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Rétro

 

A regarder ces photos retraçant cette étrange année, il en viendrait presque l'impression d'une année terrible. Le fut-elle plus que d'habitude ? Ce n'est pas certain même si la guerre, aux portes de l'Europe, confère au paysage un goût de cendres plus prononcé encore. Canicules sur sécheresse, incendies sur pollutions, désastres et destructions militaires, la présidentielle en France passerait presque pour un non-événement et sans doute l'eût-elle été si le corps électoral n'avait eu la facétie, à peine réélu, de refuser au sortant une majorité parlementaire. L'impression étrange en tout cas que plus rien ne s'enclenche véritablement et que le pays lentement se délite, se dépenaille. Les services publics ne suivent plus ni n'arrivent à recruter : tant la Santé que les Transports, la Justice que l'Enseignement. On a tellement glosé depuis trente ans sur un Etat mastodonte et l'ambition sottement comptable de dégraisser le mammouth, que l'Etat, trop faible, ne suit plus ; ne sait plus ; s'effrite.

Et ce grand désarroi devant les périls qui montent.

Rituel qui en vaut bien d'autres s'il n'a pas grande signification que d'ainsi tenter de dresser bilan d'une année écoulée - les causes viennent de si loin et les enchaînements se prolongeront parfois si longtemps … - demeurent néanmoins l'angoisse d'une catastrophe imminente, tant écologique qu'économique, conférant à ce qui se donne à voir cette amertume de fragilité et de provisoire, qui est bien un peu la marque du moment et la sensation qui paralyse d'une impuissance absolue qui ferait nos mains imperturbablement riper sur le rabot et lasser nos efforts les plus intenses. Il se dit beaucoup que mentalités et aspirations auraient changé après la crise sanitaire : un retour difficile sur le lieu de travail, une remise en perspective de la vie privée par rapport à la vie professionnelle trop envahissante à quoi l'on préférerait calme et prudence des petites villes de Province. Je me méfie de ces mutations trop brusques pour ne pas être illusoires et si l'idée d'une cité moins âpre au gain et avide de promotion ne me déplait pas, je la soupçonne cependant susceptible de revenir à ses habituels tourments sitôt l'hiver revenu.

A me lire, je réalise avec quelque effroi, combien je m'éloigne. Au point de ne consacrer aux élections que quelques rares lignes sans passion ayant préféré m'appesantir sur Montaigne ou cette morale en histoire et images que je n'ai pas encore terminée. Je redoute de ressembler à ces lecteurs, repérés par un article du Monde, se désintéressant de la politique, mais de l'actualité en général, la trouvant trop anxiogène, trop déprimante, et ne parvenant aucun espoir à y arrimer. Mais c'est le monde qui s'éloigne de moi, ressemblant de moins en moins à celui que j'ai aimé, et depuis longtemps plus à celui de mon enfance. Il ne fait jamais bon s'attarder quand, bas et lourd, le ciel semble vouloir vous interdire de lui donner un sens. Il faudra beaucoup d'amour pour y parvenir encore et le rendre à nouveau habitable. Beaucoup d'énergie donc. En sommes-nous encore capables ?

En suis-je encore capable ?

J'aime qu'on eût retenu ici la figure de R Depardon qui demeure un des derniers témoins vivants ayant assisté aux Accords d'Evian il y a 60 ans. On ne le dira jamais assez quand même on aura cru longtemps qu'elle fût, avec la chasse, l'apanage d'une virilité glorieuse et héroïque, mais la guerre n'est jamais, encadrée que de palabres qu'on croit d'abord inutiles et impossibles pour à la fin les estimer assez nécessaires et souhaitables et ainsi les reprendre, n'est jamais que le vain tapage, mais si cruellement meurtrier et destructeur, que produit la vanité lorsqu'elle n'est tempérée par rien.

Les voici, souriants et confiants, ceux-là qui signèrent les Accords conférant l'indépendance à leur pays mais, le devinèrent-ils, neparviendraient à mettre fin ni aux violences ni aux injustices. On ne fait la révolution ou la guerre que pour le rêve d'un mieux, d'un plus juste et plus pacifique. Et pourtant ! Notre Révolution comme la leur montrent avec acrimonie, combien ces cités que nous croyions pouvoir fonder, qui seraient meilleures parce que nôtres, n'ont souvent rien à envier à nos pires cauchemars.

Impuissance encore.

Le Point feint de s'interroger sur la manière dont finissent les dictateurs et rêve des scenarii de chute pour Poutine. Hypocrisie ou aveuglement de journalistes ? Qu'importe au fond ! il est d'usage de hurler à l'incompétence ou à la prévarication quand les pouvoirs, impuissants, ne parviennent pas à leurs fins ; de hurler à la dictature quand les pouvoirs, forts, cessent seulement d'être cyniques. C'est oublier qu'ils en appelèrent à ceci précisément qu'ils fustigent aujourd'hui.

C'est oublier seulement notre rapport étrange au pouvoir. Teinté de répulsion autant que de fascination, je crains bien que nous ne nous agitions jamais qu'autour du contraire de ce que nous sommes, vivons et possédons. Et attendions de l'autre, homme providentiel ou monstre, qu'il réalise ceci même dont nous sommes incapables et que nous nous interdisons même souvent de formuler.

Le pouvoir est de l'ordre de la destruction, de la salissure, de l'étouffement et de la mort. Il corrompt non pas seulement au sens où nous l'etendons usuellement mais surtout en ce qu'il érode en nous tout ce qui n'est pas nous qui nous permettrait pourtant de demeurer humain. Histoire de blasphème autant que de démesure. Il m'arrive parfois de songer que la grande invention du monothéisme aura peut-être été, en posant l'existence d'un Dieu transcendant et tout-puissant, de nous apprendre ou rappeler que la place du pouvoir est toujours/déjà occupée, qu'il est vain de la vouloir usurper ; dangereux surtout. De penser que sous l'apparente contradiction du mythe de la faute originaire, il y aurait seulement ceci, que les grecs avaient aussi entrevu, qu'exister est déjà une injustice ; déjà une violence et qu'il ne nous est pas d'autre voie autorisée que celle qui nous conduirait à abaisser au plus bas niveau possible le seuil de destruction dont nous sommes capables.

Année en tout cas où devient visible, patent, tout ce dont on nous menaçait et que d'aucuns crurent pouvoir nier. Où tout devient instable. Fragile. Périlleux.

Il faut bien du courage pour croire encore que les nuits sont enceintes