palimpseste Chroniques

L'homme de guerre

Revoici la guerre et, immédiatement, un regard modifié de la presse sur F Hollande qui, d'indécis et mou, de brouillon à amateur, devient subitement chef de guerre, pugnace - voici le mot le plus souvent utilisé. Celui que l'on retrouve à plusieurs reprises chez Duhamel, notamment.

Au fond, derrière l'homme de pouvoir il y a toujours qui perce rapidement sous le costume du bourgeois policé, la bête hirsute, de peau de bête revêtue, le gourdin à la main .... Rien n'assure mieux la métamorphose d'un candidat lambda en deus ex machina que l'exercice physique de la violence déclenchée, comme si le monopole virtuel de la violence qu'il détient via l'Etat qu'il dirige demeurait par trop virtuel pour atteindre résolument l'âme de l'impétrant et qu'il fallût nécessairement que fût en acte et non seulement en puissance la force de frappe pour qu'on cessât de voir en l'homme politique autre chose qu'un usurpateur.

L'habit ne fait pas le moine, dit-on ; mais l'arme, le guerrier - assurément. Ne répète-t-on pas à l'envi à propos de tous nos hommes politiques à qui l'on finit toujours par regretter que l'habit eût été trop large pour lui, que finalement la fonction finit par faire l'homme.

Or cette fonction, c'est le knout, l'épée, l'arme - la guerre ! Il est tout juste amusant, dans cette longue tradition de commentaires paresseux où la presse française se vautre avec tant de dilections, que s'y trouve associée si spontanément la référence ecclésiastique. Quand vient le sabre, le goupillon n'est jamais loin ....

Que le pouvoir soit affaire de violence malaisément contenue, nous le savons tous, et Arendt aura écrit sur la question des pages éclairantes : il est au reste plus signe, symbole et parole de violence qu'il n'est en réalité violence proprement dite. Rares sont les figures qui entremêlent violence et symbolique, mais il n'est assurément pas étonnant que les grandes figures de l'histoire demeurent précisément celles qui, au moins successivement, jouent sur les deux tableaux du réel et de la représentation : Louis XIV, bien sûr ; Napoléon, évidemment ; mais, plus près de nous Clemenceau, ou De Gaulle. Encore faut-il remarquer que sitôt que Clemenceau entre véritablement dans l'arène du pouvoir, le glorieux dandy tombeur de ministères cède vite le pas devant le Tigre ; encore faut-il rappeler que jusque dans son physique l'homme anguleux de juin 40 cède le pas devant le majestueux mais patelin vieillard de mai 58.

Tout à l'air de se passer comme si le politique ne pouvait opiner qu'entre la figure du guerrier ivre de conquêtes et le diplomate sans véritable foi ... Entre le général et Talleyrand oui, tant ce dernier représente magnifiquement le commis de l'Etat, prompt à servir quelque pouvoir que ce soit. Comme si la politique n'était qu'affaire de réalisme et jamais d'idéologie et que celui-ci ne deviendra grand que soit en prenant les armes soit en reniant ses convictions. Nous ne désirons rien tant que la paix mais n'adorons rien mieux que les héros de guerre ! Nous ne cessons d'en appeler à la morale politique, la transparence, la sincérité, la vocation mais ne goûtons rien mieux que la ruse, la rouerie voire le mensonge. Derrière tout politique, Machiavel - au moins dans le cliché cynique que nous en conservons - ou quelque byzantine figure d'éminence grise où Mazarin, Richelieu le disputent à Talleyrand * . Qu'on s'en félicite ou le déplore, le grand acteur de l'histoire tient sa place de cette habileté qu'il a, certes aux manoeuvres, mais tout autant - plus ? - à travestir sa pensée et s'accommoder des principes.

La République représente ce moment de rêve - d'illusions - où le puissant, loin d'être au dessus des lois ou du commun serait juste le dépositaire transitoire de la volonté du souverain populaire. Il n'est pourtant pas un seul exemple - l'interdiction constitutionnelle du mandat impératif l'atteste - où le politique ne tente de s'abstraire de ou de se soustraire à ses populaires origines. Qui t'a fait roi ? telle est la question impie qui mine tout pouvoir et qui ne saurait jamais être posée. Le politique tôt ou tard se targue d'un implicite fidéicommis qui lui conférât toute latitude. Transfert non de légitimité - en bonne république le souverain procède toujours du peuple - mais d'autorité : qui a le pouvoir cherchera toujours, certes pour le conserver mais aussi pour être efficace, à tremper sa puissance non dans le voix populaire mais dans le cliquetis des armes. Le Prince, pour demeurer Prince, change de logiciel ; déplace le problème ; réorganise la conjonction des forces. Ceci a un nom : la dialectique. Quand on l'attend du côté du réel il se drape dans ses principes ; quand on le taquine du côté de l'idéologie, il se targue du réel. Il n'est jamais où on l'imagine. Nul ne l'a fait roi, sinon le refrain insupportable des armes ! Il est passé par ici ; il repassera par là ! Furet impénitent, le politique n'est pas dans la transaction que la république rêvait, mais dans la transgression qui du vote, du voeux passe à l'épée. Incontestablement ceci revient à ne plus considérer les campagnes électorales que comme de puissants exutoires où la foule pour se reconstituer en groupe dessine les contours du sacré par l'outrance, la destruction et le conflit (Caillois) que l'on sait d'autant mieux mimer qu'ils sont circonscrits au temps même de la fête, ou bien encore comme le rituel sacrificiel par quoi la masse se rassemble autour du cadavre de celui que l'on exclut sans toujours réaliser que celui que l'on va sanctifier lui ressemble à s'y méprendre. Représentation, oui, simulacre, oui mais au sens précis où il s'agit d'une mise en scène du même, de la tragi-comédie du même ! Qu'importent alors les mots, les promesses ou les programmes : ils ne sont que les motets incantatoires d'une identique pulsion.

Épreuve du feu et cynisme : tout semble oeuvrer pour que le politique finisse par franchir le Rubicond qui le séparera de sa générosité d'impétrant et que la guerre fût certes une épreuve mais surtout le rituel d'initiation qui, à coup de souffrances et de défis, métamorphosât l'homme ; de la gangue surgira le potentat, dont l'amplitude suscitera la crainte ! oui, on a raison d'évoquer l' habit trop large. C'est bien d'épaisseur et d'espace dont il s'agit comme s'il n'était qu'un seul modèle à quoi invariablement se conformer. Que cette mue dût prendre les allures d'un rituel n'est alors pas étonnant : du noviciat évoqué par Duhamel, au baptême du feu, tout nous renvoie, sans qu'on tût pour autant les motifs immédiats du conflit, au rituel sacrificiel supposé canaliser le meurtre initial, condamné pourtant à le reproduire inlassablement. Le désir mimétique omniprésent condamne les protagonistes à se ressembler jusqu'à satiété. Le pouvoir relève du dit, on le sait, mais ce dit est une malédiction.

Faut-il désespérer de la tragédie du pouvoir ou seulement se désespérer de la lecture si conventionnelle qu'en font les commentateurs, j'avoue ne pas savoir ! Aussi fascinant soit-il, le pouvoir n'est constant que dans la désillusion que sempiternellement il suscite et ressuscite. Le désir en viendrait presque de se retirer sur son Aventin théorique si le champ du savoir , n'offrait les mêmes poncifs de violences recuites, les mêmes antagonismes gémellaires ... Ici, où chacun s'épie s'évaluant, ne s'exhausse que dans la critique réverbérée de la critique de l'autre, la pugnacité n'est pas moins forte si elle sait parfois prendre la forme policée de la disputatio. L'allure prise est parfois ridicule qui trahit tant la vanité pour tous ceux qui restent au dehors des enjeux théoriques mais c'est pourtant le même jeu, la même hargne comme s'il n'était de gloire que pour le prédateur. Certes, en changeant de logiciel, la violence reste-t-elle symbolique : on aimerait le croire. Mais pas plus qu'en politique, il n'est de place pour tout le monde et il est toujours un moment où la diatribe se solde par l'exclusion du tiers !

Serres avait en son temps, évoqué la figure de Diogène pour indiquer combien, derrière le Ecarte-toi de mon soleil qui semblait pourtant vouloir répudier toute logique de puissance pour une quête de sagesse qui retrouvât le chemin du monde se tenait pourtant, tapie dans l'ombre, la même quête de puissance en tout cas de primauté qui lui fit, en épousant les règles de la concurrence, donner en réalité quitus à Alexandre de sa puissance. Rien, au fond, ne ressemble plus au loup que l'agneau : celui hurle au loup et fait converger contre lui toutes les haines. Plus il sera victime, faible et démuni, mieux il concentrera la compassion

Qui joue, qu'il gagne ou perde, perd, il perd d'obéir aux règles du jeu ou à sa martingale. Il entre dans l'espace attractif des chamailles et se soumet à lui. S'agenouille, drogué, bavant d'obéissance éperdue, devant les lois de la stratégie, de la lutte, de la victoire.

Diogène est le double du corps du roi, Antigone est remplie de Créon, elle a définitivement perdu, elle est entrée par la porte de la haine dans le tombeau sans soleil.

Est-il seulement une porte de sortie ? Si même le parti pris de la pensée aboutit à la même soumission mimétique ? Car le propre de la violence est encore d'être double : non seulement elle me barre la route vers l'autre en me poussant à le réifier, mais elle ferme le chemin du monde. Elle ramène tout au même, à l'objet et celui-ci à ce qui est simplement disponible, saisissable. L'espace est clos de nos antagonismes répétés et, ... non la raison, procédant du même au même, ne peut rien offrir qui y échappât.

Impasse : se taire ne vaut pas mieux que parler ; méditer pas mieux que combattre ; et s'effondre l'action qui n'est jamais que passion invraisemblable.

Renoncer à tout, à la pensée elle-même ? Sûrement non mais y patauger au moins sans l'illusion qu'elle fût un havre de paix.

 


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1) lire et le commentaire que nous en fîmes

2 ) et ce dès son premier ministère (1906-1909) face aux grandes grèves

3) relire à ce sujet Caillois

4) Serres, Détachement p 152

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