OVIDE, FASTES II - FEVRIER
AUTOUR DES LUPERCALES
(14 - 15 FÉVRIER) (2,243-474)
Constellations du Corbeau, de l'Hydre et de la Coupe (2,243-266)
Trois constellations se situent en enfilade, le Corbeau, le Serpent, et au centre, se cachant entre eux deux, la Coupe. |
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Le jour des Ides, elles restent cachées, et se lèvent la nuit suivante. Mon poème te dira la cause qui lie ainsi ces trois signes. Un jour, Phébus préparait une fête annuelle en l'honneur de Jupiter (notre anecdote ne nous retardera guère) : "Va, oiseau cher à mon coeur", dit-il, "ne retardons pas les rites pieux, |
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et apporte-moi un peu d'eau provenant d'une source vive". Le corbeau, de ses pattes crochues, saisit une coupe dorée et l'emporte, s'envolant bien haut pour traverser les airs. Un figuier se dressait, tout chargé de fruits encore verts ; Le corbeau y porte son bec : ils n'étaient pas mûrs pour être cueillis. |
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On raconte que, oublieux de l'ordre reçu, il s'installa sous l'arbre, attendant que les fruits aient tout le temps de mûrir. Une fois repu, il saisit dans ses serres crochues un long serpent, rentre chez son maître et lui fait ce rapport mensonger : "Voici la cause de mon retard, cet occupant des eaux vives, |
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qui gardait la source et m'entrava dans ma mission". "Tu ajoutes un mensonge à ta faute", dit Phébus, "et tes paroles ont l'audace de vouloir tromper le dieu devin ? Désormais, tant que la figue laiteuse restera attachée à son arbre, tu ne boiras pas, toi, l'eau fraîche d'aucune source". |
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Il parla et, perpétuant ces souvenirs d'un fait ancien, le Serpent, l'Oiseau et la Coupe, liés entre eux, scintillent au firmament. |
Les Lupercales du 15 février et leur origine arcadienne (2,267-302)
La troisième Aurore après les Ides, on voit les Luperques nus et les fêtes sacrées se dérouler en l'honneur de Faunus le cornu. Piérides, dites-moi l'origine de ces rites, d'où viennent-ils |
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et comment ont-ils atteint les demeures des Latins ? On dit que Pan, dieu du troupeau, était vénéré chez les anciens Arcadiens ; il était partout présent sur les sommets d'Arcadie. En témoigneront le mont Pholoé et les ondes du Stymphale, |
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les hauteurs du bois de Nonacris, entourées de pinèdes, et la fière Tricrènè ainsi que les neiges de Parrhasie. Là, Pan était le dieu du bétail, Pan était le dieu des cavales, il recevait une offrande pour assurer le salut des brebis. Évandre amena avec lui ces divinités sylvestres : |
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là où est la Ville actuelle, il n'y avait alors que son emplacement. C'est pourquoi nous célébrons ce dieu et les rites amenés par les Pélasges : le flamen Dialis était présent à ce rituel, en vertu d'une loi antique.
Pourquoi donc, demandes-tu, courent-ils ainsi, posant leurs vêtements et se présentant tout nus ? Car c'est ainsi qu'on les voit d'habitude. |
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Le dieu lui-même, véloce, aime courir sur les hauteurs, et c'est lui aussi qui provoque les fuites soudaines. Le dieu, qui est nu, veut que ses servants soient nus ; et un vêtement serait bien incommode pour courir. Avant la naissance de Jupiter, les Arcadiens, dit-on, |
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possédaient la terre, et cette nation exista avant la Lune. La vie, que nul usage n'avait troublée, ressemblait à celle des bêtes ; les gens étaient encore inexpérimentés en art et incultes. Pour maisons, ils avaient les feuillages ; pour moissons, les herbes sauvages ; l'eau qu'ils puisaient de leurs deux mains était leur nectar. |
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Nul taureau ne s'essoufflait à tirer le soc recourbé, nulle terre n'était assujettie à un laboureur. À cette époque, on n'usait point du cheval ; on se portait soi-même. La brebis gardait la laine qui lui enveloppait le corps. On vivait à la belle étoile, et chacun se déplaçait, le corps nu, |
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aguerri et supportant averses et vents pénibles. Maintenant encore, les Luperques sans vêtements rappellent l'antique coutume et témoignent des ressources anciennes. |
Faunus, Hercule et Omphale et la nudité des Luperques (2,303-358)
Mais pourquoi principalement Faunus évite-t-il les vêtements ? Une anecdote ancienne, pleine de sel, nous l'explique. |
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Un jour, le jeune Tirynthien accompagnait sa maîtresse ; Faunus, du haut d'un mont, les aperçut tous deux. Il les vit, s'enflamma et dit : "Divinités de la montagne, plus rien ne me lie à vous : voici désormais l'objet de mon ardeur". La Méonienne s'avançait, ses cheveux parfumés sur les épaules, |
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attirant les regards avec son vêtement tissé d'or. Elle était cependant à l'abri des chauds rayons du soleil, grâce à Hercule, qui tenait dans sa main une ombrelle dorée. Déjà elle rejoignait le bois de Bacchus et les vignes de Tmole, tandis qu'Hespérus, humide de rosée, s'avançait sur son cheval sombre. |
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Omphale pénètre dans une caverne tapissée de tuf et de roche vive ; tout près de l'entrée coulait un ruisseau au doux gazouillis. Tandis que ses serviteurs préparent repas, vins et boissons, elle revêt l'Alcide de ses propres atours. Elle lui tend ses tuniques légères, teintes de pourpre de Gétulie, |
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elle lui passe la souple ceinture qui à l'instant lui serrait la taille. La ceinture est trop courte ; Hercule donne du jeu aux attaches pour laisser le passage à ses grandes mains ; il avait cassé les bracelets, qui n'étaient pas adaptés à ses bras et ses énormes pieds rompaient les fines lanières des sandales. |
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De son côté, elle prend la lourde massue, la dépouille de lion et les plus petits des traits enfouis dans leur carquois. Ainsi parés, ils prennent leur repas, puis livrent leurs corps au sommeil ; ils avaient posé les lits côte à côte et reposaient séparément : la raison en était qu'ils préparaient en l'honneur de l'inventeur de la vigne |
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un sacrifice qu'ils accompliraient, au lever du jour, en état de pureté.
Il était près de minuit. À quelle audace renonce un amour sans retenue ? Dans l'obscurité, Faunus parvint à l'antre humide ; voyant leurs compagnons abîmés dans le sommeil et le vin, il se met à espérer que les maîtres connaissent la même torpeur. |
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L'amoureux entre et erre un peu au hasard ; prudemment il tend les mains en avant et progresse à tâtons. Il était parvenu à la couchette convoitée du lit de repos, et, dès sa première tentative, était près d'atteindre son bonheur ; touchant la toison du lion fauve hérissée de poils, |
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il prit peur et retint sa main ; épouvanté de frayeur, il recula, comme souvent un voyageur retire son pied quand il se trouble à la vue d'un serpent. Alors, il touche les étoffes délicates du lit voisin, et se laisse abuser par cet indice trompeur ; |
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il monte et se couche sur le lit tout proche de lui ; son membre gonflé était plus dur qu'une corne. Entre-temps il relève les tuniques à partir du bas : des jambes rugueuses apparaissent hérissées de poils. Faunus tentant d'autres gestes, le héros de Tirynthe le repoussa brusquement, |
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et le fit tomber du haut du lit. Un bruit retentit ; la Méonienne appelle ses suivants, demande de la lumière ; on apporte des torches ; les faits sont manifestes. Faunus, projeté avec force du haut du lit, pousse un gémissement et a bien du mal à se relever de la terre dure. |
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Alcide rit, de même rient ceux qui l'ont vu à terre, la jeune femme de Lydie se rit aussi de son amoureux. Abusé par un vêtement, le dieu n'aime pas les vêtements trompeurs et invite des hommes nus à célébrer son culte. |
Romulus et Rémus poursuivant les brigands et les Luperques (2,359-380)
À ces causes étrangères, ô ma muse, ajoute des causes latines, |
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et fais courir notre coursier dans la poussière qui est la sienne. C'est la coutume d'immoler une jeune chèvre à Faunus aux pieds cornus, et la foule arrive, invitée à un modeste repas. Et tandis que, vers le milieu du jour, les prêtres préparent la fressure l'enfilant sur des piques de saule, Romulus, son frère |
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et les jeunes bergers exposaient leurs corps nus dans la plaine ensoleillée. Maniant cestes et javelots, lançant de lourdes pierres, ils s'amusaient à éprouver la force de leurs bras. D'une hauteur, un berger dit : "Romulus, Rémus, là-bas, à l'écart, |
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dans la campagne, des brigands emmènent vos boeufs". S'armer eût pris trop de temps : tous deux s'en vont en sens opposés et Rémus tombe sur le butin qu'il récupère. Sitôt revenu, il retire des broches la fressure qui grésille et dit : "Assurément, personne, sinon le vainqueur, ne la mangera". |
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Il fait ce qu'il a dit et les Fabii de même. Romulus, sans avoir rien pris, rentre et aperçoit les tables et les os tout pelés. Il rit mais supporte mal la victoire des Fabii et de Rémus, tandis qu'échouaient ses compagnons, les Quintilii. Le souvenir de cet incident subsiste : les Luperques courent sans vêtements, |
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et cet heureux événement se perpétue dans les mémoires. |
Romulus et Rémus et le Lupercal (2,381-422)
Peut-être voudrais-tu savoir pourquoi cet endroit s'appelle Lupercal, ou bien pour quelle raison ce jour est lié à un tel nom. La Vestale Silvia avait mis au monde des rejetons divins, au temps où son oncle paternel occupait le trône royal. |
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Celui-ci ordonne d'enlever les petits et de les noyer dans le fleuve. Que fais-tu ? L'un de ces deux enfants deviendra Romulus ! Les serviteurs accomplissent avec réticence ces ordres consternants, et tout en pleurant, ils emportent pourtant les jumeaux à l'endroit indiqué. L'Albula, qui devint le Tibre le jour où Tibérinus se noya dans ses eaux, |
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était précisément tout gonflé par les eaux hivernales. En cet endroit où maintenant se trouvent les Forums, là où s'étend ta vallée Grand Cirque, on aurait pu voir des barques errantes. Une fois là, n'ayant pu s'approcher davantage, les serviteurs, tour à tour, disent : "Quelle ressemblance ! |
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Mais, comme ils sont beaux tous les deux ! Cependant, des deux, celui-ci a plus de force. Si la naissance se déduit du visage, si l'apparence n'est pas trompeuse, je présume qu'un dieu, je ne sais lequel, est en vous. Pourtant si un dieu était responsable de votre naissance, |
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il vous porterait secours, en une circonstance si périlleuse ; votre mère sûrement vous aiderait, si elle-même n'était démunie, elle qui, le même jour, devint mère et fut privée de ses enfants. Nés ensemble, destinés à mourir ensemble, sombrez ensemble sous les flots !" Il se tut et écartant les enfants de sa poitrine, il les déposa. |
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Tous deux vagissent en même temps : on eût dit qu'ils avaient compris. Les serviteurs rentrent chez eux, les joues humides de larmes. L'auge creuse contenant les bébés exposés se maintient à la surface de l'onde ; hélas, quelle destinée ce modeste berceau a portée ! Poussée vers un bois épais, l'auge se pose dans la vase |
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tandis que progressivement le fleuve se retire. Il y avait un arbre - des vestiges en subsistent - : et le figuier appelé aujourd'hui Ruminal était le figuier dit de Romulus. Miracle ! Une louve féconde arriva près des jumeaux abandonnés. Qui croirait que cette bête sauvage ne malmena point les enfants ? |
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Elle fut loin de leur nuire, et même elle les aida ; des proches avaient entrepris de perdre les nourrissons de la louve. La bête s'arrête ; de la queue elle caresse les tendres nouveau-nés et effleure de la langue leurs deux petits corps. À l'évidence, ils étaient nés de Mars : ils n'avaient pas peur. Trouvant les mamelles, |
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ils se nourrissent d'un lait qui ne leur avait pas été destiné. La louve donna son nom à cet endroit, qui donna le sien aux Luperques : la nourricière fut bien récompensée pour avoir donné son lait. |
Lupercales et rite de fécondation (2,423-452)
Mais qui empêcherait les Luperques de tirer leur nom d'un mont d'Arcadie ? Faunus possède un temple en Arcadie, sous le vocable de Lycaeus. |
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Jeune épousée, qu'attends-tu ? Ce ne sont pas des herbes efficaces, ni la prière ni une incantation magique qui te rendront mère ; endure patiemment les coups d'une main qui te fécondera : bientôt ton beau-père portera le titre envié de grand-père. Car il fut un temps où les femmes mariées, par un sort cruel, |
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mettaient au jour très peu de gages de tendresse nés de leurs entrailles. "À quoi me sert-il d'avoir enlevé les Sabines ?", s'écriait Romulus, au temps où il détenait le sceptre, "si mon acte injuste m'a valu la guerre, et non des renforts ? Mieux eût valu n'avoir pas de brus." |
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Au pied du mont Esquilin, un bois sacré, qu'on n'avait pas taillé des années durant, était dédié à la grande Junon. Un jour, des épouses et leurs maris arrivèrent à cet endroit et, ensemble, genoux fléchis, ils se prosternèrent en suppliants ; alors, soudainement, les cimes des arbres se mirent à bouger et à trembler, |
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et la déesse énonça à travers les bois ces paroles étonnantes : "Mères d'Italie, qu'un bouc sacré vous pénètre", dit-elle. La foule, effrayée, resta stupéfaite devant cette phrase ambiguë. Un augure, dont le nom s'est perdu au fil des ans, était arrivé récemment, exilé de la terre d'Étrurie. |
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Il sacrifie un bouc : sur son ordre, les jeunes filles offraient leurs dos pour qu'on les frappât à l'aide de la peau de bouc découpée en lanières. La lune lors de son dixième tour reformait son croissant, et soudain, le mari devint père, et l'épouse, mère. On rendit grâces à Lucina : c'est le bois sacré qui te valut ce nom, |
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ou est-ce parce que tu détiens, ô déesse, la source de la lumière. Protège, je t'en prie, bienveillante Lucina, les filles enceintes, et de leur sein extrais en douceur leur fardeau parvenu à maturité. |
Indications météorologiques et le signe des Poissons (2,453-474)
Lorsque le jour se sera levé, cesse pour ta part de te fier aux vents. La brise de cette saison n'est pas digne de confiance. |
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Les vents ne sont pas constants, et, sans verrou durant six jours, la porte de la prison d'Éole est large ouverte. Déjà le Verseau, léger grâce à son urne inclinée, s'est couché. Poisson, qui es tout proche, accueille les chevaux de l'éther. Selon la tradition, (car vos signes scintillent à l'unisson), |
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ton frère et toi avez soutenu deux dieux sur vos dos. Jadis, Dioné, fuyant le terrible Typhon, en ce temps où Jupiter prit les armes pour défendre le ciel, parvint à l'Euphrate avec son petit Cupidon et s'assit au bord du fleuve de la Palestine. |
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Les peupliers et les joncs occupaient le haut des berges, et les saules leur laissaient l'espoir de trouver aussi un abri. Pendant que Vénus se cache, le bruit du vent emplit le bois : pâle de frayeur, elle croit qu'une troupe d'ennemis s'approche. Et serrant son enfant sur son coeur, elle dit aussitôt : |
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"Nymphes, accourez, et portez secours à deux divinités !" Et, sans attendre, elle plongea. Deux Poissons jumeaux vinrent à son aide : c'est pourquoi maintenant, comme tu vois, des astres portent leur nom. Depuis lors, présenter du poisson au repas est sacrilège chez les Syriens, qui craignent de souiller leurs bouches avec ce genre de mets. |