Textes

Heidegger
Existence
Lettre sur l'humanisme p 82-83

L’ essence extatique de l’ homme repose dans l’ ek-sistence, qui reste distincte de l’ existentia pensée d’ un point de vue métaphysique. Cette existentia, la philosophie du Moyen Age la conçoit- comme actualitas. Kant la représente comme la réalité au sens de l’ objectivité de l’ expérience. Hegel la détermine comme l’ idée de la subjectivité absolue qui se sait elle-même, Nietzsche la conçoit comme l’ étemel retour de l’ identique. Quant à savoir si cette iexistentià, dans ses interprétations comme réalité — interprétations qui ne diffèrent qu’ à première vue —, suffit à penser ne fut-ce que l’ être de la pierre, ou même la vie, comme être des plantes ou des animaux, nous laisserons la question en suspens. Il reste que les êtres vivants sont ce qu’ ils sont saris pour autant, à partir de leur être comme tel, se tenir dans la vérité de l’Etre, ni garder dans cet état2 ce qui fait que leur être déploie son essence. De tout étant qui est, l’ être vivant est probablement pour nous le plus difficile à penser, car s’ il est, d’ une certaine manière, notre plus proche parent, il est en même temps séparé par un abîme de notre essence ek-sistante. En revanche, il pourrait sembler que l’ essence du divin nous fût plus proche que cette réalité impénétrable des êtres vivants; j’ entends: plus proche selon une distance essentielle, qui est toutefois en tant que distance plus familière à notre essence ek-sistante que la parenté corporelle avec l’ animal, de nature insondable, à peine imaginable. De telles réflexions projettent une étrange lumière sur la manière courante, et par là même toujours hâtive, de caractériser l’ homme comme animal rationale. Si plantes et animaux sont privés du langage, c’ est parce qu’ ils sont emprisonnés chacun dans leur univers environnant, sans être jamais librement situés dans l’ éclaircie de l’Etre. Or seule cette éclaircie est « monde ». Mais s’ ils sont suspendus sans monde dans leur univers environnant, ce n’ est pas parce que le langage leur est refusé. Dans ce mot d’ « univers environnant » se concentre bien plutôt toute l’ énigme du vivant. Le langage, en son ■ essence, n’ est pas le moyen pour un organisme de s’ extérioriser, non plus que. l’ expression d’ un être vivant. On ne saurait jamais non plus, pour cette raison, le penser d’une manière conforme à. son essence, partant de sa valeur de signe, pas même peut-être de sa valeur de signification. Le langage est la venue à la fois éclaircissante et celante de l’Etre lui-même.