Tite Live, L XXXVIII, 24
Le viol de Chiomara

Restait toute une seconde guerre avec les Tectosages. Le consul marcha contre eux, et, au bout de trois journées, arriva à Ancyre, grande ville de la contrée, dont les ennemis n'étaient qu'à dix milles. [2] Pendant la halte qu'il y fit, une captive se signala par une action mémorable. C'était la femme du chef Orgiago; cette femme, d'une rare beauté, se trouvait, avec une foule de prisonniers comme elle, sous la garde d'un centurion, homme avide et débauché, vrai soldat. [3] Voyant que ses propositions infâmes la faisaient reculer d'horreur, il fit violence à la pauvre captive que la fortune de la guerre mettait en sa puissance. [4] Puis, pour pallier cette indignité, il flatta sa victime de l'espoir d'être rendue aux siens, et encore ne lui donna-t-il pas gratuitement cet espoir, comme eût fait un amant. Il fixa une certaine somme d'or, et, pour ne mettre aucun des siens dans sa confidence, il permit à la captive de choisir un de ses compagnons d'infortune qui irait traiter de son rachat avec ses parents.[5] Rendez-vous fut donné près du fleuve: deux amis de la captive, deux seulement, devaient s'y rendre avec l'or la nuit suivante pour opérer l'échange. [6] Par un hasard fatal au centurion, se trouvait précisément dans la même prison un esclave de la femme; elle le choisit et à la nuit tombante, le centurion le conduisit près des postes. [7] La nuit suivante, se trouvent au rendez-vous les deux parents, et le centurion avec sa captive. [8] On lui montre l'or; pendant qu'il s'assure si la somme convenue y est [c'était un talent attique], la femme ordonne, dans sa langue, de tirer l'épée et de tuer le centurion penché sur sa balance. On l'égorge, on sépare la tête du cou, [9] et, l'enveloppant dans sa robe, la captive va rejoindre son mari Orgiago, qui, échappé du mont Olympe, s'était réfugié dans sa maison. Avant de l'embrasser, elle jette à ses pieds la tête du centurion. [10] Surpris, il lui demande quelle est cette tête, que veut dire une action si extraordinaire chez une femme. [11] Viol, vengeance, elle avoua tout à son mari; et, tout le temps qu'elle vécut depuis [ajoute-t-on], la pureté, l'austérité de sa conduite, soutint jusqu'au dernier moment la gloire de cette belle action conjugale.