Chronique d'un temps si lourd

Haine

L'ironie macabre pendant que je tente, ailleurs, de comprendre ce qu'aimer peut dire de métaphysique. Mot tiré d'un radical germanique hat d'où l'allemand tirera Hasse et l'anglais to hate quand le latin utilisera plutôt odium.

On a tendance à l'opposer à l'amour et l'on n'aura pas totalement tort tant celui-ci est toujours appel et création de l'autre quand celle-là en est la négation ; est reconnaissance de l'humain et de ses puissances quand celle-ci les nie.

Il y a surtout ceci, qui la fait demeurer irréductiblement synonyme de perversion, de n'être pas émotion spontanée : il s'y mijote et ourdit, qui se nourrissent au contraire d'eux-mêmes, plans et complots ; car la haine ne se satisfait pas de la négation de l'autre ; encore moins de sa dénégation. Elle ne peut pas même proclamer seulement l'indifférence de ne s'éployer que dans la destruction de l'autre.

On ne pourra jamais écrire chronique de la haine ordinaire car elle en est la contraposition absolue. Si le désir est tendance qui porte vers l'extérieur, la haine qui ne se survit effectivement que de passer à l'acte, est plutôt mouvement centripète. Et se nourrit d'elle-même.

En fallut-il de vivace et de recuite pour conduire ces deux-là à assassiner quelques aimables vieillards à l'humour décapant, au crayon chahuteur d'adolescents chevillé à l'âme ! On devine la sottise, on soupçonne l'endoctrinement ; on en déduira aisément le fanatisme ; oui bien sûr !

Mais quelle conformation débile de l'âme aura-t-il fallu pour susciter et nourrir avec tant d'obstination, ce refus de l'humain ...

Il me souvient de cette formule d'A Memmi à propos du racisme :

misérable machine de mots pour justifier notre hétérophobie et en tirer profit. Discours aberrant et intéressé de l’hétérophobie, le racisme n’est qu’une illustration particulière d’un mécanisme plus vaste qui l’englobe.

La haine n'y échappe pas : elle est tout autant machine de mots et je crois bien que l'élaboration discursive demeure le préalable de tout passage à l'acte. Toujours elle se dit, et se nourrit de ses injures et invectives, avant de se pouvoir exécuter. Les mots n'y affleurent point ; ils abondent. Et infestent l'espace.

Sans doute se nourrit-elle de peur : Memmi le dit ; B Marys l'avait repéré comme une des données de notre culture mondialisée. Au mieux, l'homme craintif se tient-il, coi et servile. De là à penser que notre culture nourrisse la peur pour mieux savoir gérer . Au pire ...

Notre époque, ainsi, parce que de crainte et d'angoisse pétrie, est invariablement temps de haine.

Ce que nous avons devant nous, qui se répète avec l'obstination imbécile d'une détestable rengaine n'est autre que cette montée aux extrêmes. Il en faudra bien du courage, demain, pour tenant chandelle à la main, résister de quelque lueur.

Les nuées de l'orage sont déjà au-dessus de nous ...