Textes

Léon Blum

 

Je ne crois pas aux races de déchus et de damnés. Je n'y crois pas plus pour les Allemands que pour les Juifs. Je ressens cruellement cc qui se passe chaque jour. Tout ce qui se dit ou s'écrit aujourd'hui du peuple allemand et de sa responsabilité collective, on le disait et l'écrivait du peuple français, en Angle terre comme en Allemagne, au lendemain de Waterloo. Un bien léger déplacement de circonstances suffit pour ranimer la brute chez l'homme, chez tous les hommes. Mais je suis convaincu, par contre, et c'est là mon optimisme foncier, que l'homme, que tous les hommes sont sensibles à une cure mitigée de bonté et de raison, de fermeté et de confiance, qu'il existe chez eux, chez eux tous, à côté de la sauvagerie séculaire, un sens de fraternité qu'on .peut ranimer lui aussi, en agissant à la fois sur leurs sentiments et sur leurs intérêts. Si la paix se décidait dans un autre esprit, la brutalité n'aurait fait que changer de camp pour quelques années, et les peuples continueraient à se repasser les uns aux autres, comme disait Jaurès, «la coupe empoi sonnée des Atrides ». Il y a des époques de vainqueurs, il y a des époques de vaincus. Une époque suit l'autre. Le danger des époques où chacun se croit vainqueur est plus grand que celui des époques où chacun se sent vaincu.