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Désintérêt ?

Ou bien inappétence ?

Je les regarde gesticuler ; se perdre en d'infinies conjectures sur la nomination de celle-ci ou la démission de celui-là ? Ne me reste plus qu'à comparer ce que je pus écrire en 2007, 2012 ou même 2017. N'aurais-je plus rien à écrire de l'avoir trop fait ? l'intérêt en serait-il émoussé ? le spectacle serait-il devenu si mauvais ?

Je n'ai même pas commenté la réélection de Macron.

Aurais-je cessé d'y croire ? qu'il s'agisse d'un non-événement ? ou que lui-même eût tout ourdi pour que la campagne n'ait pas lieu ou si tardivement sans réel programme ? ce qu'au reste il aura recommencé en tardant un mois durant, de nommer un nouveau Premier Ministre

Un peu de tout cela sans doute.

Il n'en demeure pas moins qu'à s'entêter ainsi à dépasser le clivage gauche/droite Macron est responsable aussi de l'éloignement adopté par le corps électoral. On ne joue jamais impunément avec le nihilisme. Si les idéologies et les couleurs partisanes ne signifient rien, alors celui qui le proclame non plus. Et le sbire apparaîtra bientôt comme un homme sans aveu, sans conviction. Un stratège tout au plus. Un cynique au pire.

L'âge, l'habitude des déconvenues, la litanie lassante des réformes qui toutes vont dans le même sens de l'aggravation, le sentiment que nos représentants demeurent obstinément à mille lieues des crises climatiques autant que sociales qui grondent de plus en plus fortement et, surtout, cette désinvolture cynique qui ne cherche même plus à se dissimuler, érigeant le mensonge et le clientélisme en art moderne de la communication digitale … il y a de quoi se boucher le nez et regarder ailleurs.

Macron réélu - mais, bigre, que l'écart avec l'extrême-droite se sera rétréci ! - se piquant de nous promettre manière nouvelle de gouverner et initiatives décoiffantes et puis … rien. Des législatives qui approchent sans que la campagne débute vraiment qui ne passionne personne même si l'on tâche, pour maintenir le suspense, de nous faire accroire que la gauche, subitement sortie des limbes, eût quelque chance de l'emporter.

Certes, le brouillage idéologique y joue pour beaucoup qui fait que nul ne sait plus vraiment qui est à droite ni d'ailleurs ce que signifie encore la gauche. Sans compter cette trouble méfiance à l'idée qu'elle pût se résumer à l'atrabilaire Mélenchon.

Certes la nomination d'une femme à Matignon et de deux autres pour l'encadrer dans cette planification écologique subtilisée à Mélenchon ! Mais quoi ? si la chose est réjouissante, elle illustre la honte que ce ne soit que la seconde fois en trente ans et notre grande paresse intellectuelle et politique. Après tout l'important n'est-il pas la politique qui sera suivie et les ruptures que l'on nous a promises plutôt que les personnes qui les porteront ?

Les révolutions ne viennent pas toujours d'où l'on s'imagine et les grandes mutations, souvent, s'avancent avec la discrétion timide de l'inexpérience. Marx en alla chercher la source dans les grondements de la classe ouvrière ; Braudel dans les strates plus complexes qu'on ne l'imaginait de la temporalité. Pourquoi ne débuterait-elle pas dans les symboles ?

Je songe à ces trois femmes - Irène Jolliot-Curie à la Recherche Scientifique ; Suzanne Lacore aux Œuvres de l'enfance et Cécile Brunschwig à l'Education Nationale - qui ouvrirent la voie. Ce fut tout le mérite de Blum de l'avoir voulu et de confier un promontoire à ces femmes qui toutes trois, chacune à leurs manières, furent des pionnières.

Il est rare, soyons honnête, qu'un gouvernement marque ainsi durablement son temps et la mémoire. Pour la première fois, la gauche accédait, unie, au pouvoir : reconnaissons qu'elle n'a pas démérité. De Mitterrand à Jospin, et même Hollande pour l'engagement tenu de gouvernements paritaires, la gauche fut au rendez-vous ! A vous redonner presque espérance dans le politique.

Reconnaissons que nommer, en 36, trois femmes au gouvernement alors même qu'elles n'étaient ni électrices ni éligibles et que même elles ne pouvaient rien faire sans l'autorisation de leurs maris avait quelque chose d'intrépide, engageant et vertueux - ce qui est bien à la manière de Blum.

J'aime qu'il sût ainsi réunir ces trois femmes que tout à la fois réunissait et opposait.

La femme de science, fille de Marie Curie, mais grande scientifique elle-même, à la santé fragile et qui répugnait à s'éloigner de ses recherches mais accepta néanmoins, pour une durée définie de trois mois, pour la cause féminine et bien au delà d'un engagement politique qui la portait plus vers le PC d'ailleurs que la SFIO. L'institutrice, Suzanne Lacore, engagée depuis toujours dans les rangs de la SFIO - on citera par exemple cet article de Compère-Morel dans l'Huma de 1914 faisant référence à une publication de Lacore dite Suzon - ne désarmera jamais. Elle finira centenaire dans la plus grande discrétion en n'ayant jamais cessé de militer, écrire, publier. Cécile Brunschwig, enfin, fille de bourgeoisie industrielle, juive d'origine alsacienne, dans un milieu où l'on n'imaginait pas utile que les filles fassent des études ou exercent un métier, passe son brevet supérieur à l'insu de tous. Très tôt elle militera pour la cause des femmes au travail. Sera à l'origine des Surintendantes des usines, ancêtres des assistances sociales. L'ironie est que cette femme, épouse du philosophe Léon Brunschwicg, resta fidèle au parti radical qui refusa jusqu'au bout le droit de vote des femmes.

Engagées ; totalement. Comme si leurs vies faisaient un avec la cause défendue. Il faudra s'interroger un jour sur ces destins étonnants qui à leur manière récusent le paravent infranchissable d'entre vie publque et privée - séparation pourtant indispensable mais si souvent prétexte à renoncements, petites et grandes lâchetés ; petites et grandes trahisons. Chez elles, rien de tout cela : non pas un sacrifice - il n'y eut rien chez elles de ce dolorisme coupable en quête d'un pardon quelconque qu'on peut observer ailleurs - mais un engagement, celui d'une vie, faite d'actes comme de dialogues. D'incroyables exemplaires de dignité.

Quoique durant une durée limitée, ces trois femmes surent prendre des initiatives dont on mesure aujourd'hui encore la portée.

Je ne veux pas sombrer dans la récrimination ronchonne d'un c'était mieux avant ou pire encore, des femmes comme cela il n'y en a plus ! Ne l'oublions pas, les circonstances nous font autant que nous les produisons. Aux grandes périodes de tension, de grands acteurs. L'actualité le montre suffisamment : nous sommes à de multiples croisées et, dans l'ombre peut-être encore, d'autres femmes et hommes se lèveront et redoreront notre avenir de leur dignité. L'histoire montre néanmoins que c'est rarement des milieux aisés et des situations acquises que s'élèvent les grandes voix.

Je n'aime pas cette indifférence. Qui de moi ou du monde s'éloigne ? je ne sais ! je sais seulement que nous ne tenons notre humanité que de cette parcelle fragile de tension insinuée entre nous et le monde : c'est ceci que l'on nomme intérêt.

Il n'est pas d'humanité qui vaille sans mains tendues, sans mains à saisir ; sans regard.