Du tragique

Figure du tragique

Comment ne pas songer à Hegel lorsqu'il affirme qu'un peuple heureux n'a pas d'histoire. robespierre Robespierre incarne à sa façon cette malédiction ! L'histoire est jeu de contradictions pas seulement de volonté, encore moins de sincérité.

Il y aura toujours quelque naïveté pour l'homme politique à croire que sa volonté, fût-elle rageuse, suffit à forger le réel même s'il est vrai que l'essence du politique tient essentiellement dans cette volonté de changer le réel. 1

Mais grandeur aussi à le tenter nonobstant. Ce pourquoi le grand acteur prend parfois figure de héros, au sens même de la tragédie grecque: non seulement il brave des forces qu'il ne peut jamais véritablement contraindre mais en même temps il ne sait pas véritablement l'histoire qu'il fait.

Robespierre reste indifférent à la question sociale: il ne la voit pas, tout juste l'entrevoit-il parfois, mais c'est ici un Rubicon qu'il ne peut franchir. Par sa rage à défendre le peuple souverain, il la prépare mais ne la pose pas. Sa révolution à lui s'arrête aux portes du politique: l'eût-il nonobstant posée, cela aurait-il changé quoi que ce soit au cours de l'histoire ? Comment savoir ? Sans doute non ! La tragédie du grand acteur c'est aussi parfois, outre de ne pas savoir exactement l'histoire qu'il est en train de mener, d'être souvent en avance sur son temps, et de ne pouvoir ainsi qu'ensemencer des forces qui fleuriront plus tard. Tragédie, oui, de n'être que les prémices d'une ère qu'on ne verra pas.

Tout se passe comme si l'histoire ne se pouvait réellement entamer qu'une fois les fondateurs disparus. L'histoire n'est pas faite pour les pionniers qu'elle laisse toujours à l'orée. Moïse conduit son peuple vers la Terre Promise mais disparaît juste avant d'y pénétrer. Romulus ne peut fonder Rome qu'en éliminant préalablement son double et disparaît lui aussi à l'aube de la grandeur de sa cité emporté par la foudre céleste. Après le temps des troubles, des crises et des turbulences, vient le temps ordinaire des bâtisseurs. Ce temps-ci n'est pas pour les fondateurs.

Le héros reste à l'intersection, à sa manière crucifié, pour que l'histoire, sur sa dépouille, puisse débuter. Écartelé entre des forces qu'il ne maîtrise pas et qui bientôt l'emporteront, entre des passions qui heurtent sa prédilection rationnelle, mais qui demeurent néanmoins la forme que revêt l'accomplissement rusé de l'histoire, il est la transition douloureuse; l'essence même ce qui transite, passe, et ne laisse nulle trace, sinon controversée.

nietzscheTragique encore que cette malédiction qui entraîne une pensée somme toute humaniste et paisible - la philosophie de Rousseau - à s'achever dans la Terreur comme s'il était impossible que la philosophie pût s'incarner sans dégâts monstrueux ou sanglants. On pense évidemment à Platon qui finit en contempteur de Denys le Tyran de Syracuse; on pense aussi à Nietzsche2 qui dut à la malhonnêteté intellectuelle certes, mais sans doute aussi à la témérité de sa démarche, d'être un jour travesti en pensée officielle du IIIe Reich!


1 c'est bien, vraisemblablement tout le drame à venir de notre actuel président qui se sera fait élire sur sa rage à agir et à combattre le fatalisme. Je gage néanmoins que les faits, têtus, finiront bien par conférer à son fantasme de toute puissance, l'issue tragique qu'elle mérite

. 2) rappelons que sa soeur, morte en 1935, eut l'honneur de funérailles officielles de la part du régime nazi bayreuth