Textes

Discours de Gambetta à Lille -
15 août 1877

 

Messieurs et chers concitoyens,

Je lutte contre une émotion bien naturelle et je ne suis pas encore parvenu à dominer l’impression profonde quem’a produite subitement, non pas, [p.210] il faut bien que je le dise, cette parole loyale et vibrante à laquelle je suis habitué, mais cet élan qui vient de vous emporter vous-mêmes et qui fait que j’ai senti que c’est bien dans ces étreintes qu’on trouve la récompense des efforts qu’on a faits. (Salve d’applaudissements.)

Je ne pouvais, en effet, choisir un meilleur asile, une ville et un pays où je fusse plus sûr de rencontrer la sympathie, l’esprit de résistance légale, le courage qui sait ne jamais se départir d’une prudente fermeté, qu’en venant à Lille (Mouvement), à Lille, où je reviens plus souvent qu’ailleurs, vous pouvez le remarquer, Messieurs, et où je reviens parce que je sais qu’on y trouve, et depuis longtemps, des cœurs généreux, des courages fidèles, des pensées politiques de prudence, de sagesse, d’union surtout entre toutes les classes de la société. (Marques d’approbation.)

Et, profitant d’un jour de repos autrefois consacré, vous savez à quelle fête, à la fête du crime couronné (Oui ! oui !), j’ai pensé que je ne pouvais pas mieux, à mon tour, chômer le 15 août qu’en venant au milieu d’amis pour m’entretenir avec eux de la crise que nous traversons, pour leur dire où nous en sommes et où nous allons.

En effet, la France, depuis tantôt deux mois qu’on a pu, sur deux pouvoirs législatifs, dissoudre l’un et paralyser l’autre, la France est en proie, je ne dirai pas à des angoisses mortelles, mais à des anxiétés profondes, à la fois généreuses et patriotiques, qui font que dans chaque département, dans chaque arrondissement, dans chaque canton on se demande quel jour finira ce duel, ce conflit entre le pouvoir d’un côté et la nation de l’autre.

Et, comme tout le monde est partout prêt à faire son devoir, il est peut-être bon de dire à ceux qui travaillent sur un point donné, sur une des cases de cet échiquier national, ce qui se passe dans les autres [p.211] cases, afin qu’on puisse saisir le mouvement d’ensemble qui emporte le pays et savoir avec exactitude ce que l’opinion publique pense, ce qu’elle prépare, et quelles sont les espérances légitimes que les bons citoyens sont en droit de nourrir.

Eh bien, examinons et tâchons de voir, comme je le disais au début, où nous allons.

Messieurs, il se passe à l’heure actuelle, en France, un phénomène politique tout à fait rassurant et heureux.

On vous le disait d’un mot tout à l’heure ; on vous parlait de cette union du parti républicain dans toutes ses nuances, ne distinguant plus, ne cherchant plus les thèses, les programmes, les antagonismes, les querelles personnelles et ayant fait cesser tout à coup des débats mesquins et misérables pour ne s’occuper que du salut de la patrie, qu’on ne sépare pas du salut de la République. (Très bien ! très bien ! – Applaudissements.)

C’est ainsi qu’en face et au lendemain de cette dissolution qui a été prononcée sans prétexte, sans motifs, sans raison, – car on a déjà renoncé à rappeler les raisons inscrites dans la lettre présidentielle du 15 mai, – il n’est plus question, aujourd’hui, de dire à la France qu’on a renvoyé le cabinet républicain, parce que la majorité républicaine l’avait mis en minorité, car le pays, qui est au courant de la situation, dirait que c’est une contre-vérité ; – on ne dit plus qu’on a renvoyé la Chambre et le ministère républicain parce qu’on avait rendu publiques les séances des Conseils municipaux, car le pays répondrait que c’est là un prétexte sans valeur ; on ne dit plus que c’est parce que la Chambre était prête à voter une loi sur la presse qui rendait la compétence au jury en matière de délits et de crimes commis par la voie de presse, et pourquoi ne le dit-on plus ? C’est parce qu’il n’y a plus moyen d’argumenter de [p.212] cette façon, alors que le jury, qui fonctionne dans tous les pays libres, a fonctionné pendant un demi-siècle en matière de presse.

Pourquoi donc a-t-on dissous la Chambre ? Messieurs nul ne le sait et nul ne peut le dire. On se réserve sans doute de l’expliquer dans les professions de foi qui viendront plus tard et dans une lettre écrite par le chef du pouvoir exécutif, lettre dont on prépare les bandes d’envoi, dit-on, dans diverses administrations, en requérant la milice sacrée et ordinaire. (Rires.) On nous menace d’une mer d’encre qui va couler sur le pays, de brochures dans le Moniteur des Communes, – dont on a altéré quelque peu, vous le savez, le nom avec justesse (Hilarité. – Bravos), – peut nous donner un avant-goût. Oui, Messieurs, on a stipendié une certaine presse, toujours prête à vomir l’injure et qui se nourrit exclusivement de mensonges et de calomnies ; on n’a réussi qu’à attrister la conscience du pays et de l’Europe par les infamies qu’on a laissées s’étaler au grand jour dans les papiers auxiliaires les plus intimes du gouvernement, qui se disent conservateurs et qui n’emploient d’autres armes contre leurs adversaires politiques que l’injure, l’outrage et la calomnie. (Oui ! – Très bien ! – Bravos répétés.)

Ce mal est-il sans remède ? Oh ! non, mes chers concitoyens. Car l’on peut opposer à cette levée de plumes vénales et corrompues le dédain et le mépris qui surgissent dans ce pays de France contre ceux qui n’ont pas d’autres ressources pour vivre ou pour durer ; on peut s’en fier au bon sens français, à la rectitude de l’honneur national pour faire justice de ces tentatives qui ne sont déshonorantes que pour ceux qui les emploient ou pour ceux qui en profitent. Ce n’est pas là, Messieurs, ce qui inquiète le pays, et il peut laisser passer sous ses pieds ce ruisseau chargé de bave et d’ordures. (Oui ! oui ! – Très bien ! très bien !)

Mais ce qu’on ne peut supporter, ce qui est un [p.213] spectacle outrageant pour l’idée de justice et de droit, c’est qu’on soit allé bien au-delà de l’injure, et qu’on soit entré dans un système de provocations criminelles contre la loi, et qu’on tolère tous les jours dans des journaux, – que dis-je ? qu’on tolère ? – qu’on encourage, qu’on subventionne, dans des feuilles dont on garantit la circulation et la distribution, des appels à la force contre la Constitution et contre le droit, des suggestions criminelles et persistantes à l’adresse de ceux qui détiennent le pouvoir, sans que la justice se soit émue ; sans que les ministres en aient senti leur responsabilité atteinte ou éveillée ; sans qu’il y ait eu, de la part d’aucun de ceux qui ont charge et mandat, dans ce pays, de protéger la loi sans laquelle ils n’existeraient pas, aucun avertissement ou aucune répression contre ceux qui poussent au renversement des institutions voulues par la nation. Et, dans ce duel mémorable, que voit-on ? On voit les feuilles dévouées à la loi, les organes modérés, les journaux les plus conservateurs, ceux dont les traditions libérales dans ce pays remontent à l’aurore même de la Révolution, – on voit ces journaux exclus des gares, empêchés de circuler, devenant la cause d’un délit quand ils sont colportés, de telle sorte qu’en ce moment la protection est pour les diffamateurs et les rebelles, et l’oppression, l’arbitraire, la chasse à la vérité, sont entièrement réservés à ceux qui ne se réclament que de la justice et de la loi. (Salve d’applaudissements. – Bravos répétés.)

Ce n’est pas seulement le spectacle auquel nous assistons du côté de la presse officieuse qui est de nature à exciter notre indignation et celle du pays. Il faut aller plus loin et se demander quelle est l’association d’hommes qui a entrepris, contre la volonté éclatante, manifeste, presque unanime du pays, de le faire changer d’avis et de lui arracher, à travers toutes les ruses et toutes les violences de l’arbitraire, une [p.214] sorte de mea culpa des élections du 20 février 1876. Quels sont ces hommes ? car connaître leurs pensées, leurs opinions, c’est deviner leur but, c’est juger leur politique et c’est éclairer le pays.

Ces hommes, ce sont ceux-là mêmes qui, le 24 Mai, ont renversé M. Thiers du pouvoir, non pas seulement pour lui donner un successeur chargé de défendre les institutions existantes, mais parce que M. Thiers, obéissant aux lois de la politique et ayant la connaissance profonde des intérêts de son pays, s’était hautement prononcé contre la monarchie, contre toutes les monarchies. Et ce sont ces hommes qui, aussitôt qu’ils eurent pris le pouvoir, s’ingénièrent de toutes les façons à ramener dans ce pays la monarchie : les uns, la monarchie de droit divin avec le cortège des bienfaits du bon vieux temps que vous savez (Rires.), et que nos paysans n’ont jamais oublié ni n’oublieront jamais (Assentiment unanime.) ; les autres, la monarchie contractuelle avec ce côté d’oligarchie, de convoitises, de corruption qui fut le propre du règne de la monarchie de Juillet. Quant aux autres, je n’ai pas besoin de les nommer. Vous les connaissez : toujours à l’affût des places à reprendre, de leurs appétits à satisfaire, promettant tout ce que l’ont veut : aux ouvriers, l’extinction du paupérisme ; aux bourgeois, l’ordre sans trouble et sans émotion par la suppression de la tribune, de la liberté et du contrôle ; à l’Église, tous les bienfaits, toutes les prébendes, toutes les autorisations et toutes les suppressions dont elle a besoin, commençant d’abord par s’entendre avec elle pour la trahir et l’abandonner ensuite le jour où certaines combinaisons dynastiques lui en feraient une nécessité.

Mais laissons de côté le passé de ces trois dynasties. Est-il vrai, oui ou non, que ce sont leurs chefs qui ont fait le 24 Mai, que le 24 Mai a fait assister le pays à une coalition d’efforts pour renverser la République ? [p.215] Mais il n’est pas moins vrai que le pays a vaincu une première fois cette coalition et que sa victoire s’est appelée la Constitution républicaine du 25 février 1875 ? (Oui ! oui ! – Très bien ! très bien ! – Applaudissements prolongés.)

Et ce jour-là, que s’est-il passé ! Il s’est passé un acte en vertu duquel il était bien entendu que ceux qui allaient présider au fonctionnement de cette Constitution républicaine seraient des républicains de raison, sinon de naissance. C’est ce qu’avait voulu la France et, quelques mois plus tard, lorsqu’elle a prononcé à son tour sur cette Constitution en choisissant des mandataires chargés de la maintenir et de la défendre, à quels hommes, à quels élus confiait-elle ses pouvoirs, remettait-elle sa confiance pour faire prévaloir ses volontés ? A une majorité incontestablement républicaine qui signalait son passage par des actes répétés de prudence, de sagesse et de travail. (Salve d’applaudissements.)

Et c’est parce que cette majorité n’est tombée dans aucun piège qui lui étaient tendus de plusieurs côtés ; c’est parce que la confiance qu’elle inspirait au pays allait grandissant ; c’est parce qu’elle excellait à déjouer les trames et les calculs de ceux qui ne s’étaient pas accommodés de la République ; c’est parce qu’elle fondait tous les jours plus profondément dans le sol les assises de l’édifice républicain ; c’est alors que, sans autre motif que d’arrêter brusquement la propagande qui conduisait le parti républicain à la conquête du cœur de la nation, on l’a congédiée en l’accusant de quoi ? D’un vice secret, de radicalisme latent. Dans ce pays de clarté et de franchise, on n’a trouvé que ce mot obscur, que cette ambiguïté, disons le mot, que ce mensonge pour se débarrasser de cette majorité. (C’est cela ! – Très bien ! – Vives et unanimes acclamations.)

Et alors on a vu revenir au pouvoir, qui ? Les coalisés [p.216] du 24 Mai. Ah ! on peut dire, écrire et répéter qu’on a fait le 16 Mai pour consolider la République (Hilarité générale), pour affermir les institutions républicaines, pour arracher la République aux républicains qui l’aimaient d’un amour trop ardent et qui l’embrassaient dans leurs bras comme un autel consacré ; on peut écrire ces choses, mais quand le pays regarde ceux qui parlent, ceux qui administrent et ceux qui gouvernent, quand le pays regarde, – j’allais prononcer un mot que j’arrête sur mes lèvres, – j’allais dire ceux qui conspirent, mais je dis quand le pays regarde ceux qui poursuivent un autre but que le but républicain, que voit-il ? M. le duc de Broglie, qui avait mis son honneur à combattre la Constitution républicaine du 25 février 1875 ; M. de Fourtou, qui n’a pas voté pour cette Constitution et qui est un bonapartiste ; M. Brunet, qui se réclamait, lors des élections sénatoriales dans son département, de l’appel du peuple, c’est-à-dire de la doctrine du césarisme par excellence… Je m’arrête, non pas que les opinions des autres ministres n’aient pas leur importance, mais ils sont connus et il n’y en a pas un, parmi eux, qui soit républicain, je ne dis pas républicain de naissance, mais républicain d’opinion, de raison.

Et, en face de ces hommes, que voyons-nous aujourd’hui ? Nous voyons s’éloigner d’eux ceux qui, ayant appartenu autrefois à des opinions opposées à la République, y sont venus avec confiance, sans arrière-pensée ; ce sont ceux-là qui tous les jours s’écartent du ministère du 16 Mai comme d’un ministère néfaste, comme d’un ministère divisé contre lui-même, comme d’un ministère de coalition contre les institutions existantes, et qui fondent, – car c’est avec ces hommes qu’on a pu la fonder, – l’union de notre grand parti pour la défense de la loi, de la République et de la paix, comme vient de le dire [p.217] M. Feray, d’Essonnes. (Longs applaudissements et bravos unanimes.)

Aussi, Messieurs, il n’y a de républicains que dans nos rangs. Oui, tous les républicains sont de notre côté. Par conséquent, ne dites pas que c’est pour consolider la République qu’a été fait l’acte du 16 Mai, car vous ne pouvez avoir raison contre ceux qui veulent et qui ont toujours voulu, depuis nos désastres, fonder le gouvernement par excellence d’une démocratie qui veut rester libre.

Vous êtes jugés par votre passé, par vos agents. Et, en effet, aussitôt après votre installation, qu’avez-vous fait ? Vous vous êtes fait apporter la liste des fonctionnaires, et vous, à qui on ne pouvait que si difficilement arracher une signature pour changer un seul fonctionnaire ; vous qui criez sans cesse contre les hécatombes faites par les ministres républicains, on vous a vus, en moins de huit jours, presque en une nuit, bouleverser tout le personnel administratif, chassant tous ceux qui vous déplaisaient avec la dernière violence, sans tenir compte des ruines qui sont la conséquence de ces expulsions, sans tenir compte des droits acquis ni des légitimes exigences des populations. Sans tenir compte des intérêts du pays, vous avez chassé quiconque était soupçonné par vous d’être encore libéral, patriote ou républicain. (Oui ! oui ! – C’est vrai ! – Applaudissements unanimes.)

Et vous voulez que la France s’y trompe ! Vous voulez que le pays ne comprenne pas votre politique ! Mais vos actes sont là, et ce n’est pas du radicalisme latent, cela : c’est de la désorganisation flagrante, patente, à contre-sens ; c’est la pire des perturbations sociales. (Nouveaux applaudissements.)

Messieurs, qu’a fait le pays ? Il a été admirable ; il l’est encore, et il le restera devant ce désordre. (Oui ! oui ! — Assentiment général.) Car il y a désordre, car [p.218] il y a impuissance à s’entendre entre les coalisés, car déjà la rupture est dans leurs rangs. L’appétit du pouvoir pouvait bien les réunir contre la République, mais, après avoir obtenu le pouvoir, ils devaient se diviser sur la question du sort à faire à la France, au moment du partage de ses dépouilles.

On s’est donc divisé. La rupture s’est produite et, aujourd’hui, on parle de faire rentrer le Centre gauche, comme une brebis égarée, dans le bercail du gouvernement. Vous savez quelle réponse a été faite à ces avances par ce groupe politique qui a pris une si grande part des sympathies de l’opinion. Il a répondu : Je ne vous connais pas, ou plutôt je ne vous connais plus. Et aussitôt il a eu à essuyer les outrages de la presse à gages.

Le pays est resté calme en face de toutes les provocations. On lui a enlevé toutes les commodités de l’existence politique. On a fermé les cercles, interdit les réunions, empêché la circulation des journaux dans les lieux où on avait l’habitude de les rencontrer. On a épuisé contre l’opinion tous les moyens qui pouvaient faire espérer de la réduire ou de l’étouffer. Je n’énumérerai pas devant vous cette longue liste d’excès de pouvoir, d’abus d’autorité qui ont été déférés aux tribunaux et qui attendent la fortune diverse de la justice ordinaire ou de la justice administrative. Non, ce serait là un exposé fastidieux ; mais je tiens à prendre acte de ces nombreux procès, de ces résistances judiciaires et légales, opposées sur tous les points de la France à la politique à outrance du 24 Mai. Non pas qu’il soit très bon, très encourageant pour l’avenir, de voir l’autorité discutée dans les prétoires du pays ; mais la nécessité est la loi de la politique et, lorsque, dans une grande démocratie où les émotions légitimes peuvent se transformer si aisément en mouvements populaires désordonnés, où l’on est si prompt à ne pas s’en rapporter aux lois et à la raison ; où l’on a peut-être trop sacrifié, dans le [p.219] passé, à un besoin de générosité et de courage à tout propos contre les vexations du pouvoir, — je dis qu’il est notable, qu’il est bon, qu’il est heureux de voir que, sous le coup des provocations qui se sont produites dans ces derniers temps, la démocratie française ait pris définitivement pour méthode la résistance légale et juridique aux empiétements du pouvoir personnel.

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Cette manière de se couvrir et de se défendre en couvrant et en défendant les libertés publiques, cette vie publique qui est si heureusement acclimatée à nos portes, en Suisse et en Angleterre, où elle est certainement la raison dernière des progrès faciles et incessants qu’y accomplit toujours l’esprit de liberté, — cette méthode nous était, il faut bien le dire, assez inconnue ; nous l’avons toujours laissée un peu à l’écart, ou nous ne nous y étions pas tenus avec assez de persévérance ; mais, dans la crise qui vient d’éclater, grâce à cette union parfaite des 363, on a vu tout de suite que l’esprit de légalité allait dominer et conduire cet immense mouvement de la nation tout entière. Des hommes qui sont l’honneur de leur profession et les lumières du barreau français n’ont pas hésité à se réunir et à devenir comme les préteurs des libertés publiques. (Très bien ! très bien ! — Vifs applaudissements.)

Ils croyaient peut-être ne faire là qu’une œuvre de jurisprudents et de bons citoyens, ils ont fait plus et mieux : ils se sont placés au premier rang des éducateurs politiques de la démocratie française. (Salve d’applaudissements.)

Ils ont, avec la connaissance du droit qu’ils possèdent si bien, réveillé dans ce pays le sentiment du devoir et aussi le sentiment de l’autorité de la justice.

C’est par là qu’il est devenu clair que, quelles que fussent les ruses et les subtilités d’une procédure politique qui voulait entraver et vexer tous les citoyens [p.220] de ce pays, on saurait les déjouer par la science du droit et d’une procédure bien supérieure, et par les motifs et par les raisons qui l’inspiraient, à celle des procureurs du gouvernement du 16 Mai, — c’est par là qu’il est devenu aisé de prédire que les populations ne se laisseraient pas éloigner de la large voie de la protestation et de la résistance légales pour se jeter, à côté, dans des émotions que plusieurs peut-être avaient souhaitées, et que l’on ne donnerait aux écrivains, aux bandits de plume qui espèrent des coups d’État, aucune occasion de jouer avec la force et de sauver la société derrière les baïonnettes. (C’est cela ! — Très bien ! Très bien ! — Applaudissements prolongés.)

Car, Messieurs, je veux le dire ici, à la honte de ceux qui en sont réduits à ces expédients et qui ont assez peu de respect d’eux-mêmes et de respect de la patrie pour faire à l’armée cette injure de croire que jamais elle pourrait se mettre au service de l’illégalité contre le droit. (Longs applaudissements.)

Messieurs, pour ma part, je prononce cette parole dans la conviction la plus absolue de ma conscience : S’il y a en France une collection, un groupe d’hommes où le sentiment, où le besoin de l’honneur, où le respect de la loi soient le plus nécessaires et où on les retrouve au plus haut degré, et où l’on sente avec le plus d’énergie qu’il n’y aurait plus de France si une tentative contre la loi pouvait encore se produire, — cette fraction, cette image du pays, Messieurs, c’est l’armée. (Oui ! oui ! — Applaudissements enthousiastes. — Cris répétés de : Vive l’armée !)

Les réflexions que suggèrent l’animosité et l’arbitraire qui respirent dans les actes de l’administration publique, seraient bien tristes et bien décourageantes si nous n’avions au fond du coeur la certitude de l’impuissance de nos adversaires.

En effet, y a-t-il rien de plus affligeant que de voir la loi torturée, dénaturée par les dépositaires mêmes [p.221] du pouvoir, les populations habituées à devenir indifférentes, soit à la majesté de la loi, soit à l’autorité du gouvernement établi ; que devoir énerver comme à plaisir la force légitime de l’autorité publique ; que de voir des fonctionnaires d’ordre divers se transformer en agents électoraux, répudier tout esprit d’impartialité et d’égalité, et devenir, au sein de la nation, les agents des partis, au lieu d’être les interprètes et les gardiens des lois et des libertés publiques ?

On l’a dit avec raison, c’est surtout dans les démocraties laborieuses et populeuses que la loi doit être l’objet d’un respect et d’un culte vraiment religieux. (Applaudissements). Rien n’est plus dangereux, plus corrupteur que de voir la loi devenir l’instrument banal des passions et des convoitises des partis, quand, sous le couvert de la Constitution mal interprétée et défigurée, on sème les haines et les rancunes, on suscite ce qu’il y a de plus mauvais dans la politique, l’esprit de colère et de représailles. Alors, au lendemain de la lutte, on se trouve en face d’irréconciliables emportements de passions que l’injustice a rendues aveugles, et on vous demande, avec quelque apparence de raison, des actes de justice qui ressemblent à des actes de vengeance. Cela est mauvais, Messieurs, mauvais pour tout le monde. Il faut bannir ce mot de représailles de la langue politique, et y substituer celui de clémence et de justice. (Vifs applaudissements.)

Mais, on ne saurait trop le répéter, c’est à nos maîtres d’un jour à mesurer dans quelles proportions ils veulent s’exposer à de si redoutables responsabilités. Quant à nous, qui seront toujours du côté de la modération, sans exclure la fermeté et la clairvoyance, nous tenions à dire, avant l’événement, à tous ceux qui ont engagé contre la nation cette lutte insensée, que leur propre conduite sera jugée et qu’elle dictera la modération de leurs vainqueurs. (Très bien ! très bien ! – Applaudissements.)

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Réjouissons-nous donc de cette disposition de l’opinion à rester toujours sur le terrain de la légalité ; laissons nos adversaires manœuvrer avec les subtilités de la procédure, mais surveillons-les pour voir s’ils sortiront jamais, eux, de la légalité, ce que je ne pense pas. (Mouvement.) Dans tous les cas, ce n’est pas une hypothèse à traiter ici. Elle serait prématurée, car nous ne faisons à personne l’injure de croire qu’on veuille sortir de la légalité. (Nouveau mouvement.)

Mais si je me contentais de mettre, comme dans un contraste, d’un côté les défaillances, les défections, les excès de pouvoir, les provocations, l’agitation et, finalement, l’impuissance de nos adversaires et, d’un autre côté, en regard, notre esprit d’ordre, notre union, notre concorde, notre tranquillité d’esprit, la certitude de l’avenir qui anime le parti républicain, je n’aurais pas fait assez ; je n’aurais pas surtout attiré l’attention de vos esprits sur ce qui, pour moi, constitue le caractère le plus élevé de l’agitation politique que nous traversons.

En effet, le suffrage universel, qui va être consulté, – mettons qu’on ne dépassera pas la légalité, – dans six semaines, ce suffrage universel va se trouver en présence de la majorité républicaine qu’il avait nommée et choisie et dont le mandat a été brisé par les combinaisons politiques dont je vous parlais tout à l’heure. Si le suffrage universel se bornait purement et simplement à décerner aux 363 le mandat qu’il leur avait confié il y a seize mois, sans aller au-delà, répétant simplement son verdict de 1876, le résultat serait très considérable, très décisif, mais permettez-moi de dire qu’il ne serai pas suffisant.

Il ne serait pas suffisant à plusieurs points de vue : d’abord, parce qu’il ne constituerait pas une réponse et une protestation assez énergiques contre l’acte du 16 Mai ; ensuite, parce qu’il ne donnerait pas aux [p.223] nouveaux élus une autorité complète pour en finir avec cette politique d’oscillations et de subterfuges. (C’est cela ! – Très bien ! très bien ! – Applaudissements.)

Aussi est-il permis de dire aujourd’hui, 15 août 1877, que c’est là une vérité que le suffrage universel a admirablement comprise ; et les renseignements que nous possédons, qui sont absolument certains et circonstanciés sur les 533 circonscriptions du territoire de la République, nous permettent d’affirmer que le suffrage universel ne s’en tiendra pas à la réélection des 363, mais qu’il augmentera, dans une proportion considérable, le nombre des élus républicains du 20 février 1876. J’ai parlé du chiffre de 400, et on a cru que j’enflais mes espérances, que je grossissais mes prévisions. Non. Quand j’ai annoncé ce chiffre, je parlais avec la même conviction qu’au mois de février 1876, lorsque, à Belleville, j’annonçais quel serait le résultat probable des élections qui devaient avoir lieu un mois après. Je disais alors que tout nous permettait de compter sur une majorité républicaine de 100 à 120 voix. On pensait que je grossissais le chiffre : la majorité a été de 200 voix. (Salve d’applaudissements. — Bravos répétés.)

Aujourd’hui j’estime, avec ce que l’on sait du suffrage universel, que, en disant 400 républicains élus, je suis resté au-dessous de la vérité. Qu’est-ce qui peut faire croire qu’il en est ainsi ? Deux faits extrêmement importants et décisifs. C’est que partout où il y a un député à réélire appartenant aux 363, on a vu se rallier à lui des influences qui l’avaient combattu au mois de février 1876 : l’influence des libéraux qui n’étaient que des libéraux est venue soutenir le candidat faisant partie des 363. Les rivalités personnelles se sont effacées en présence d’un grand intérêt public, et il est à peu près établi aujourd’hui que ceux des 363 qui ont été combattus en 1876 se présenteront, dans leurs circonscriptions, libres de toutes compétitions [p.224] et entourés d’adhésions plus nombreuses, recrutées pour la plupart dans les rangs de leurs anciens adversaires. Et il paraît évident que le nombre des voix pour chacun de ces députés dans sa circonscription croîtra en comparaison de celles qu’il a recueillies dans des conditions pareilles à celles où il se trouvait le 20 février 1876.

Cette étude faite sur tous les points de la France, et comme pour marquer les progrès accomplis, démontre que c’est dans l’ouest, le centre et le nord-ouest que les résultats à obtenir seront les plus favorables. De telle sorte que c’est cette partie de la France, considérée comme la plus inerte, la plus indifférente, la moins mêlée au mouvement, qui s’ébranle ; c’est là que l’on commence à parler de liberté et de République ; ce mouvement ne s’arrêtera plus.

Voilà un premier phénomène que je devais vous signaler. Il y en a un autre qui n’est pas moins remarquable dans la nature des caractères des candidats.

Il y a 158 circonscriptions qui restent à conquérir par parties. Ces 158 collèges se trouvent répartis plutôt dans les régions du sud-ouest et du nord. Ce qui fait qu’on n’avait pas encore gagné un nombre suffisant de sièges dans ces collèges, ce qui fait qu’il n’y avait pas, pour nous, une assiette assez forte, c’est que certaines préventions existaient dans l’esprit des populations industrielles ou agricoles de ces pays, préventions qui séparaient ce qu’on appelait autrefois le parti libéral du parti républicain, la haute bourgeoisie de la bourgeoisie plus moyenne, de cette classe que j’ai appelée moi-même les nouvelles couches sociales. Il y avait là antagonisme, répulsion, critiques, tout un monde de préjugés que je n’ai pas à expliquer ni à analyser ici. Mais retenez bien ceci. Un des caractères démonstratifs du prochain scrutin, l’œuvre à laquelle nous assistons, celle que je ne saurais trop saluer et proclamer, c’est que là où il y avait antagonisme, [p.225] l’antagonisme a cessé ; c’est que les défiances ont disparu et que la fusion s’est faite entre la bourgeoisie et les ouvriers, entre le capital et le travail, qui se fécondent l’un par l’autre (Vive approbation) : c’est que ceux qui, dans la haute bourgeoisie, s’étaient tenus à l’écart, craignant et redoutant la République, ont été gagnés par la sagesse, par la prudence, par l’union du parti républicain, et ils sont revenus aux véritables traditions de la bourgeoisie de 89 et de 1830.

Et aujourd’hui, après le 16 Mai comme après 1830, nous assistons à une véritable fusion du peuple et de la bourgeoisie. (Bravos et applaudissements prolongés.)

Les élections prochaines proclameront cette fusion, cette alliance ; et, si je ne craignais pas de blesser leur modestie, je pourrais citer des noms, depuis les bords de l’Océan jusqu’au milieu des départements du centre et jusqu’à la frontière des Vosges, des noms de grands industriels, de propriétaires, de grands entrepreneurs, de constructeurs, d’hommes, enfin, qui tiennent le premier rang dans la banque, le commerce, l’industrie ou les assurances maritimes ; depuis Cherbourg jusqu’à Dunkerque, je pourrais citer des hommes qui sont venus loyalement au parti républicain, sentant le péril de la situation et ne voulant pas compromettre l’existence de la nation. Ils sont venus à la République, afin qu’il soit bien évident, pour la France et pour l’Europe, qu’il n’y a plus de divisions dans notre pays, que la République est faite et qu’elle est scellée du sceau de l’alliance de la bourgeoisie et du prolétariat. (Explosion d’applaudissements et acclamations.)

J’affirme, Messieurs, que cette fusion, que cette alliance nous garantissent la victoire. (Nouvelle adhésion.) Vous comprenez maintenant, Messieurs, pourquoi je peux dire, non plus d’une façon générale, mais d’une façon analytique, et arrondissement par arrondissement, que la victoire du parti républicain [p.226] est au-dessus des entreprises, des ruses et des vexations d’une administration aux abois. Oui, la victoire viendra de là, elle sortira de là. Et, chose inévitable aussi, à mesure que les scrutins populaires se succèdent, ils réduisent à l’impuissance et font entrer dans le néant les souteneurs de dynasties déjà condamnés le 20 février ; – ils nous ont débarrassés, à ces élections mémorables, de la compétition bourbonienne, de quelque nom et de quelque branche qu’elle se réclame. – A mesure, dis-je, que ces scrutins se succèdent, ils nous donnent des résultats ; or, le résultat du prochain scrutin sera de nous débarrasser du cléricalisme et du bonapartisme. Oui, ce sont ces bonapartistes qui ont eu la haute main dans le ministère du 16 Mai, et avec lesquels il a fallu que les ducs comptassent ; ce sont ces bonapartistes qui soldent les journaux qui poussent au crime ; ce sont ces bonapartistes si bruyants, et qui allient la ruse au cynisme, ce sont eux qui seront à leur tour les vaincus du prochain scrutin. Oui, leur nombre décroîtra, et non-seulement leur nombre, mais on pourra mesurer à quel degré ils auront été refoulés par le suffrage universel, par la qualité même des vaincus qu’il couchera sur le sol : vous le verrez, Messieurs. (Applaudissements.)

Je disais que la situation présentait ce double caractère : la fusion des classes sous le drapeau de la République, et le refoulement des bonapartistes. Ces deux idées sont inséparables. L’empire ne pouvait vivre que par la division du pays. Il se présentait comme un despotisme appuyé sur l’antagonisme de deux classes dans la société. Et c’est pour sauver la France non pas seulement de cette honteuse et impossible restauration, mais de la mort définitive de la patrie, que l’union dont je viens de parler s’est faite, et que le suffrage universel la ratifiera. C’est pour cela que si, parmi les rédacteurs officiels, quelqu’un parle [p.227] d’une politique d’abaissement, ce n’est pas de la politique républicaine qu’il peut parler : le parti de l’abaissement et de la disparition de la France, c’est le parti qui est tombé à Sedan, c’est le parti qui s’appelle Brumaire et Décembre, c’est le parti qui ne connaît que ses convoitises et ses appétits ; c’est le parti que l’étranger voudrait voir revenir, parce que ce parti n’a qu’un nom dans notre histoire : c’est le parti de l’invasion ! (Sensation prolongée !)

Messieurs, l’Europe entière assiste avec une sympathique anxiété qui nous honore à cette suprême épreuve de la démocratie républicaine et libérale pour établir en France un gouvernement pacifique au dehors et progressif au dedans ; un gouvernement qui, tout en respectant les droits légitimes des citoyens et des corporations établies, se dégage de plus en plus des étreintes de l’esprit théocratique et ultramontain ; qui façonne l’administration et l’éducation nationales selon les principes de la raison moderne et fasse de l’État un agent exclusivement civil de réformes et de stabilité. (Applaudissements.)

Dès l’origine du conflit, l’Europe, sans distinction de convictions politiques, monarchiques ou républicaines, s’est prononcée contre le coup de réaction du 16 Mai. Elle y a vu, comme nous, une audacieuse tentative de l’esprit clérical contre l’Europe entière. Elle a déploré de voir le crédit, l’influence que la France reprenait peu à peu dans les conseils du monde remis soudainement en question et sa voix faire défaut dans le concert européen. Elle suit attentivement, et jour par jour, les divers incidents de la lutte passionnée que le ministère du 16 Mai a entreprise contre la nation. Les graves problèmes soulevés par la question d’Orient ne l’absorbent pas au point de la distraire de nos efforts quotidiens dans la campagne électorale ouverte depuis deux mois. Les organes les plus influents et les plus autorisés de l’opinion européenne [p.228] soutiennent notre démocratie de leurs encouragements et de leurs conseils.

Les peuples, comme les gouvernements, attendent avec impatience l’issue de la lutte, espérant que le dernier mot restera à la souveraineté nationale, à l’esprit de 89. Comme le disait le ministre président du conseil d’Italie : les gouvernements passent et les nations restent. La France, qui a promulgué le droit moderne, ne voudra pas donner à l’Évangile de 89 un démenti dont profiteraient seuls le Syllabus et le jésuitisme. (Non ! non ! – Vifs applaudissements.)

L’Europe a fait comme la bourgeoisie ; elle a porté ses sympathies de droite à gauche ; et c’est là, pour nous, républicains et patriotes, un élément de plus de la victoire et de la stabilité qui attendent la République quand elle sera sortie des misérables difficultés que lui crée, contre tout patriotisme, la coalition des anciens partis. Les espérances du monde ne seront pas trompées. La République sortira triomphante de cette dernière épreuve, et le plus clair bénéfice du 16 Mai sera, pour l’histoire, d’avoir abrégé de trois ans, de dix ans, la période d’incertitude et de tâtonnements à laquelle nous condamnaient les dernières combinaisons de l’Assemblée nationale élue dans un jour de malheur. (Marques d’assentiment et applaudissements.)

Messieurs, telle est la situation. Et j’ose dire que les espérances du parti républicain sont sûres ; j’ose dire que votre fermeté, votre union, que votre activité sont les garants de ce triomphe. Pourquoi ne le dirais-je pas, au milieu de ces admirables populations du département du Nord, qui, à elles seules, payent le huitième des contributions de la France, dans ce département qui tient une des plus grandes places dans notre industrie nationale, aussi bien au point de vue mécanique qu’agricole ? N’est-il pas vrai que, dans ce pays, vous avez commencé aussi à faire justice des factions qui s’opposaient à l’établissement [p.229] de la République et que vous n’attendez que l’heure du scrutin pour que tous vos élus forment une députation unanime ? (Oui ! oui ! — Applaudissements.)

Vous le pouvez si vous le voulez, et vous savez bien ce qui vous manque : ce ne sont pas les populations disposées à voter pour des candidats républicains ; ce sont des candidats qui consentent à sortir définitivement d’une résistance dictée par des intérêts privés et comprennent qu’il s’agit aujourd’hui d’un service public et d’élections d’où dépendent les destinées de la France. Il faut que ces hommes fassent violence à leurs intérêts domestiques pour aborder la plate-forme électorale. (Marques unanimes d’adhésion.)

A ce point de vue, des adhésions significatives ont déjà obtenues et vous avez su trouver des candidats qui vous mèneront à la victoire. Je devais plus particulièrement le dire ici, dans ce département qui, parmi les autres, tient la tête dans les questions d’affaires et de politique. Je devais le dire ici pour vous mettre en garde contre certains bruits qui ont été répandus et dont on alimente la basse presse, à savoir que si le suffrage universel dans sa souveraineté, je ne dirai pas dans la liberté de ses votes, puisqu’on fera tout pour restreindre cette liberté, mais dans sa volonté plénière, renomme une majorité républicaine, on n’en tiendra aucun compte. Ah ! tenez, Messieurs, on a beau dire ces choses ou plutôt les donner à entendre, avec l’espoir de ranimer par là le courage défaillant de ses auxiliaires et de remporter ainsi la victoire : ce sont là de ces choses qu’on ne dit que lorsqu’on va à la bataille ; mais, quand on en revient et que le destin a prononcé, c’est différent ! Que dis-je, le destin ? Quand la seule autorité devant laquelle il faut que tous s’inclinent aura prononcé, ne croyez pas que personne soit de taille à lui tenir tête. Ne croyez pas que quand ces millions de Français, paysans, ouvriers, bourgeois, électeurs de la libre terre française, auront fait leur choix, et précisément dans les termes où la question est posée ; ne croyez pas que quand ils auront indiqué leur préférence et fait connaître leur volonté, ne croyez pas que lorsque tant de millions de français auront parlé, il y ait personne, à quelque degré de l’échelle politique ou administrative qu’il soit placé, qui puisse résister. (Vive approbation.)

Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre. (Double salve d’applaudissements. – Bravos et cris répétés de : Vive la République ! Vive Gambetta !)