Textes

Correspondance, trad. Charles Appuhn, lettre 75, 1e janvier 1676.

Je ne soumets Dieu à aucun fatum, mais je conçois toutes choses comme suivant avec une nécessité inéluctable de la nature de Dieu, comme tous conçoivent qu'il suit de la nature de Dieu qu'il se connaît luimême. Nul ne nie que ce soit là une conséquence nécessaire de la nature de Dieu et cependant nul ne croit que Dieu se connaît luimême en vertu d'une contrainte qu'exercerait sur lui un fatum, mais avec une liberté entière bien que nécessairement. [ ... ]

Cette nécessité inévitable des choses ne supprime ni la loi divine ni les lois humaines. Les enseignements moraux, qu'ils reçoivent ou non de Dieu une forme juridique, sont toujours divins et salutaires, et le bien qu'engendre la vertu et l'amour de Dieu, qu'il nous vienne de Dieu conçu comme un juge ou découle de la nécessité de la nature divine, n'en sera ni plus ni moins désirable, comme en revanche les maux qu'engendrent les actions et les passions mauvaises ne sont pas moins à redouter parce qu'ils en découlent nécessairement et enfin, que nos actions soient nécessaires ou qu'il y ait en elles de la contingence, c'est toujours l'espérance et la crainte qui nous conduisent .

Les hommes ne sont [. .. ] inexcusables devant Dieu que pour cette seule raison qu'ils sont en son pouvoir comme la terre est au pouvoir du potier qui, de la même matière, tire des vases dont les uns sont faits pour l'honneur, les autres pour le déshonneur. [. .. ]

J'ai tenu pour choses équivalentes les miracles et l'ignorance parce que ceux qui entreprennent de fonder l'existence de Dieu et de la religion sur les miracles, veulent démontrer l'obscur par le plus obscur et introduisenf une façon nouvelle de raisonner: ce n'est plus la réçluction à l'impossible [. .. ] mais à l'ignorance. Jai d'ailleurs [. .. ] suffisammènt expliqué mon sentiment sur les miracles dans le Traité théologicopolitique. .rajouterai seulement cette observation: le Christ n'est pas apparu ni au Sénat, ni à Pilate, ni à aucun infidèle, mais seulement aux saints; si vous voulez bien y faire attention, si vous considérez que Dieu n'a ni droite ni gauche, et qu'il n'est point -en un lieu, mais partout, par essence, que la nature est partout identique à eUe-même, que Dieu ne se manifeste pas hors du monde dans l'espace imaginaire que l'on se forge, qu'enfin l'assemblage du corps humain est astreint par le seul poids de l'air à se mouvoir dans des linùtes déterminées, vous verrez _sans peine que cette apparition du Christ ne diffère pas de l'apparition de Dieu à Abraham, quand ce dernier vit trois hommes et les invita à dîner. Mais, direz-vous, tous les Apôtres ont cru sans réserve que le Christ était ressuscité d'entre les morts et était réellement monté au ciel. Je ne le nie pas: Abraham aussi a cru que Dieu avait pris chez lui un repas[. .. ], alors que, dans tous ces cas et dans plusieurs autres, il ne s'agissait que d'apparitions ou de révélations adaptées à la compréhension et aux opinions des hommes et par où Dieu a voulu leur révéler sa pensée. Je conclus donc que la résurrection du Christ d'entre les morts fut en réalité toute spirituelle. [ ... ] » •