palimpseste Textes

HUME, Traité de la nature humaine

Les hommes sont naturellement égoïstes ou doués seulement d'une générosité limitée ; aussi ne sont-ils pas aisément amenés à accomplir une action dans l'intérêt d'étrangers, sauf s'ils envisagent en retour un avantage qu'ils n'auraient aucun espoir d'obtenir autrement que par cette action. Or, comme il arrive fréquemment que ces actions réciproques ne peuvent se terminer au même instant, il est nécessaire que l'une des parties se contente de demeurer dans l'incertitude et qu'elle dépende de la gratitude de l'autre pour recevoir de la bienveillance en retour. Mais il y a tant de corruption parmi les hommes que, généralement parlant, il n'y a là qu'une faible garantie ; comme le bienfaiteur, suppose-t-on ici, accorde ses faveurs dans une vue intéressée, cette circonstance supprime l'obligation et établit un exemple d'égoïsme, et c'est la cause véritable de l'ingratitude. Si donc nous devions suivre le cours naturel de nos passions et inclinations, nous n'accomplirions que peu d'actions à l'avantage des autres sous l'influence de vues désintéressées parce que notre bienveillance et notre affection sont, par nature, très limitées ; nous n'en accomplirions que peu de ce genre sans égard à notre intérêt, parce que nous ne pouvons pas dépendre de leur gratitude. Voici donc que se perd en quelque manière le commerce de bons offices entre les hommes et que chacun se trouve réduit à sa propre habileté et à son propre travail pour son bien-être et sa subsistance.