Textes

Correspondance , Lettre 43 à J. Ostens, trad. Appuhn .

. . . Pour éviter de tomber dans la superstition, j'aurais selon lui renversé toute la religion. [ ... ]Mais je vous en prie, estce renverser toute la religion que d'affirmer qu'il faut reconnaître Dieu comme étant le souverain bien, et l'aimer comme tel d'une âme libre? De croire qu'en cet amour consiste notre félicité suprême et notre plus grande liberté? Que la récompense de la vertu est la vertu même et que le châtiment réservé à la déraison et à l'abandon de soi, c'est précisément la déraison? Tout cela, je ne l'ai pas seulement dit en termes exprès, je l'ai en outre démontré par les raisons les plus solides. Mais je crois voir dans quel bourbier cet homme est enfoncé. Il ne trouve rien qui lui plaise dans la vertu elle-même et la connaissance, et il aimerait mieux vivre en s'abandonnant à ses passions, n'était qu'il craint le châtiment. Il s'abstient des actes mauvais et observe les commandements divins en se faisant violence à lui-même et d'une âme hésitante, comme un esclave, et il espère que Dieu paiera son servage d'un prix qui à ses yeux vaut beaucoup mieux que l'amour de Dieu: d'autant plus cher qu'il a plus d'aversion pour le bien et se contraint davantage. C'est pour cela qu'il croit que tous ceux que la crainte ne retient pas, vivent sans frein et rejettent toute religion. Mais je laisse cela et passe à l'accusation qu'il porte contre moi d'enseigner subrepticement l'athéisme par une voie détournée. Le principe de son raisonnement est qu'il croit que je supprime la liberté de Dieu et la soumets au fatum . Or cela est certainement faux. J'affirme que toutes choses suivent avec une nécessité inéluctable de la nature de Dieu, de la même façon que tous affirment qu'il suit [découle] de la nature de Dieu qu'il se connaît lui-même. Personne certes ne nie que cela ne suive en effet de la nature de Dieu, et cependant personne ne conçoit que Dieu se connaît lui-même en vertu d'une nécessité contraignante , mais avec une entière liberté bien que nécessairement. Je ne trouve rien ici qui ne puisse être perçu par tous et, si mon accusateur croit néanmoins que cela est dit dans un mauvais dessein, que pense-t-il de son Descartes qui affirmait que rien ne peut être fait par nous qui n'ait été préordonné par Dieu [ ... ] ? Cette nécessité inéluctable des choses ne supprime d'ailleurs ni les lois divines ni les humaines. Car les enseignements moraux qu'ils reçoivent au nom de Dieu lui-même sous forme de lois, n'en demeurent pas moms divins et salutaires. Que le bien qui est la conséquence de la vertu et de l'amour de Dieu soit reçu par nous de Dieu comme nous le recevrions d'un juge, ou qu'il découle de la nécessité de la nature divine, il n'en sera ni plus ni moins désirable; et de même, les maux qui sont la conséquence des oeuvres mauvaises, ne seront pas moins à craindre parce qu'ils en sont une suite nécessaire; et enfin que nous agissions librement ou en vertu d'une nécessité, c'est toujours l'espérance et la, crainte qui nous mènent.» •