Bloc-Notes 2016
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Danton rcvirrt à regret, pour retrouver à Paris. le véritable noeud qu'il avait laissé. L'armée ne voulait pas la mort, la France ne la voulait pas; une imperceptible minorité la voulait; et cependant les choses étaient tellement avancées, la question placée dans un point si hasardeux, qu'à sauver Louis X VI on risquait la République. Mais ne la risquait-on pas, d'autre part, si on le tuait ? On pouvait le croire aussi. De grandes choses couvaient dans l'Ouest. L'ami dE, Danton, Latouche, qui était alors à Londres pour épier es· royalistes, lui donnait sur le travail souterrain de la Bretagne,et de la Vendée de terribles appréhensions. Un péril était à craindre, un péril unique. Le génie de la Révolution ne pouvait rien redouter sur la terre ni sous la terre, hors une chose ... ~elle? Lui-mème sous son autre face, lui-mên1e retourné contre lu_i, dans sa contrefaçon effroyable: la Révolution f .inatique. ~·arriverait-il, si, dans cette France malade, ' éclatait l'horrible épidémie, contagieuse entre toutes, cet affreux vent de la .mort, qui a nom : le fanatis1ne? Deux siècles à peine étaient écoulés depuis qu'une population tout entière, savamment travaillée des prêtres, était to,nbée un matin dans l'incroyable accès de rage qu'on appela la SaintBarthélemy. ·A la fin même du dix-septième siècle; en pleine civilisation, n'avait-on pas vu, aux Cévennes, le phénomène effrayant d'un peuple to1nbant du haut-mal et frappé d'épilepsie? Au milieu d'une assemblée qui· semblait paisible cl pieuse, · des hommes, que vous auriez crus sages, ·se tordaient tout à coup, criaient. Des femmes, les ·cheveux au vent, sautaient sur. une pierre avec d'horribles clameurs et prêchaient l'armée; les enfants prophétisaient. On a fait des livres entiers de leurs cris sauvages, religieusement recueillis. •

(…) Et ce n'était pas seulement dans les forêts de· l'Ouest que la superstition gagnait. Dans Paris même et tout autour, où la peur la rendait muette, elle n'en était pas moins forte. La Révolution voyait, sentait sous ses pieds le sourd travail de l'ennemi. De là, une haine cruelle entre les deux fanatismes. ~·av?ient-elles dans"le coeur, ces femmes, qui, en janvier, à cinq ou six heures du matin, s'en allaient dans quelque coin écouter un prêtre réfractaire, entendre la nouvelle légende et dire les litanies du Temple? Elles avaient, dans leur silence, tout ce qu'avaient dans la bouche les violents révolutionnaires, la haine de l'autre parti, la venge~nce, une sombre fureur contre le dogme opposé .•.

(…)

A la Noël de 92, il y eut un spectacle étonnant à Saint-Étienne-du-Mont. La foule y fut telle que mille personnes restèrent à la porte et ne purent entrer. Cette grande foule s'explique, il est vrai, par la population des campagnes, qui, de la Noël à la Sainte-Geneviève, du 2 décembre au l janvier, vient faire la neuvaine. - La châsse de la patronne de Paris est à Saint-Étienne. Nulle autre, on le sait, n'est plus féconde en guérisons miraculeuses. Point d'enfants infirmes, aveugles,- tortus, que les mères n'apportent ; beaucoup de femmes de campagne étaient venues, on peut le croire, dans l'idée, le vague espoir, que la patronne pourrait bien faire quelque grand miracl.

Chose-triste, que tout le travail de la Révolution aboutît: à templir les églises ! Désertes en 88, elles … sont pleines en 92, pleines d'un peuple qui crie contre la Révolution, contre la victoire du peuple !

Il n'y avait pas à se jouer avec cette maladie populaire. Elle tenait à des cotes honorables de l'humanité. L'élan superstitieux, dans beaucoup d'âmes excellentes, était sorti de la pitié, d'une sensibilité trop vive. Il était juste, il était sage, d' épargner ces pauvres malades. Que Louis XVI fût jugé, condamné, cela était très utile ; mais que la peine le frappât, c'était frapper tout un monde d'âmes religieuses et sensibles, c'était leur donner une superstition nouvelle, décider un accès peut-être d'épilepsie fanatique, tout au moins fonder ce qui pouvait être le plus funeste à la République, le culte d'un roi martyr.

 

 

Le Gironde eut deux grands courages, elle donna deux fois sa vie aux idées. Fille de la philosophie au dix-huitième siècle, elle en porta la logique aux bancs de la Convention. Un principe lu, fit renverser la royauté, et le même principe lui fit épargner le Roi. Ce principe ne fut autre que le dogme national de la souveraineté du peuple. Ils venaient de l'appliquer, l'avaient écrit sur l'autel du Champ-deMars, en 91, et ils l'écrivirent encore, au 10Août, sur les murs des Tuileries, par les balles et les boulets de la légion marseillaise amenée par eux. Ils y restèrent fidèles, au procès du Roi, soutinrent (à tort ou à droit) qu'ils ne pouvaient commencer leur carrière républicaine en violant le dogme qu'ils avaient proclamé la veille, en se faisant souverains contre la volonté du peuple. La Montagne. soutint ouvertement le droit de la minorité ; elle prétendit sauver le peuple, sans respect pour sa souveraineté. Sincère, patriote, héroïque, elle entrait ainsi néanmoins dans une voie dangereuse. Si la majorité n'est rien, si le meilleur doit prévaloir, quelque peu nombreux qu'il soit, ce meilleur peut être minime en nombre : dix hommes, comme les Dix de Venise; un seul même, un pape, un roi. La Montagne ne frappait le Roi qu'en attestant le principe que la royauté atteste, le principe de l'autorité, le principe qui eût rétabli le Roi. Elle en déduisait l'échafaud : on pouvait en déduire le trône.