Toute
conception religieuse du monde implique une distinction du sacré et du
profane, oppose au monde où le fidèle vaque librement à ses occupations,
exerce une activité sans conséquence pour son salut, un domaine où la
crainte et l'espoir le paralysent tour à tour, où, comme au bord d'un abîme,
le moindre écart dans le moindre geste peut irrémédiablement le perdre. A
coup sûr, pareille distinction ne suffit pas toujours à définir le phénomène
religieux, mais au moins fournit-elle la pierre de touche qui permet de le
reconnaître avec le plus de sûreté. En effet, quelque définition qu'on
propose de la religion, il est remarquable qu'elle enveloppe cette
opposition du sacré et du profane, quand elle ne coïncide pas purement et
simplement avec elle. A plus ou moins longue échéance, par des
intermédiaires logiques ou des constatations directes, chacun doit admettre
que l'homme religieux est avant tout celui pour lequel existent deux milieux
complémentaires: l'un où il peut agir sans angoisse ni tremblement, mais où
son action n'engage que sa personne superficielle, l'autre où un sentiment
de dépendance intime retient, contient, dirige chacun de ses élans et où il
se voit compromis sans réserve. |