Elysées 2012

Kairos

Un homme politique se juge aussi à sa capacité à saisir ce que les Grecs anciens appelaient le kairos : le moment opportun. Pour faire basculer une situation, accélérer, prendre l’avantage. Suite à la primaire, l’état de grâce de François Hollande avait duré ce que durent ces phénomènes dans les sociétés médiatiques : quelques jours à peine. Son entrée en campagne avait été inquiétante. Comme si les équipes peinaient à se mettre en place et la stratégie à se dessiner. Le texte que publie Libération aujourd’hui tourne clairement cette page. Et compose, dans cette alchimie si particulière qu’est une présidentielle, un portrait de François Hollande à mille lieues de celui qui circulait jusque-là : offensif et même abrupt, vis-à-vis de Nicolas Sarkozy évidemment, mais aussi de ses alliés de gauche ; ayant une idée extrêmement précise de la politique qu’il compte mener ; au clair sur le diagnostic qu’il fait de la France et de l’Europe. Pour la première fois avec autant de netteté, il déroule la feuille de route de sa campagne et décrit les valeurs qui guideraient son quinquennat. Quels seraient les leviers dont il disposerait comme président d’un pays en crise, dans une économie mondialisée. Quel est, en somme, le contrat qu’il propose aux Français. Le temps viendra de la déclinaison de ces thèmes en mesures ciblées. Mais, à ce stade, sur le plan stratégique, l’accélération de François Hollande rebat les cartes de cette perpétuelle guerre de mouvement qu’est la politique. Et renvoie la patate chaude de la «drôle de campagne» au camp d’en face

N Demorand


Hollande dégaine son «adresse aux Français»

 

Ce ne sont ni des voeux teintés de volontarisme, ni une profession de foi bardée de propositions. C’est une déclaration de guerre. Après deux mois de «drôle de campagne» et de grand huit politique en novembre et décembre, François Hollande fait, à peine janvier entamé, une entrée en campagne musclée et concentrée contre Nicolas Sarkozy.

Dans son «adresse aux Français» que nous publions ce mardi, le candidat socialiste à l’Elysée brandit son slogan de campagne - "Le changement c'est maintenant" - et attaque durement son adversaire, qu’il ne nomme pas dans un premier temps.

«La dépression économique est là, l’angoisse sociale est partout, la confiance nulle part. J’affirme les responsabilités», écrit-il, pointant du doigt «celui qui est au sommet de l’Etat depuis cinq ans». «Certes, depuis 2008, il y la crise (...) Il y a surtout les politiques injustes et stériles menées depuis dix ans, les fautes économiques et morales de ce dernier quinquennat», accuse le député de Corrèze.

Chômage, industrie, «République méprisée», Europe: «Comme les choses seraient faciles si l’échec devenait une excuse, si l’expérience, même malheureuse, devenait une justification opportune de poursuivre et si l’abandon des promesses devenait une preuve de courage», martèle Hollande, dénonçant, deux jours après les voeux présidentiels les «ultimes contorsions» de Sarkozy.

Depuis qu’il se prépare à la présidentielle - trois ans de traversée du désert et une  primaire - Hollande, roi du verbe politique, rebondit de mot en mot, de formule en formule vers 2012. Une fois encore dans ce long texte ciselé. «Plutôt que de reconduire un président qui aurait tellement changé, pourquoi ne pas changer de président tout simplement, ironise le candidat du PS. C’est cette responsabilité qui m’incombe». Il prend date à 110 jours du premier tour de la présidentielle. «En 2012, le choix que vous aurez à faire sera décisif», prévient-il.

Dans sa lettre, Hollande  entend «parler net» aux Français tentés par un vote extrême. «Plus que l’irréalisme des positions du Front national ou l’illusion d’un repli derrière des barrières devenues barbelés, c’est la violence sociale et la vindicte ethniciste qui menaceraient la République» en cas de victoire de Marine Le Pen, son «autre» adversaire.

Dix ans après le 21 avril 2002, Il lance un appel à peine voilé au vote utile. Dans ce scrutin, «beaucoup va dépendre de la gauche, de son esprit de responsabilité, de son courage, de sa cohérence; de son audace» avant d’ajouter «mais aussi de la force de ma propre candidature".

Il promet de diriger selon quatre principes: vérité, volonté, espérance et justice, un mot qu’il mentionne dix fois. En pleine tourmente économique et financière, «il peut y avoir des défis incontournables. Il n’y a jamais une seule politique possible pour les relever», estime le candidat de gauche, qui ne lève à aucun moment le voile sur son programme présidentiel.

Pour cela, selon Manuel Valls, même pas sûr qu’il y ait un «document-talisman, un projet clés en main» distribué lors du meeting de lancement de campagne, au Bourget le 22 janvier. Pas question de fournir des munitions au camp d’en face. Les propositions seront distillées au fil de la campagne, qui reprend mercredi.

Hollande, engagé en politique depuis plus de trente ans, marche dans les pas de François Mitterrand mais aussi de de Gaulle: «Comme en 1981, comme en 1958, ce qui est en jeu dans cette élection (...) c’est l’indispensable redressement de la Nation (…) Comme il y a 31 ans, avec François Mitterrand, si nous savons nous en montrer dignes, c'est vers nous que les Français vont se tourner (…) J'y suis prêt».

Par LAURE BRETTON