Textes

Heidegger
le langage sous la dictature de la publicité
Lettre sur l'humanisme p 72-73

Lorsque la pensée, s’ écartant de son élément, est sur son déclin, elle compense cette perte en s’ assurant une valeur comme τεχνη, comme instrument de formation, pour devenir bientôt exercice scolaire et finir comme entreprise culturelle. Peu à peu, la philosophie devient une technique de l’ explication par les causes ultimes. On ne pense plus, on s’ occupe de « philosophie ». Dans le jeu de la concurrence, de telles occupations s’ offrent alors au domaine public sous forme d’ ... ismes et tendent à la surenchère. La suprématie de semblables étiquettes n’ est pas le fait du hasard. Elle repose, et particulièrement dans les temps modernes, sur la dictature propre de la publicité. Ce qu’ on appelle «existence privée» n’ est toutefois pas encore l’ essentiel, le libre être-homme. Elle n’ est qu’un raidissement dans la négation de ce qui est public. Elle reste la marcotté qui en dépend et ne se nourrit que de son retrait devant lui. Elle atteste ainsi malgré elle son asservissement à la publicité. Or celle-ci est l’ effort, conditionné métaphysiquement parce qu’ il a ses racines dans la domination de la subjectivité, pour diriger l’ ouverture de l’ étant vers l’ objectivation inconditionnée de tout et l’ y installer. C’ est pourquoi le langage tombe au service de la fonction médiatrice des moyens d’ échange, grâce auxquels l’ objectivation, en tant que ce qui rend uniformément accessible tout à tous peut s’ étendre au mépris de toute frontière. Le langage tombe ainsi sous la dictature de la publicité. Celle-ci décide d’ avance de ce qui est compréhensible, et de ce qui, étant incompréhensible, doit être rejeté.