Il y a 100 ans ....
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Périple

De traîner durant trois jours d'entre abbayes, abbatiales et champs de bataille en Marne et Meuse des impressions plutôt mitigées :

- l'omniprésence de Jeanne d'Arc dans les Églises, cathédrale et abbatiales. Son culte a été passablement récupéré par la droite et notamment par celle nationaliste que représentent assez bien Barrès et Maurras et se veut la célébration à la fois de l'âme de la France dans son versant patriotique et la mise en évidence de cette furia francese qui est le leit-motiv joliment orgueilleux de la stratégie de l'Etat-Major français. Pas étonnant alors qu'on en retrouve les traces dans tout l'Est de la France. Mais elle est aussi le symbole même de ce doigt de Dieu qui protège la fille aînée de l'Eglise. Sa canonisation entamée dès 1869 à l'initiative de Mgr Dupanloup, traînera notamment à cause des relations difficiles entre le Vatican et Paris, surtout après la loi de Séparation évidemment. Par ailleurs, très tôt des initiatives parlementaires tendront à instituer une fête annuelle du patriotisme dédiée à Jeanne d'Arc fixée le 8 mai date de la libération d'Orléans. Elle ne sera votée qu'en 1920, ce qui n'est guère un hasard : le travail de fraternisation dans les tranchées entre laïcards et culs-bénits aura dépassé le conflit d'avant guerre entre nationalistes, souvent anti-républicains et les fidèles de cette République qui d'abord se voulait laïque. Figure de rassemblement sans doute, symbole de courage et de détermination, assurément, mais dont la récupération systématique par la droite extrême, aujourd'hui encore, entache quand même l'universalité possible.

- le télescopage brutal et obscène entre les sites. D'une guerre, l'autre, à un siècle de distance, Valmy à la grandiloquence forcée ou la maison de la dernière cartouche à Bazeilles et de l'autre ces ossuaires (Douaumont ou Bazeilles) qui font imploser toute grandeur et ramène à la macabre réalité de la guerre.
Les réécritures évidemment font leur office et un Goethe peut dater de Valmy le grand moment de l'histoire de l'Humanité - qui n'était au reste que la première victoire de la jeune révolution qui allait s'essayer à la République, ce qui n'est pas rien pour lui avoir donné un avenir de nouveau possible - le site, reconstitué comme le moulin d'ailleurs, a quelque chose de propre et de net tout conçu pour l'exacerbation de la grandeur, mais ne laisse rien, nulle trace de la guerre réelle. Quel contraste avec Douaumont ou la tranchée des baïonnettes, avec cet alignement torpide de tombes, cet entassement d'ossements, ou encore ce bouleversement irréversible des sols et du paysage que l'on peut repérer aux Eparges ! Folie meurtrière que l'on peut draper de toutes les élégies patriotiques que l'on voudra, qui saute aux yeux et vous prend à la gorge. Guerre moderne qui, à l'instar de nos industries et de nos villes, dispose autour d'elle des traces indélébiles, des rémanences glauques qui interdisent qu'on les puisse encenser sans l'arrière-goût amer et putride de ce déni absolu de l'intelligence, de cette offense universelle à la vie humaine.

- quelques paysages superbes qui insultent la laideur maussade de villes comme Verdun - ou pire encore Sedan - sur ces terres que la géographie a prédisposées pour d'incessants conflits. Mais surtout des lieux vides que l'industrieuse présence des hommes a désertés et où se ressentent, comme une claque, non seulement la disparition de l'agriculture mais encore la désindustrialisation. Terres de rien, terres pour rien, et même plus de passage, terres que je connais trop bien pour y avoir vécu la première partie de ma vie, terres ingrates que hantent désormais quelques rescapés à l'accent improbable traînant derrière eux une kyrielle de souvenirs même pas agréables.

Pour le reste .... la preuve péremptoire de l'absurdité !