Il y a un siècle....

Pour un parti de l'intelligence
Figaro supplément littéraire 19 juil 1919

 

Certains intellectuels ont récemment publié un manifeste où ils .reprochèrent à leurs confrères d'avoir « avili, aDaissé, dégradé la Npensée en la mettant au service de la patrie et, de sa juste cause. Les signataires de l'appel que nous publions aujourd'hui eussent laissé de tels propos sans réponse, .comme ils laissent leurs auteurs "s'exiler euxmêmes, si leur action ne semblait susceptible d'agir comme un mauvais ferment et de menacer l'intelligence et la société. Ils pensent, en effet, que l'opinion publique, troublée par ces folies, a besoin d'être guidée et protégée, et ils estiment que c'est le rôle d'écrivains vraiment conscients du péril et qui entendent servir.

Contre le bolchevisme de la pensée, contre le -parti de l'ignorance, ils entendent organiser une défense intellectuelle. Et c'est dans ce^dessein qu'ils ont signé l'affirmation collective que voici

La victoire apporte à notre génération des possibilités magnifiques. C'est à ceux qui survivent qu'il appartient de les réaliser, en pensant cette victoire où f ne doit pas s'achever leur effort. Pour ne pas se détruire, il faut que les volontés s'accordent. Une doctrine intellectuelle peut seule les unir, en leur proposant un but identique etdes directions transmissibles. ̃• :̃

Une œuvre immense de reconstruction s'impose à l'univers bouleversé. Citoyen d'une nation ou citoyen du monde, il nous faut dos principes identiques qui nous rendent aptes à l'action la plus particulière comme à l'action la plus universelle. Où les trouver, sinon dans les lois de la pensée qui sont la condition même de notre progrès individuel et du progrès de l'espèce?

C'est à un' apostolat intellectuel que nous voulons nous consacrer, en tant que Français d'abord, mais aussi en tant qu'hommes, en tant que gardiens de la civilisation. Le salut public et la sauvegarde de la vérité sont les points de vue qui nous guident ils sont assez largement humains pour intéresser tous 'les peuples. Si nous mettons au premier plan la préoccupation des besoins de la France et la reconstitution nationale, si nous voulons avant tout servir et accepter nos obligations citoyennes, si nous prétendons organiser la défense de l'intelligence française, c'est que nous avons en vue l'avenir spirituel de la civilisation tout entière. Nous croyons et le monde croit avec nous qu'il est dans la destination de notre race de défendre les intérêts spirituels de l'humanité. La France victorieuse veut reprendre sa place souveraine dans l'ordre de l'esprit, qui est le seul ordre par lequel s'exerce une domination légitime.

Mais une telle hégémonie a pour condition nécessaire de s'appuyer sur une patrie bien assise. Pour agir, il faut être. Aussi entendons-nous nous rallier de toute notre raison et de tout notre coeur aux doctrines qui protègent et maintiennent l'existence de la France, aux idées conservatrices de sa substance immortelle. L'intelligence nationale au service de l'intérêt national, tel est notre •'premier principe.

Des écrivains qui veulent travailler à la réfection de l'esprit public et des lettres humaines, estimantqu'il n'est pas de société solide sans organisation intellectuelle, ne pouvaient éluder le problème politique et l'on peut dire qu'ils n'ont été déterminés dans leur choix que par une adhésion sincère de l'intelligence à la vérité. Eii adoptant les solides axiomes de salut public posés par l'empirisme organisateur, e'est tout ensemble un ecte de raison qu'ils accomplissent et une expérience dont ils témoignent. L'analysé et l'observation qu'ils pratiquent par état ont suffi à leur découvrir l'infirmité de ces doctrines démocratiques que « la nattrre même juge et condamne chaque jour par l'échec qu'elle leur inflige ». Enfin, plus que d'autres, ils sont sensibles à la nécessité d'un ordre social qui est la condition même de l'existence et.de la durée des lettres et des arts. En élisant des doctrines politiques. dont le développement est accorde avec les leçons de la vie même, ils ne font que se subordonner aux conceptions de l'intelligence qui préside à la conduite publique comme à l'ordre du, monde. Le nationalisme qu'elles leur imposent est une règle raisonnable et humaine, et française par surcroît.

S'ils entendent, en effet, organiser une défense française, en reprenant les disciplines de notre pensée; de notre expérience et de notre goût, c'est à l'intelligence qu'ils demandent d'être l'inspiratrice des lettres nationales, car ils pensent que les directions intelltctuelles que la France suivra seront d'une importance capitale pour le rôle qu'elle jouera dans le monde. Or l'intelligence est ce qui fait la ressemblance humaine. Cette internationale de la pensée que veulent accaparer les bolchevistes de la littératures-quel esprit est plus apte à Rétablir que cet -esprit classique qui est } proprement ̃< l'essence des doctrines de toute la haute humanité »? Plus que ces humanitaires, nous avons le regard tourné sur le genre humain. Mais n [estce pas en se nationalisant qu'une litté- rature prend une signification plus universelle, un intérêt plus humainement général? On l'a dit avec justesse « C'est une profonde erreur de croire que l'on travaille à la culture européenne avec des œuvres dénationalisées. L'œuvre la plus digne d'occuper la culture européenne est d'abord celle qui représente 'le plus spécialement son pays d'origine. »

Aussi bien, en posant le principe de l'intérêt national, en travaillant d'abord à la restauration de l'esprit et de l'Etat français, c'est à l'Europe et à tout ce qui subsiste d'humanité dans le monde que va notre sollicitude.- L'humanité française en est la garantie souveraine. Réfection de l'esprit public en France par les voies royales de l'intelligence et des méthodes classiques, fédération mtcllectuelle de -l'Europe et du monde sous l'égide de la France victorieuse, gardienne de toute civilisation, tel est notre double dessein qui procède d'une unité supérieure. En nous imposant une surveillance permanente de la grandeur et de l'intégrité do notre patrie, c'est le souci des intérêts de Y espèce qui nous meut et voilà ce que nous nous attacherons a rendre manifeste par la doctrine et par les œuvres.

̃ Si. nous sentons la nécessité d'une pensée philosophique, morale, politique qui organise nos expériences, si nous prétendons opposer au désordre libéral et anarchique, au soulèvement de l'instinct, une méthode intellectuelle qui i hiérarchise et qui classe, si en un mot nous savons ce gue nous voulons et ce que nous ne voulons pas, nous n'entendons point demeurer des doctrinaires et des critiques. Les méthodes où nous nous sommes fixés consistent à comprendre et engagent à agir; elles sont essentiellement créatrices. Mais il existe une pensée qui arrête la pensée, un' art qui est la fin de l'art, une politique qui détruit la politique, ce sont les seuls que nous soyons décides à proscrire.

A cette heure d'indicible confusion où l'avenir de la civilisation est on jeu, notre salut est d'ordre spirituel. En nous groupant contre toutes les puissances antagonistes de l'esprit, nous réaliserons notre victoire. Le genre humain en bénéficiera avec nous.

Cette supériorité intellectuelle que nous voulons éclatante est non moins mise en péril par les tendances matérialistes de ces théoriciens qui ne voicnt la rénovation de la France qu'industrielle ou commerciale. Dans cette grande réforme sociale qu'on nous prépare, c'est un attentat contre la culture qui s'apprête. Et l'on voit des intellectuels qui ont découvert l'ozone et la houille blanche déserter soudain leur devoir d'état. Cette réforme économique et matérielle1, nous la voulons comme eux, mais nous ne la voulons pas au détriment de l'esprit. Rien ne se fera contre lui, car rien ne pourra se faire sans lui. Point de relèvement matériel sans relèvement intellectuel. Ici, comme ailleurs, c'est l'intelligence qui prime tout. Nul doute que la force des choses ne détermine des changements sociaux utiles et. nécessaires mais c'est toujours la pensée qu'appartient le gouvernement des choses.

En outre, dans la mesure mème où il menace la culture, le modernisme industriel méconnaît la réalité morale. 11 prétend refaire une société sans se soucier de Yhomme: il fait dépendre son bonheur du seul renouvellement de la vie matérielle et n'a aucun souci de sa personne. Là où nous jugeons que la simple action politique demeure insuffisanté, ces gens pratiques croient pouvoir se passer d'une philosophie générale. Pour nous, réforme sociale, et réforme morale sont indissolublement liées. Croyants, nous jugeons que l'Eglise est la seule puissance morale légitime et qu'il n'appartient qu'à elle de former les mœurs incroyants, mais préoccupés du sort de la civilisation, l'alliance catholique nous apparaît indispensable Enfin plus que jamais l'élite intellectuelle a le sens de sa responsabilité sociale. La vision plus profonde, plus réelle de la souffrance nous a restitué le sentiment de notrotpropre devoir envers ce peuple que nous sommes chargés d'éclairer elle nous a rendu sensible l'idée des réparations,immenses à accomplirdemain, de cette «créance muette et î-ésignée des classes démunies, incultes et qui ont tout donné». Notre rôle est, d'abord, de les défendre contre la nouvelle tyrannie de la richesse, en dénonçant la ruée furieuse d'une ploutocratie qui se pose comme le parti del'ignorance organisée. "̃.

Ce serait, par ailleurs, singulièrement utiliser notre victoire que de prétendre, sous prétexte d'organisation, nous ramener au point de l'Allemagne vaincue, où tout était sacrifié aux entreprises de la vie pratique.

La nation française a dans son passé des principes d'organisation incomparable. Ceux d'entre nous qui professent la religion catholique sentent quelle étrange force elle ajoute à cette première disposition. Elle implique, en effet, « l'unité de la foi, c'est-à-dire l'unité de la pensée clans les matières essentielles, l'unité de l'obéissance à une loi explicite et fondamentale qui devrait être l'âme de toits les codes humains bien conçus; l'unanime soumission enfin qui attache à une hiérarchie qu'elle considère comme sacrée ». El à cette œuvre de reconstruction intellectuelle qui nous fait unir, on ne s'étonnera pas que nous associons la pensée catholique. Une (les missions les plus évidentes de l'Eglise, au cours des siècles, a été de protéger l'intelligence contre ses propres errements, d"enipccher l'esprit humain de se détruire lui-même, le doute de s'attaquer à la raison, gardant ainsi a l'homme le droit et le prestige de Ici- pensée.

Nous avons défendu, dans cette guerre, la cause de Y esprit. C'est pour que cette grandeur ne disparaisse pas que des hommes se sont fait tuer. Il nous faut continuer ce service en renouvelant la vie intellectuelle de la France. Cela est nécessaire quand on songe à la haute mission humaine, à la grande élection spirituelle qui domine toute son histoire, à cette destination qui estlasienne et dont la victoire nous restitue le sentiment profond.

Le parti de l'intelligence, c'est celui que nous prétendons servir pour l'opposer à ce bolchevisme qui, dès l'abord, s'attaque à l'esprit et il la culture, afin de mieux détruire la société, nation; famille, individu. '̃•

Nous n'en attendons rien de moinsque la reconstitution nationale et le relèvement du genre humain.