Textes

M Serres, Genèse
dernières lignes

Je ne sais qui a dit qu'on n'écrit pas d'abord avec des idées, mais en usitant des mots. Cela est si superficiel. Au commencement n'est pas le verbe. Le verbe vient où il est attendu. On écrit d'abord par une vague de musique, une vague de fond qui vient du bruit de fond, qui vient de tout le corps, peut-être, et peut-être du fond du monde ou de la porte de la salle, ou des dernières amours, porteuse de son rythme compliqué, de son tempo simple, de ses lignes mélodiques, flottement doux, chute cassée. On ne peut serrer sa plume, sans que cela, qui n'a pas de verbe encore, vole. Au commencement est le chant. Le langage n'est pas le sujet, il est encore moins l'infra-sujet, pourquoi ce redoublement inutile? Les mots prennent alors aisément place sur ce vol ou dans ce volume, même les mathématiciens les plus sévères savent qu'on n'invente ni ne démontre sans que soit venue l'harmonie secrète et juste de la notation. Alors la vague musicale embrasse l'espace, chasse-t-elle la fureur, efface-t-elle la rumeur, je ne sais, je sais que parfois elle cède le pas, négociant douloureusement la noise, qu'elle se diffuse ailleurs, qu'elle forme un espace neuf que la chamaille ignore encore, qu'elle invente un espace blanc, hors de cri, hors d'enfer, où déployer ses fastes paisibles et sa valeur de vérité fragile, avant que le bruit le couvre de nuit. Sous le verbe et la langue, cette onde, et sous l'onde, la noise noire. L'insu, l'infra-sujet de haine et de multiple, chaos ouvert, et fermé simplement sous les nombres. A l'ensemencement de la vague et de l'onde, comme au commencement du monde, est l'écho du tohu-bohu. Le verbe en sera le messie, et l'idée le messie du messie, attendu dans le bruit, espéré dans l'élévation de la renaissance musicale.