Chronique d'un temps si lourd

F Morel

Un très joli billet sur F Morel le chroniqueur de France Inter, sur le site de rue 89.

Et l'occasion de revoir celles de ses chroniques qu'il déclare avoir aimées ; celles aussi qu'il regrette.

Outre celle, émouvante, écrite à l'adresse de son père qui fait se défiler toutes les désillusions de la gauche et se termine nonobstant par le mot courage.

Celle-ci encore, toute simple, si joliment humaniste évoquant ce placard bon WE brandi par un inconnu.

Mais celles qui, je l'avoue, me plaisent le plus, ce sont quand même ces deux-là autour de l'affaire de la petite fille brandissant une banane à l'adresse de Taubira.

J'aime Morel quand il se met en colère ; un peu moins quand il se prend à devoir s'excuser de sa colère.

Si je n'ai pas toujours goûté l'humour de certains qui confondent aisément ironie, sarcasme avec méchanceté ; que je goûte assez peu de type de comique qui tend à brocarder le physique de ses victimes, je sais en revanche que la frontière entre le comique et la vulgarité, entre le rire et la méchanceté est terriblement ténue que l'on franchit aisément sans y pouvoir toujours mais, sans crier gare. Certains en font profession ; tant pis pour eux !

Ce n'est pas le cas de F Morel.

Au gré de ses humeurs, de ses rêveries, il sait donner de l'émotion autant que de la colère. Elles sont rarement intempestives. Les attaques, ouvertement racistes, dont Taubira fut victime avaient simplement atteint un degré insupportable quand il s'avéra qu'elles pouvaient être le fait, en tout cas avoir été relayée par des enfants. Le comble de l'horreur atteint ne méritait-il pas qu'on frappât un grand coup ! qu'on le frappât fort.

Je n'ignore pas que l'enfance est sacrée ! qu'il est malvenu de s'en prendre à plus faible que soi ou qui ne saurait se défendre. Mais outre que rien dans sa chronique ne soit véritablement injurieux hormis cette petite conne, par ailleurs bien mérité, mais dont l'usage est désormais tellement courant qu'il en a perdu sa connotation vulgaire et prendrait presque des allures affectueuses dans la bouche de Morel, oui, outre ceci, peut-on encore parler d'innocence, d'irresponsabilité quand l'agression est à ce point patente ? doit-on encore fermer les oreilles, baisser les yeux et se taire sous le prétexte de l'innocence quand la bête immonde se remet ainsi à rugir ?

Curieux monde où d'un côté domine le politiquement correct, la courtoisie affectée, l'élégance compassée et l'allure feutrée mais si aisément culpabilisée de ce nouveau puritanisme aussi obséquieux qu'hypocrite, venu d'outre-atlantique évidemment, et qui nous empêche de nommer un chat, un chat et d'entonner les hymnes de révolte et les chants de colère quand les événements l'exigeraient et tout cela au nom d'une bienséance pourfendue ; mais où, de l'autre côté, dans la réalité glauque des amertumes rancies des victimes de tout poil ; par les revanches ourdies dans les officines tartufes d'une bourgeoisie qu'on croyait sinon éteinte, au moins paralysée ; mais encore, mais surtout, mais plus gravement encore, dans ces propos quotidiens qui filent l'air de rien, s'offrant les délices honteuses d'une transgression pour presque rien, juste pour rire, qui attestent tous combien effectivement une digue s'est brisée qui empêchait au moins que la haine se dise ; que le racisme se vante. Pour un peu, il serait du dernier chic, ça et là, de tenir de tels propos - d'aucuns ne s'en privent pas - rappelant les heures si désespérantes de cette bourgeoisie prompte à tout céder, et l'honneur d'abord, pour venger l'offense du Front Populaire. Mais où encore, la gangrène ayant atteint le peuple comme on disait autrefois, les gens comme on disait encore dans les années 90 parce que parler de classe sociale ou de prolétariat devenait tellement vulgaire, en réalité tout ce socle de notre société qui va de l'ouvrier, orphelin d'une industrie qui l'a abandonné pour d'autres cieux mondialisés au petit employé et à toute cette couche moyenne en train de se prolétariser et s'apprête à voter, demain, pour le FN.

C'est ce même politiquement correct, qui rime tellement avec couardise, qui empêche de combattre le FN pour ce qu'il est, une officine fasciste ; qui permet à Marine le Pen de réussir son ripolinage politique quant tout, jusqu'au récent retour en arrière de deux transfuges des partis classiques, témoigne non seulement de la résistance au sein du FN de courants fascistes et racistes, mais surtout de leur développement.

Pourquoi continuons-nous de feindre ? Pourquoi n'attaquons-nous pas le FN pour ce qu'il est, en martelant s'il le faut, la réalité de ses officines, les remugles honteuses de ses pratiques ?

Pourquoi n'aurait-on pas le droit de dire que des parents laissant leur enfant proclamer de telles horreurs sont complices ? Pourquoi ne pas crier haut et fort que voter FN demain, c'est attenter à la République, et que tous ceux qui s'y préparent, par sottise, désespoir ou manigance, attentent à leur propre dignité et sont les fossoyeurs de demain ?

Je veux bien tous les brouillages idéologiques que l'on veut ! Mais le libéralisme n'aura pas seulement créé un fossé délirant entre les riches et les pauvres, les élites et le reste de la société, arasant toute différence et meurtrissant définitivement les couches moyennes qui en étaient pourtant le meilleur socle ; elle a aussi, volontairement ou pas, consciemment ou en se bouchant pudiquement le nez, laissé se creuser un autre fossé : d'entre les hommes.

Ne nous y trompons pas : ce fossé est aussi médiatique qui laisse mal entendre, d'entre la parole policée que les gazettes et lucarnes relaient, et ce qui, dans le métro, dans les bureaux, ne se murmure même plus mais se crie - bravache.

Écart terrifiant ! Et il faudrait s'excuser de se lever ? de dire intolérable ce qui est honteux ? et de lever le poing ?

Il fut un temps où la parole politique savait être forte, belliqueuse, certes, injurieuse parfois - ah ces hyènes lubriques et autre chacal puant des premières années de la guerre froide ! - violente même - ah ces bagarres homériques au Palais Bourbon durant l'affaire Dreyfus où il fallut faire intervenir les gardes pour évacuer l'hémicycle !

La courtoisie feutrée ne convient ni au fascisme, ni au racisme ! Il va falloir parler dru ; et agir abrupt, plus encore.

Non, M Morel, il ne fallait pas s'excuser ! même comme vous le fîtes, en ne retirant rien !

Et tant pis pour cette gamine qui aurait pu être moins sotte ! et tant pis pour ses parents trop cons et trop veules pour ne pas deviner où leur engrenage les entraîne.


pour voir ces chroniques ....

1)Hommage à son père

2)Week-end

3)Banane

4)Excuses

et cette autre à propos de Frigide Barjot