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Nietzsche

Je l'ai découvert tôt celui-là, dès ma première année de fac, initié par un jeune prof passionné - E Blondel qui a fait son chemin depuis ce début des années 70. Il me fascina, évidemment : il y a chez lui quelque chose de cette incroyable insolence qui renverse la table, mais d'inventif surtout, qui ne pouvait que séduire. J'appris la philosophie ainsi, par les grandes remises en question avant même de bien connaître ceci même qui était renversé. Époque amusante au fond, où la trinité Marx/Freud/Nietzsche remplaçait celle plus vénérable de Platon/Aristote/Descartes. Saupoudrée de structuralisme dont je ne mesurais alors ni les implications ni les limites, l'époque qui ignorait vivre les ultimes illusions de l'après-guerre n'en finissait pas d'accoucher d'une modernité qu'elle voyait comme l'envers de l'ancien monde, qui s'achèverait pourtant dans un conformisme incroyable où sous l'aune de la liberté, suinte la soumission la plus implacable.

Nietzsche pourtant n'aura cessé d'à la fois me fasciner et déranger. Sans doute y eut-il dans cette philosophie à coup de marteau quelque chose qui y prédisposait. Avec Céline, dont je reconnais l'insolite et salutaire inventivité, mais Heidegger aussi, dernier des grands - je crains bien que depuis il n'y eût que des profs de philo - ils occupent l'Enfer de ma bibliothèque. Les trois pour leur rapport étrange avec le fascisme.

Oh bien sûr il n'y est pour rien et le fait est assez connu de l'édition posthume très orientée que la très scrupuleuse E Förster-Nietzsche assura de main autoritaire après la mort de celui-ci en 1900.

Définition de l'antisémite : envie, ressentiment, rage impuissante comme leitmotiv de l'instinct, la prétention de l'« élu » : la plus parfaite manière moralisante de se mentir à soi-même - celle qui n'a à la bouche que la vertu et tous les grands mots. Et ce trait typique : ils ne remarquent même pas à qui ils ressemblent à s'y méprendre. Un antisémite est un juif envieux - c'est à dire le plus stupide de tous...
Fragment Posthume 21 [7]

Ce seul passage suffira à le disculper et on en trouve d'autres bien peu amènes sur l'Allemagne pour saisir qu'il n'aura jamais retraduit ses critiques acerbes d'une culture en jugement ethnique comme on dit aujourd'hui, raciste en fait. Mais ne fait pas disparaître tous ces aphorismes pour le moins ambigus sur le Surhomme, la force de l'instinct ... La sœurette n'était pas de la première honnêteté mais le style provocateur facilitait assurément les choses ...

Non ce qui, avec le recul, me gêne, tient plutôt à cette démarche commune à ce que l'on a nommé philosophie du soupçon, et qui sous l'évantaire de l'argumentation, consiste toujours à interroger non pas la validité, la cohérence d'une proposition ou d'une théorie, mais ses origines, évidemment troubles, sans doute inconscientes. Séduisant pour qui a un procès à intenter car l'on sait bien qu'en ce jeu-ci nul ne sort indemne, beaucoup moins pour qui crut naïvement philosophie signifier dialogue, controverse, débat, confrontation. K Popper avait dénoncé la non falsifiabilité de ces approches mais après tout qu'une théorie ne soit pas scientifique n'est pas rédhibitoire en soi.

Ce qui dérange c'est que l'on ne s'adresse plus à ce que dit l'autre mais aux motivations secrètes qui l'animeraient - ce qu'à l'époque on résumait par cette invraisemblable question : d'où parles-tu ?

Il y a ici quelque chose de l'ordre du jeu de massacre - était-ce vraiment cela philosopher à coup de marteau ? Nihilisme quand tu nous tiens !

Qui pourtant plus que lui aura dit le bien, lui voulut parler au delà du bien et du mal ; qui plus que lui de son Zarathoustra à Ecce homo contrefit le religieux ou le prophétique ? qui plus que lui prit plus les armes contre le nihilisme lors même qu'il laissa derrière lui un champ de ruines ...


Miserere de Nietzsche : et oui ! étonnant ...