier qui fût interpellé, il n'en reste pas moins le fondateur, celui qui parle, transmet et donne la loi. Il est en même temps la cheville ouvrière d'une promesse qui se veut tenir. Lui aussi, à sa façon aura du être préparé.

Étrange destin en effet que celui de Moïse : la rage de Pharaon de voir les juifs croître en dépit de l'asservissement où il les avait réduits lui avait fait enjoindre les sage-femmes de tuer tous les nouveaux-nés mâles. Le refus de celles-ci et l’ingéniosité de sa mère en firent un survivant mais aussi un exilé dans sa propre maison. Élevé comme un frère dans la famille des puissants, mais fils d'esclave, il se rebelle et doit fuir. Il se fera berger, nomade par excellence, lui qui n'a pas de terre et ne peut même revenir sur les lieux de ses entraves.

L'histoire est connue ; mérite néanmoins qu'on s'y arrête. Car j'y vois au moins trois traits qui signent l'Envoyé :

Des signes

Aussi est-il écrit : Je détruirai la sagesse des sages, Et j'anéantirai l'intelligence des intelligents.
Où est le sage ? où est le scribe ? où est le disputeur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde ?
Car puisque le monde, avec sa sagesse, n'a point connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication.
Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse :
nous, nous prêchons Christ crucifié ; scandale pour les Juifs et folie pour les païens,
mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs.
Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.
1, Cor, 1, 19
Je ne puis détourner mon attention de ce passage de l’Épître aux Corinthiens laissant dos à dos philosophie grecque et religion hébraïque, sagesse et signe, comme si ces deux fondements de notre culture, qui forment pourtant l'intersection même où se meut Paul, n'étaient jamais que la marque même de l'échec. Un échec, une dérive en tout cas qui débute très tôt; l'épisode du péché original mis à part, puisqu'on le retrouve dès la redescente du Sinaï avec celui du veau d'or.

Il y a quelque chose ici d'à la fois pathétique et paradoxal : la toute-puissance divine tenue en échec par la nuque raide de son peuple ! L'histoire, assurément peut commencer puisque justement elle n'était pas écrite d'avance. Est-ce un dialogue ? encore faudrait-il reconnaître qu'il commence mal ; encore faut-il reconnaître que ce n'est pas un dialogue d'égaux même si reconnaissance il y a : l'un commande, l'autre doit obéir même si c'est cela à quoi il est rétif. Or ceci revient exactement à ne pas voir les signes ; à ne pas écouter ...

L'histoire humano-divine est celle d'une série continue d'échecs dont il est de mise de convenir qu'ils sont le fait de l'homme mais qui illustrent néanmoins combien la relation n'est ni aisée ni évidente ; combien il ne suffit pas de parler pour être entendu - ce que tout enseignant apprend très vite en son métier ; combien elle met à mal - c'est le cas de l'écrire - la toute puissance divine. Avec la parole, puis avec le signe, c'est le fragile qui s'insinue dans le relation. Il faut y regarder de plus près.

De quoi s'agissait-il alors sinon d'idolâtrie ?

 

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1) cf R Girard