palimpseste Chroniques

François Hollande : la fin du noviciat
Libé du 16 janvier 2013
Duhamel

 

On ne naît pas président de la République, on le devient. Nicolas Sarkozy, qui s’y préparait pourtant depuis longtemps, reconnaissait qu’il faut, une fois élu, entre six mois et deux ans pour entrer dans les différents rôles qu’implique la fonction. Encore certains de ses adversaires proclament-ils qu’il n’y est lui-même jamais totalement parvenu. Au-delà de ces polémiques, il est incontestable que le statut de chef de l’Etat comporte un noviciat. Pour tout président de la Ve République, à l’exception du général de Gaulle qui se vivait depuis 1940 en seul détenteur de la légitimité nationale, il y a donc une période d’apprentissage de la fonction. Elle est difficile, éprouvante, elle est même psychologiquement violente. Il faut tout à la fois s’habituer à vivre dans un palais officiel - ce qui n’a rien de drôle ni d’agréable - se familiariser avec un lourd protocole, modifier soudain son expression publique, corseter son comportement naturel, trouver le ton, le style et surtout la méthode aussi bien avec ses propres collaborateurs qu’avec le gouvernement ou encore avec ses interlocuteurs internationaux. Il faut surtout, au-delà du lourd ballet des apparences, se débarrasser des oripeaux du candidat, choisir soudain sa ligne dans vingt domaines différents. On passe brusquement du virtuel au réel, de la politique rêvée à la politique menée, toujours si difficile à assumer. Globalement, c’est une métamorphose sans anesthésie. Le nouveau président accomplit ses vœux les plus fous en remportant l’élection puis, à peine intronisé, vérifie que comme le soutenait Malraux, le pouvoir est toujours tragique. Il faut plus d’un semestre pour parvenir à l’accoutumance de la fonction en se préservant de l’envoûtement de la puissance. François Hollande est élu depuis huit mois. Le week-end dernier, il est sorti de sa chrysalide. Il était chef de l’Etat, il devient président.

Bien entendu, la mue était entamée depuis un certain temps, en fait depuis sa première vraie conférence de presse en novembre 2012. Le 13 de ce mois-là, le social-démocrate agile, jovial et lyrique a définitivement cédé la place au social-libéral cohérent, décidé et sévère. Après avoir flotté dans ses nouveaux habits présidentiels durant l’été, gagnant du temps en faisant de l’anti-sarkozysme obsolète, François Hollande changeait de ton, de registre et de manière. Sur le plan international, il s’affichait en Européen constructif mais entravé. Sur le plan économique, il engageait la grande croisade de la compétitivité et de l’austérité. Sur le plan sociétal, il maintenait énergiquement ses objectifs (mariages et adoptions pour les homosexuels, réflexion sur la fin de vie, disparition du cumul des mandats…) comme autant de marqueurs nécessaires entre gauche et droite. Le paysage politique de son mandat se mettait alors en place avec un gouvernement social-démocrate contraint de mener dans un certain désordre une politique sociale-libérale, une opposition de droite déchirée, furieuse mais très mobilisée, et une opposition de gauche grinçant et grondant de plus en plus ouvertement. Idéologiquement le quinquennat s’esquissait.

Politiquement, c’est cependant le week-end dernier qu’il a pris son envol. Après huit mois de formation en alternance, François Hollande est devenu à son tour un monarque républicain de la Ve République. Le plus visible, le plus spectaculaire, c’est naturellement la façon dont il a endossé sans broncher son uniforme de chef des armées. Rien n’est plus caricaturalement classique. Sous la Ve République, on devient chef d’Etat en déclenchant une opération en Afrique. Celle-ci était urgente, légitime et nécessaire. François Hollande qui enterrait jadis la Françafrique et proclamait naguère que la France ne devait pas se trouver en première ligne n’a pas eu le choix. Devant l’effondrement de Bamako face aux jihadistes, il fallait remplir son rôle, ce qu’il a fait avec rapidité et détermination, en chef d’Etat d’un pays encore influent.

L’accord significatif et même ambitieux, sinon historique, conclu entre le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGC, sous les auspices de Michel Sapin, relève typiquement du social-libéralisme - compétitivité autant que nécessaire, contreparties sociales autant que possible - et s’affiche comme tel.

Enfin, le choix hautement proclamé de confirmer l’extension du mariage et de l’adoption aux homosexuels malgré le grand succès de la manifestation des opposants complète l’engagement de François Hollande dans les trois domaines clés en trois jours : l’international, l’économique et social, le sociétal et moral. Cette fois-ci, il y a bien clarté des choix et vigueur des décisions. La cohérence est là. Reste à savoir jusqu’où elle sera publiquement assumée, donc lisible… Et si elle réussira

 


 

Tournant
Edito de V Giret
Libé du 11 janvier

Il n’est pas impossible que ce vendredi 11 janvier 2013 constitue un tournant majeur du quinquennat de François Hollande. Ce même jour, et par un hasard du calendrier, le Président a eu la double opportunité de s’affirmer sur le front extérieur et de remporter une première victoire sur la scène nationale, où son autorité semblait déjà vaciller après un départ calamiteux. Au nom de la France, le chef de l’Etat a donné son feu vert à une intervention militaire surprise au Mali (lire pages 6-7), à la demande d’un président aux abois et de populations en grand danger face à des légions islamistes qui contrôlent déjà les deux tiers de ce pays. François Hollande n’a pas hésité devant le risque bien réel de voir se constituer un Etat terroriste au cœur du continent Noir. En assumant cette responsabilité, il s’est assuré le soutien spectaculaire de la quasi-totalité de la communauté internationale : l’Afrique, l’Europe, les Etats-Unis d’Obama et même la Russie de Poutine ont salué la détermination française. En France, l’opposition, chauffée à blanc par le mariage pour tous, a même décrété un instant de trêve pour soutenir l’action du Président.

Dans la soirée, François Hollande pouvait savourer une autre nouvelle inespérée. Le chef de l’Etat invoquait depuis des mois la social-démocratie sans que rien ne vienne lui donner une amorce de réalité. Et voilà que les partenaires sociaux, ou au moins une majorité d’entre eux, s’accordent sur une première négociation sociale, attendue depuis des années. Partiel, insuffisant, rejeté par le premier syndicat de France… les Cassandre ne manqueront pas de trouver bien des défauts à ce projet d’accord. Mais elles auront tort. Cette négociation pourrait bien changer le paysage social français. Elle apporte une bouffée d’air au dialogue social dans un pays au bord de l’asphyxie