μεταφυσικά

Irénée de Lyon
Contre les Hérésies

LA TENTATION DU CHRIST

La victoire du Christ sur le démon, réplique de la défaite d'Adam

Récapitulant donc en lui-même toutes choses, il a récapitulé aussi la guerre que nous livrons à notre ennemi : il a provoqué et vaincu celui qui, au commencement, en Adam, avait fait de nous ses captifs, et il a foulé aux pieds sa tête, selon ces paroles de Dieu au serpent que l'on trouve rapportées dans la Genèse : «Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité; il observera ta tête et tu observeras son talon. » Dès ce moment, en effet, Celui qui devait naître d'une Vierge à la ressemblance d'Adam était annoncé comme « observant la tête » du serpent. Et c'est là la « postérité » au sujet de laquelle l'Apôtre dit dans son épître aux Galates : « La Loi des œuvres a été établie jusqu'à ce que vînt la postérité à laquelle avait été faite la promesse. » Il s'explique plus clairement encore dans cette même épître, lorsqu'il dit : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme. » Car l'ennemi n'aurait pas été vaincu en toute justice, si Celui qui le vainquit n'avait pas été un homme né d'une femme. C'est en effet par une femme qu'il avait dominé sur l'homme, s'étant posé, dès le commencement, en adversaire de l'homme. Et c'est pourquoi le Seigneur se reconnaissait lui-même pour Fils de l'homme, récapitulant en lui cet homme des origines à partir duquel le modelage de la femme avait été effectué : de la sorte, de même que par la défaite d'un homme notre race était descendue dans la mort, de même par la victoire d'un homme nous sommes remontés vers la vie ; et de même que la mort avait triomphé de nous par un homme, de même à notre tour nous avons triomphé de la mort par un homme.

Le Christ triomphant du démon à l'aide des commandements du Dieu de la Loi

Or le Seigneur n'aurait pas récapitulé en lui-même cette inimitié originelle contre le serpent, accomplissant par là la promesse du Créateur et exécutant son commandement, s'il était venu de la part d'un autre Père. Mais, parce que c'est un seul et le même qui nous a modelés au commencement et a envoyé son Fils à la fin, c'est aussi son commandement à lui qu'a exécuté le Seigneur « en naissant d'une femme», en réduisant à néant notre adversaire et en parfaisant l'homme à l'image et à la ressemblance de Dieu. Voilà pourquoi il n'a pas anéanti cet adversaire à partir d'autre chose que des énoncés de la Loi, mais il s'est servi du commandement même de son Père comme d'une aide pour anéantir et démasquer l'ange apostat.
D'abord, il jeûna quarante jours, à l'exemple de Moïse et d'Eue. Après quoi, il sentit la faim, pour que nous comprenions que son humanité était vraie et indiscutable : car c'est le propre de l'homme d'avoir faim lorsqu'il s'abstient de nourriture. C'était aussi pour que l'Adversaire eût un terrain où il pût l'attaquer : car, pour avoir, au commencement, séduit par une nourriture l'homme non affamé et l'avoir ainsi amené à transgresser le commandement de Dieu, à la fin, alors que l'homme était affamé, le diable ne put le dissuader d'attendre la nourriture qui vient de Dieu. Comme il lui disait, en effet, pour le tenter : « Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains», le Seigneur le repoussa à l'aide du commandement de la Loi, en lui disant : « Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain. » Aux mots « Si tu es le Fils de Dieu», il n'opposa que le silence; par contre, il aveugla le diable par l'aveu de son humanité et, au moyen de la parole du Père, réduisit à néant son premier assaut. Ainsi la satiété que l'homme avait connue au paradis par la double manducation fut détruite par la pénurie qu'il souffrit en ce monde.


Alors celui-là, refoulé au moyen de la Loi, tenta de se servir de la Loi à son tour, de façon mensongère, pour déclencher une nouvelle attaque. Ayant conduit le Seigneur au sommet du pinacle du Temple, il lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et ils te porteront dans leurs mains, de peur que tu ne buttes du pied contre une pierre. » Il dissimulait ainsi le mensonge sous le couvert de l'Écriture, ce que font précisément tous les hérétiques : car, s'il était écrit : « Il donnera pour lui des ordres à ses anges », aucune Ecriture ne disait : «Jette-toi en bas », mais c'est de lui-même que le diable tirait cette suggestion. Le Seigneur le confondit donc au moyen de la Loi, en lui disant : « Il est écrit aussi : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. »


Par cette parole contenue dans la Loi, il faisait savoir que, pour ce qui est de l'homme, celui-ci ne doit pas tenter Dieu, et que, pour son compte à lui, jamais, en son humanité visible, il ne tenterait le Seigneur son Dieu. Et ainsi l'orgueil qui s'était trouvé dans le serpent fut détruit par l'humilité qui se trouva dans l'homme.


Deux fois déjà, le diable avait donc été vaincu à partir de l'Écriture : il avait été convaincu de suggérer des choses contraires au commandement de Dieu, et la preuve avait été faite qu'il était l'ennemi de Dieu par ses dispositions. Grandement confondu, il se ramassa alors en quelque sorte en lui-même, mobilisant toute la puissance de mensonge qu'il possédait. Revenant pour la troisième fois à la charge, « il montra au Seigneur tous les royaumes du monde avec leur gloire » et lui dit, ainsi que Luc le rapporte : « Tout cela je te le donnerai — car cela m'a été livré et je le donne à qui je veux —, si, tombant à mes pieds, tu m'adores. » Alors, démasquant son adversaire et dévoilant qui était celui-ci, le Seigneur lui répliqua : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul. » Il le mettait à nu par ce nom et montrait qui il était : car le mot « Satan», en langue hébraïque, signifie « apostat ». Par cette troisième victoire, le Seigneur repoussait définitivement de lui son adversaire, qui se trouvait ainsi vaincu au moyen de la Loi, et la transgression du commandement de Dieu perpétrée en Adam était détruite par l'observation du commandement de la Loi, qu'observa le Fils de l'homme en refusant de transgresser le commandement de Dieu.


Quel est-il donc, ce Seigneur Dieu à qui le Christ rend témoignage, en disant que nul ne doit le tenter" et qu'il nous faut l'adorer et ne servir que lui seul ? Sans aucun doute, c'est le Dieu qui a donné la Loi. Car ces choses avaient été prescrites par avance dans la Loi ; de plus, en citant des textes de la Loi, le Seigneur a bien fait voir que celle-ci annonçait, de la part du Père, le vrai Dieu, et que l'ange apostat à l'égard de Dieu était réduit à néant au moyen des maximes de cette même Loi, démasqué et vaincu qu'il était par le Fils de l'homme gardant le commandement de Dieu. En effet, à l'origine, il avait persuadé à l'homme de transgresser le commandement du Créateur et l'avait ainsi réduit sous son pouvoir, car son pouvoir consiste dans la transgression et l'apostasie, et c'est précisément par celles-ci qu'il avait enchaîné l'homme. Aussi fallait-il qu'il fût à son tour vaincu par le moyen de l'homme et enchaîné par les liens mêmes par lesquels il avait enchaîné l'homme, afin que l'homme ainsi libéré pût revenir à son Seigneur, en laissant à celui-là les liens par lesquels il avait lui-même été enchaîné, à savoir la transgression. Car c'est l'enchaînement de celui-là qui fut la libération de l'homme, s'il est vrai que « nul ne peut pénétrer dans la maison d'un homme fort et s'emparer de ses meubles, s'il n'a d'abord enchaîné cet homme fort». Quand donc le Seigneur l'eut convaincu de donner des conseils contraires à la parole du Dieu qui a fait toutes choses ainsi qu'à son commandement — ce commandement de Dieu, c'était la Loi —; quand l'homme qu'il était eut fait la preuve que le diable était un transfuge, un violateur de la Loi et un apostat à l'égard de Dieu : à dater de cet instant, le Verbe l'«enchaîna» hardiment comme son propre transfuge et « s'empara de ses meubles », c'est-à-dire des hommes qu'il détenait sous son pouvoir et dont il usait injustement. Et ainsi fut fait justement captif celui qui avait injustement réduit l'homme en captivité ; quant à l'homme auparavant réduit en captivité, il échappa au pouvoir de son possesseur par la miséricorde de Dieu le Père, qui eut pitié de l'ouvrage par lui modelé et lui octroya le salut en le restaurant par le Verbe, c'est-à-dire par le Christ, afin que l'homme sache par expérience que ce n'est pas de lui-même, mais par un pur don de Dieu, qu'il reçoit l'incorruptibilité.


Le Seigneur a donc clairement montré que le Seigneur véritable et le seul Dieu est celui qui fut annoncé par la Loi : car le Dieu que la Loi avait prêché par avance, c'est celui-là même que le Christ a présenté comme étant son Père, et c'est aussi lui seul que doivent servir les disciples du Christ. Le Seigneur a également anéanti notre adversaire au moyen des énoncés de la Loi : or cette Loi loue le Créateur comme Dieu et ordonne de ne servir que lui seul. S'il en est ainsi, il ne faut plus chercher un autre Père en dehors de celui-là ou au-dessus de celui-là, « puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu qui justifie les circoncis en suite de la foi et les incirconcis par le moyen de la foi». En effet, s'il existait quelque autre Père au-dessus du Créateur, jamais le Seigneur n'aurait pu anéantir l'Apostasie au moyen des paroles et des commandements de ce Créateur : une ignorance ne peut être dissipée par une autre ignorance, pas plus que par une déchéance ne peut être abolie une déchéance. Si donc la Loi provient de l'ignorance et de la déchéance, comment les énoncés qu'elle renferme ont-ils pu détruire l'ignorance du diable et triompher de l'homme fort ? Car un homme fort ne peut être supplanté ni par un plus faible ni par un égal; il ne peut l'être que par un plus fort. Or, celui qui est plus fort que tout, c'est le Verbe de Dieu. C'est lui qui crie dans la Loi : « Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est l'unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, et tu l'adoreras et ne serviras que lui seul. » Dans l'Evangile, d'autre part, c'est au moyen des mêmes énoncés qu'il anéantit l'Apostasie, c'est par le précepte du Père qu'il triomphe de l'homme fort, et c'est le commandement de la Loi qu'il déclare être ses propres paroles, lorsqu'il dit : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. » Car ce n'est pas par le commandement d'un autre, mais par le propre commandement de son Père, qu'il a anéanti l'Adversaire et vaincu l'homme fort.

Les chrétiens instruits de leurs devoirs par ces mêmes commandements du Dieu de la Loi

Quant à nous, qui avons été libérés, c'est par ce même commandement qu'il nous a instruits de nos devoirs : avons-nous faim, il nous faut attendre la nourriture que Dieu donne ; sommes-nous élevés au faîte de tous les charismes, confiants dans nos œuvres de justice, ornés de ministères excellents, nous ne devons ni nous enorgueillir ni tenter Dieu, mais avoir d'humbles sentiments en toutes choses et garder devant nous la parole : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu» — c'est d'ailleurs ce qu'enseigne aussi l'Apôtre : « Ne vous complaisez pas dans ce qui est élevé, dit-il, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble» —; nous devons encore ne pas nous laisser emporter par les richesses, la gloire du monde et l'apparence présente, mais savoir qu'il nous faut adorer le Seigneur Dieu et ne servir que lui seul, et ne pas croire celui qui nous promet mensongèrement des biens qui ne sont pas à lui, en nous disant : « Tout cela je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu m'adores. » Car lui-même avoue que l'adorer et faire sa volonté, c'est « tomber » du haut de la gloire de Dieu. Et que pourrait-il échoir d'agréable ou de bon à quelqu'un qui est tombé ? Ou que pourrait attendre un tel homme, sinon la mort ? Car, pour celui qui est tombé, la mort est proche. Et certes, le diable n'accordera pas ce qu'il a promis : comment pourrait-il l'accorder à qui est tombé ? D'ailleurs, puisque Dieu domine sur tous les êtres, y compris le diable, et que, sans la volonté de notre Père qui est aux cieux, pas même un passereau ne tombera sur la terre, les mots « Tout cela m'a été livré et je le donne à qui je veux », sont pure vantardise : la création n'est pas sous son pouvoir, puisque lui-même en fait partie, et ce n'est pas davantage lui qui procure aux hommes la royauté sur les hommes, mais toutes choses, et en particulier les affaires humaines, sont disposées suivant l'ordre établi par Dieu le Père. Le Seigneur a dit du diable qu'«il est menteur depuis le commencement et ne s'est pas tenu dans la vérité ». Si donc il est menteur et ne s'est pas tenu dans la vérité, il ne disait assurément pas la vérité, mais il mentait, lorsqu'il affirmait : « Tout cela m'a été livré et je le donne à qui je veux. »

Le démon menteur depuis le commencement

Car il s'était déjà accoutumé, pour séduire les hommes, à mentir contre Dieu. Au commencement, en effet, Dieu avait donné à l'homme en abondance les fruits pour nourriture, tout en lui défendant de manger du fruit d'un seul arbre, ainsi qu'il résulte des paroles de Dieu à Adam rapportées par l'Ecriture : « Tu mangeras de tout arbre du paradis, mais, pour ce qui est de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, vous n'en mangerez pas : car, le jour où vous en mangerez, vous mourrez. » C'est alors que le diable mentit contre Dieu dans le but de tenter l'homme, comme le montrent bien les paroles du serpent à la femme consignées dans l'Ecriture : « Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Vous ne mangerez d'aucun des arbres du paradis ? » La femme repoussa ce mensonge et fît connaître en toute candeur l'ordre de Dieu : « Nous mangeons, dit-elle, du fruit des arbres du paradis ; mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du paradis Dieu a dit : Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez. » Ayant ainsi appris de la femme l'ordre de Dieu, le diable usa de fourberie et la trompa par un second mensonge, en lui disant : « Non, vous ne mourrez point ! Car Dieu sait que, du jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » C'est ainsi que, d'abord, dans le paradis même de Dieu, il discourait sur Dieu comme si celui-ci eût été absent — il ignorait en effet la grandeur de Dieu — ; ensuite, ayant appris de la femme que Dieu leur avait dit qu'ils mourraient au cas où ils goûteraient à l'arbre susdit, il mentait une troisième fois en disant : « Non, vous ne mourrez point ! » Que Dieu fût véridique et le serpent menteur, l'issue le fit bien voir, puisque la mort frappa ceux qui avaient mangé. Car, avec l'aliment, c'est la mort qu'ils attirèrent sur eux, parce qu'ils mangeaient en désobéissant et que la désobéissance à Dieu entraîne la mort. Aussi, à partir de ce moment, furent-ils livrés à la mort, débiteurs qu'ils étaient devenus de celle-ci.


Car ils moururent le jour même où ils mangèrent et où ils devinrent les débiteurs de la mort, pour ce motif que la création ne comporte qu'un seul jour : « Il y eut soir et il y eut matin, dit l'Ecriture : ce fut un seul jour». C'est ce jour-là qu'ils mangèrent, c'est aussi ce jour-là qu'ils moururent. D'ailleurs, à considérer le cycle et le cours des jours selon lequel on parle de premier, de deuxième, de troisième jour, si l'on veut savoir exactement quel jour de la semaine mourut Adam, on le découvrira à partir de l'« économie » du Seigneur. Car, récapitulant en lui l'homme tout entier du commencement à la fin, il a récapitulé aussi sa mort. Il est donc clair que le Seigneur a souffert la mort par obéissance à son Père le jour même où Adam mourut pour avoir désobéi à Dieu. Or le jour où celui-ci mourut est aussi celui où il avait mangé du fruit défendu, car Dieu avait dit : « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez. » Récapitulant en lui ce jour-là, le Seigneur vint donc à sa Passion la veille du sabbat, qui est le sixième jour de la création, celui où l'homme fut modelé, octroyant ainsi à celui-ci, au moyen de sa Passion, le second modelage, celui qui se fait à partir de la mort. D'autres encore reportent la mort d'Adam dans le courant du millénaire, parce qu'«un jour du Seigneur est comme mille ans » et qu'Adam ne dépassa pas le millénaire, mais mourut dans le courant de celui-ci, purgeant ainsi la peine de sa transgression. Ainsi, donc, soit que leur désobéissance ait été leur mort; soit qu'à dater de cet instant ils aient été livrés à la mort et aient été constitués débiteurs de celle-ci; soit qu'ils aient mangé et aient subi la mort en un seul et même jour, pour ce motif qu'il n'y a qu'un seul jour de toute la création ; soit que, à considérer le cycle des jours, ils aient subi la mort le jour où ils ont mangé, c'est-à-dire le jour appelé Parascève, jour que le Seigneur a fait connaître en en faisant celui de sa Passion; soit enfin qu'Adam n'ait pas dépassé le millénaire, mais ait subi la mort dans le courant de celui-ci : selon toutes ces significations, Dieu apparaît comme véridique, puisque ceux qui ont goûté de l'arbre sont morts, et le serpent apparaît comme menteur et homicide, selon ce que le Seigneur a dit de lui : « Il est homicide depuis le commencement et ne s'est pas tenu dans la vérité. »

Les royautés terrestres établies par Dieu, non par le démon

De même donc qu'il mentit au commencement, il mentit aussi à la fin en disant : « Tout cela m'a été livré et je le donne à qui je veux. » Ce n'est pas lui, en effet, qui a délimité les royaumes de ce monde, mais Dieu, car « le cœur du roi est dans la main de Dieu ». Et le Verbe dit par la bouche de Salomon : « C'est par moi que les rois règnent et que les puissants gardent la justice; c'est par moi que les princes sont exaltés et que les chefs régissent la terre. » L'apôtre Paul dit dans le même sens : « Soyez soumis à toutes les autorités supérieures, car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été établies par Dieu. » Il dit encore à ce sujet : « Car ce n'est pas pour rien que l'autorité porte le glaive : elle est, en effet, ministre de Dieu pour exercer la colère et tirer vengeance de celui qui fait le mal. » Et la preuve qu'il ne parle pas des puissances angéliques ni des principautés invisibles, comme d'aucuns ont l'audace de l'interpréter, mais des autorités humaines, c'est qu'il dit : « C'est aussi pour cette raison que vous payez les impôts, car les magistrats sont les ministres de Dieu en s'employant assidûment à cela même. » Tout cela, le Seigneur l'a confirmé en ne faisant pas ce que lui suggérait le diable et en ordonnant, d'autre part, de payer l'impôt aux percepteurs tant pour lui-même que pour Pierre : car « ils sont les ministres de Dieu en s'employant assidûment à cela même».


En effet, lorsqu'il se fut séparé de Dieu, l'homme en vint à un tel degré de sauvagerie, qu'il considéra comme ennemis jusqu'à ceux de sa parenté et qu'il se précipita sans la moindre crainte dans toute espèce de désordre, de meurtre et de cupidité. Aussi Dieu leur imposa-t-il la crainte des hommes — car ils ne connaissaient plus celle de Dieu —, afin que, soumis à une autorité humaine et éduqués par ses lois, ils parviennent à une certaine justice et usent de modération les uns envers les autres, craignant le glaive placé ostensiblement devant leurs yeux, selon ce que dit l'Apôtre : « Car ce n'est pas pour rien que l'autorité porte le glaive : elle est, en effet, ministre de Dieu pour exercer la colère et tirer vengeance de celui qui fait le mal. » Et c'est pourquoi les magistrats eux-mêmes, qui ont les lois pour vêtement de justice, ne seront pas interrogés pour ce qu'ils auront fait de juste et de conforme aux lois; en revanche, pour tout ce qu'ils auront accompli au détriment de la justice, en agissant d'une façon inique, illégale et tyrannique, ils périront : car le juste jugement de Dieu atteint pareillement tous les hommes et ne connaît nulle défaillance. C'est donc pour le profit des païens qu'une autorité terrestre a été établie par Dieu — et non par le diable, qui non seulement n'est jamais en repos, mais ne saurait accepter que même les païens vivent en paix —, afin que, craignant cette autorité, les hommes ne s'entredévorent pas à la manière des poissons, mais refrènent par l'établissement de lois la grande injustice des païens. Et en cela « les magistrats sont les ministres de Dieu ».


Si donc ceux qui réclament de nous l'impôt « sont les ministres de Dieu en s'employant assidûment à cela même», et si «les autorités qui existent ont été établies par Dieu», il est clair que le diable mentait, lorsqu'il disait : « Tout cela m'a été livré, et je le donne à qui je veux. » Car Celui sur l'ordre de qui naissent les hommes est aussi Celui sur l'ordre de qui sont établis des rois convenant à ceux qui, à tel moment, sont gouvernés par eux. Certains d'entre eux, en effet, sont donnés pour l'amendement et le profit de leurs sujets et pour la sauvegarde de la justice; d'autres, pour la crainte, le châtiment et la réprimande ; d'autres encore, pour la moquerie, l'insolence et l'orgueil, selon que leurs sujets le méritent : car, comme nous l'avons dit, le juste jugement de Dieu atteint pareillement tous les hommes. Quant au diable, qui n'est qu'un ange apostat, il peut tout juste faire ce qu'il a fait au commencement, c'est-à-dire séduire et détourner l'esprit de l'homme, pour qu'il transgresse le commandement de Dieu, et aveugler peu à peu les cœurs de ceux qui l'écoutent, pour qu'ils oublient le vrai Dieu et l'adorent lui-même comme Dieu.


C'est comme si un rebelle, après s'être emparé d'une contrée par un acte de brigandage, venait à semer le trouble parmi ses habitants et à usurper les honneurs royaux auprès de ceux qui ignoreraient qu'il n'est qu'un rebelle et un brigand. Tel est le diable. Il était l'un des anges préposés aux vents de l'atmosphère, ainsi que Paul l'a fait connaître dans son épître aux Éphésiens. Il se prit alors à envier l'homme et devint, par là même, apostat à l'égard de la loi de Dieu : car l'envie est étrangère à Dieu. Et comme son apostasie avait été mise au jour par le moyen de l'homme et que l'homme avait été la pierre de touche de ses dispositions intimes, il se dressa de plus en plus violemment contre l'homme, envieux qu'il était de la vie de celui-ci et résolu à l'enfermer sous sa puissance apostate. Mais l'Artisan de toutes choses, le Verbe de Dieu, après l'avoir vaincu par le moyen de l'homme et avoir démasqué son apostasie, le soumit à son tour à l'homme, en disant : « Voici que je vous donne le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, ainsi que toute la puissance de l'ennemi. » De la sorte, comme il avait dominé sur les hommes par le moyen de l'apostasie, son apostasie était à son tour réduite à néant par le moyen de l'homme revenant à Dieu.