Pouvoir & sacré

Le pouvoir et le sacré

Toute conception religieuse du monde implique une distinction du sacré et du profane

 

Qu'on le veuille ou non, le pouvoir participe du dualisme métaphysique, parce qu'effectivement il dessine un espace d'où immédiatement il s'exclut pour parvenir à seulement fonctionner. Il est l'instance ordonnatrice, classante et échappe en conséquence à ceci même qu'il ordonne. Celui qui détient le pouvoir ne peut pas tout à fait être de notre monde. C'est bien tout le problème de la souveraineté entendue de manière démocratique où le peuple participe d'un monde qu'il est pourtant supposé ordonner; bien pour ceci que le peuple apparaîtra spontanément comme une idéalité, un principe .

Ce pourquoi, en réalité il est toujours exclu et ne peut faire irruption dans le politique que de manière subreptice mais régulée - les élections - faute de tout faire exploser lorsqu'il envahit de plain pied le champ politique - la révolution !

Ce pourquoi les forces politiques traditionnelles auront toujours du peuple une représentation finalement très négative, et que, de la même manière, elles n'ont jamais que de cesse de faire rentrer le peuple dans le rang si d'aventure il en était sorti, même si ce sont ces forces elles-mêmes qui l'en eussent sorti préalablement.

La société elle-même apparaît comme une abstraction: elle est logiquement antérieure à l'homme même si chronologiquement la chose peut sembler absurde.

Ce qu'il faut comprendre et sur quoi il faut insister, c'est que le pouvoir n'est pas quelque chose, n'est ni un objet ni une réalité vivante, ni encore une force qui se puisse mesurer mais bien une abstraction. Ce qui veut dire quelque chose qui se pense, qui se pense justement en extrayant ce qui en lui aurait de réel, de matériel, de contingent et de spécifique pour ne conserver en idéalité que ce qui en lui est universel.

Voici ainsi cerné: le pouvoir est un universel. Pas autre chose. Et comme tel mystérieux!

Sans doute peut-on dire, à l'instar d'Aristote, que le pouvoir précède logiquement l'homme et la société. La première distinction est bien entre le registre du logique et du chronologique .

Selon la loi des trois états d'A Comte, la tendance serait bien celle d'attribuer une existence aux causes des phénomènes 4et donc aux causes des phénomènes. Le pouvoir comme essence, divine le plus souvent.

Ce pourquoi, encore, le détenteur du pouvoir revêt toujours plus ou moins les vertus du thaumaturge: de sa lignée divine, une place à part, un rituel spécifique, qu'en république on nomme protocole, une volonté d'être au-dessus, au delà (des partis, des conflits ou intérêts particuliers ...)

dCe pourquoi, encore, il y aura toujours, qu'on le veuille ou non, d'entre le religieux et le politique, un rapport conflictuel, exclusif, incestueux ! Le pouvoir est sacralisant en même temps que sacralisé, par l'histoire ou le divin ! Il ne peut être le premier qu'à condition de n'être pas le second, ou, en tout cas, de le faire oublier. Ce n'est donc pas entre le sacré et le politique qu'il y a antinomie mais entre le pouvoir et l'église, quelle qu'elle soit ! Il n'est pas du tout étonnant que dès le début, la République dût s'en prendre à l'église catholique mais que par le même mouvement elle chercha à fonder une nouvelle église. Culte de l'Être suprême pour Robespierre; vieux rêve comtien d'une religion de l'humanité, pour ne pas évoquer les différentes fêtes républicaines qui ne sont jamais que des formes affadies d'un sacré qui ne sut pas se fonder explicitement.

C'est bien la seconde fois que nous sommes ainsi confrontés à un rapport à ce point exclusif et ceci ne saurait être un hasard:

 exclusivité de la souveraineté monarchique et populaire (voir ci dessus) ;

exclusivité du religieux et du politique.

Pour comprendre cette dernière, peut-être faut-il simplement se souvenir que le politique participe de la volonté, qu'il est invariablement un refus du réel, et par conséquent fonde l'effort de la dénégation de ce réel, de sa transformation. L'homme s'affirme dans ce refus ce que Hegel avait vu, mais Bataille aussi. Derrière tout homme qui estime, à juste titre ou non, être capable d'imprimer sa marque sur le monde, sur l'histoire et sur la société des hommes, il y a, un mégalomane, assurément, sans doute un délire prométhéen.

 

Mais il y a une troisième exclusivité: celle que la violence entretient avec les deux autres instances (politique et religieuse). La violence est à la fois la justification du politique et son mode d'exercice. Toute la question reste de l'origine même de cette violence, parce que c'est de cette réponse que naîtra alors même

Ces binômes sont essentiellement conflictuels et c'est sans doute pour cela aussi que l'histoire est tragique ! Très exactement, l'histoire ne peut démarrer qu'à partir du moment où s'insinue à l'intérieur de ce couple un troisième terme : la violence. Où, très exactement s'insinue ici l'interdiction de la violence . L'histoire est possible à partir du moment où le tiers est exclu, au même titre que la pensée.

Ce sera toute l'habileté de De Gaulle d'ainsi consacrer la présidence de la République du sceau du suffrage universel :

violence et le sacré 3

Ce qu'il y a, finalement, de commun à toutes les différentes philosophies politiques, c'est précisément, hormis l'anarchisme, de toutes justifier l'organisation politique des sociétés, et donc de légitimer le pouvoir politique par la violence des hommes.

Il semble bien qu'il y ait une réelle triangulaire entre pouvoir, violence et sacré.

Il n'est pas toujours aisé de donner un sens à cette triangulaire, la seule chose que l'on puisse affirmer sans grande crainte est bien que naît la violence, sitôt que sacré et pouvoir s'entremêlent!

xViolence ou plutôt fanatisme. Ce que montre parfaitement cette photo ci contre. En vérité le sacré comme le politique se justifient toujours sinon par l'éradication tout au moins par la canalisation de la violence.

Girard montre parfaitement combien le religieux présente sa pleine utilité sociale en déshumanisant la violence; en la disqualifiant.  Que ce soit en en ritualisant la représentation ne change rien à l'affaire: le religieux pointe ce qui radicalement fait la différence entre la vengeance et la justice et tente d'écarter l'une au profit de l'autre.

A sa manière, le politique ne fait pas - ne veut pas faire -  autre chose, lui qui pose la loi, définit le juste et réquisitionne ainsi à son profit le droit de vengeance et de poursuite que l'on dit naturel.

Rousseau ne dit pas autre chose. L'état social permet à l'homme de sortir de l'animalité, il l'exhausse, il le crée.

C'est bien l'autre manière de comprendre l'acte de création. Si effectivement, comme on l'a dit, c'est par le registre logique et non chronologique qu'il faut saisir le problème; et que donc l'homme est second dans ce vaste processus et la société première, alors la puissance humanisante est bien une puissance créatrice. La société, autre abstraction, c'est le pouvoir ultime de créer l'homme. On comprend pourquoi Comte crut en pouvoir ériger une religion moderne! Le projet était naïf, mais logique.

 

 xCette triangulaire en réalité ressemble à s'y méprendre à cette  tripartition que G Dumézil avait repérée dans l'organisation de toutes les sociétés indo-européennes. Mars, Jupiter & Quirinus.

Mars, c'est la guerre, évidemment, le pouvoir brut, la violence légitimée,

Quirinus c'est l'échange, la communication

Jupiter, c'est le prêtre, le sacré


3) en s'inspirant évidemment de R Girard dont on trouvera ici deux extraits : violence et désir mimétique

4 ) Dans l’état théologique , l’esprit humain dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui les frappent en un mot, vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l’intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l’univers.

 

 

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