Textes

Dasein et vérité
§ 44, pp. 273-274

 



À la constitution d'être du Dasein appartient le dévalement. D'abord et le plus souvent le Dasein est perdu dans son « monde ». L'entendre, comme projection sur les possibilités d'être, s'est déporté vers lui. L'immersion dans le on signifie la domination de l'état d'explicitation public. Ce qui est dévoilé et découvert a pour mode d'être contrefait et recouvert par le on-dit, la curiosité et l'équivoque. L'être en rapport avec l'étant n'est pas aboli, il est coupé de ses racines. L'étant n'est pas dans un retrait complet ; non, il est justement dévoilé mais il est du même coup masqué ; il se montre — mais sur le mode du semblant. Pareillement ce qui a été auparavant dévoilé retombe en s'enfonçant sous le masque et dans le retrait. Le Dasein, parce qu'il est essentiellement en déval, est, de par sa constitution d'être, dans la « non-vérité ». Ce terme est employé ici ontologiquement, exactement comme l'expression « dévalement ». Toute « appréciation » ontiquement négative est à écarter de son usage dans l'analytique existentiale. À la factivité du Dasein appartiennent l'être-obturé et l'occultation. Prise dans son sens ontologique existential complet, la phrase « le Dasein est dans la vérité » dit cooriginalement aussi « le Dasein est dans la non-vérité ». Mais ce n'est que dans la mesure où le Dasein est découvert qu'il est également obturé ; et, dans la mesure où avec le Dasein est chaque fois déjà dévoilé l'étant intérieur au monde, l'étant de cette sorte en tant que susceptible de se rencontrer à l'intérieur du monde est occulté (en retrait) ou masqué.

C'est pourquoi il est de l'essence du Dasein qu'il doive au sens propre du mot s'emparer de ce qui a aussi été déjà dévoilé en luttant contre le semblant et le masquage et s'assurer toujours à nouveau l'être-dévoilé. Loin de se faire sur la base du retrait intégral, tout nouveau dévoilement s'accomplit en s'éloignant de l'être-dévoilé qui a le mode du semblant. L'étant a l'air de... c'est-à-dire qu'il est déjà dévoilé d'une certaine manière tout en étant encore masqué.

La vérité (l'être-dévoilé) doit toujours commencer par être extorquée à l'étant. L'étant est ravi au retrait. L'être-dévoilé, chaque fois qu'il a factivement lieu, est toujours, pour ainsi dire, un rapt. Est-ce un hasard si les Grecs avaient pour s'exprimer sur l'essence de la vérité une expression privative ? S'exprimant ainsi le Dasein ne traduit-il pas une entente originale de l'être qui est le sien même si elle ne fait par là qu'entendre préontologiquement que l'être-dans-la-non-vérité constitue une détermination essentielle de l'être-au-monde ?

Que la déesse de la vérité, qui guide Parménide, le place devant deux chemins, celui du dévoilement et celui du retrait, ne signifie rien d'autre sinon que le Dasein est chaque fois déjà dans la vérité et la non-vérité. Le chemin du dévoilement ne se gagne que dans le , dans la distinction ententive des deux et qu'en se décidant pour le premier.

La condition ontologique existentiale pour que l'être-au-monde soit déterminé par la « vérité » et la « non-vérité » réside dans la constitution d'être du Dasein que nous avons caractérisée comme projection jetée. Elle entre dans la constitution de la structure du souci.

De l'interprétation ontologique existentiale du phénomène de la vérité, il résulte maintenant : 1. la vérité au sens le plus original, c'est l'ouvertude du Dasein dont relève l'être-dévoilé de l'étant intérieur au monde. 2. Le Dasein est cooriginalement dans la vérité et la non-vérité.

Ces propositions ne peuvent être tout à fait comprises tant qu'on reste dans l'horizon de l'interprétation traditionnelle du phénomène de la vérité, que s'il est bien clair que : 1. La vérité, entendue comme accord, tire son origine de l'ouvertude et que provenant d'elle, elle se modifie d'une certaine façon. 2. Le genre d'être de l'ouvertude entraîne lui-même que sa modification par dérivation s'aperçoit tout d'abord et commande l'explication théorique de la structure de vérité.