Histoire du quinquennat

«Il faut nous préparer à l’inconcevable»

Le philosophe Jean-Pierre Dupuy se réjouit de voir qu’aucun principe de précaution ne vaille :


«Le véritable objet de l’article de Nature, c’est l’incertitude radicale qui pèse sur l’éventualité d’une altération brutale et irréversible des écosystèmes de la planète. Il réussit à synthétiser un nombre considérable d’études, dont beaucoup sont connues, des spécialistes. Le résultat est impressionnant mais n’apporte rien de vraiment nouveau par rapport à ce que l’on pouvait penser et dire à ce sujet il y a dix ou vingt ans. On savait déjà à l’époque que la dynamique des écosystèmes, sous l’effet de rétroactions positives enchevêtrées, présente des points de basculement dont le franchissement conduit irréversiblement à de nouveaux équilibres qui peuvent être désastreux pour la vie humaine et la vie tout court.

«Nous ne savons pas où se situent ces points de basculement, ni sur quoi ils portent, et il est probable dans beaucoup de cas que la seule manière de le savoir est de les franchir. Il faut donc s’attendre à être surpris - désagréablement, cela va sans dire. On sera surpris à coup sûr - donc on ne devra pas être surpris d’être surpris.

«Sous le paradoxe se cache le début d’une sagesse, qui nous enjoint de nous préparer à l’inconcevable. C’est le discours tenu récemment par le directeur de l’IRSN [Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire] à propos d’un éventuel Fukushima-sur-Seine.

«Dieu merci, l’article ne cite pas le principe de précaution, cependant il donne des armes pour en montrer l’inanité conceptuelle. Le fameux principe nous enjoint d’agir même si nous ne savons pas tout au sujet de la menace qui nous inquiète. Mais si je ne sais pas quelque chose - par exemple, le nom de la capitale du Honduras -, alors je sais que je ne sais pas. Or, l’incertitude dont parle Nature est objective. Il devient concevable que l’on ne sache pas que l’on ne sait pas. Le type de prudence adapté à ce cas est encore à inventer.

«La critique du principe de précaution est venue en France de milieux scientifiques et techniques dont l’optimisme béat confine à l’irresponsabilité. Il est intéressant que l’article renforce implicitement cette critique alors qu’il est d’inspiration catastrophiste.»