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Augures

Une année qui débute. J'aime assez que ce qui s'inaugure prenne sa source dans ces augures que l'on prenait avant de débuter une action ou de consacrer un homme ou un lieu. Etre capable de lire sinon l'avenir, en tout cas les signes que dans le ciel les dieux imprimeraient pour nous guider a évidemment quelque chose de magique sinon de miraculeux alors qu'il serait déjà tellement précieux de savoir lire notre passé, de savoir le correctement interpréter pour en tirer s'il était possible quelques leçons sur les pièges à éviter. Mais à en croire Hegel, nous ne tirons jamais aucune leçon du passé quand même parfois nous les eussions entrevues.

Curieuse année que celle qui vient de s'achever : seconde année d'une pandémie non encore achevée mais qui aura déjà bousculé nos vies, nos habitudes et le monde économique. Une année qui aura aussi, insidieusement, miné l’attachement éprouvé à l'égard de mon métier.

Une année qui s'ouvre qui est celle d'élections présidentielles qui me font me souvenir que ce fut bien, en 2011, ce qui me fit commencer mes chroniques et ne cesser de les tenir depuis. Année étrange parce que je sens l'intérêt pour la chose politique faiblir en moi - à la fois pour les odeurs putrides que la campagne supporte d'exhaler et pour cette faiblesse chronique de la gauche qui, pour la seconde fois, fera piètre figure de figurant anémié. Mais peut-être aussi, plus inquiétant pour moi, que la chose publique cessât de m'intéresser. Pourtant, il n'est de pensée que de quelque chose et j'y devine menacer comme un effritement de l'être.

Il me souvient qu'intérêt signifie d'abord en latin - interesse - être entre, présent, et par extension participer ou s’occuper de. Éprouver de l'intérêt pour quelque chose c'est, incruster entre soi et le monde, un désir, une volonté ; c'est créer du lien ; jouer les intermédiaires ; ne pas laisser trop se creuser la distance que la conscience insinue d'entre nous et le monde. Je le sais depuis longtemps - mais pas depuis toujours - combien ce qui maintient le lien avec le monde est affaire de désir certainement pas d'abstraction ; de passion certainement pas de raison. Que cette anémie du désir, qui peut prendre la forme du nihilisme - à quoi bon faire ceci ou penser cela puisque rien ne vaut rien ni surtout la peine qu'on y mettrait - est figure de mort.

Cette remarque de M Serres me revient également au sujet de la pauvreté de l'image par rapport au son renforçant de la sorte cette méfiance rationaliste à l'égard de la vue à la fois partielle et fallacieuse mais rajoutant que le propre de l'art était bien de n'offrir pas seulement notre regard sur le monde mais inversement quoique simultanément le regard que le monde porterait sur nous.

Pourquoi cette question ? Y mal voir, au point qu'écrire m'épuise, m'aura fait m'interroger sur l'importance et la valeur - l'intérêt, précisément - de ce regard porté. Le souci de photographier n'aura été qu'une réponse obvie : quitte à laisser un des interlocuteurs bégayer, offrir à l'autre, au monde, l'opportunité de poser son écot. C'est vrai, le premier nom de ce site avait été Regards et je l'avais en son temps voulu tel parce que j'ai toujours su que ni mes médiocres réflexions, ni mes opinions ni mes visées ne devaient avoir prétention à l'universel ; seulement le souci d'inciter l'autre à regarder à son tour, à réfléchir à son tour, à s'éreinter sans y parvenir jamais véritablement d'essayer de comprendre.

Ai-je tout dit de ce que je voulais transmettre au point qu'il fût préférable de se taire ? Je ne sais et m'entête seulement à espérer le contraire ne serait ce que pour se donner le courage de poursuivre le chemin.

Je sais cette année devoir être celle de la grande transition à laquelle on croit toujours s'être préparé mais que l'on voit pointer avec autant d'impatience que d'inquiétude signe qu'un métier, une profession, un travail - quel mot employer ? - demeure toujours plus qu'une seule source de revenus ou une occupation ; fut en tout cas aussi une manière d'esquiver la seule question qui vaille, métaphysique assurément, à laquelle il n'est jamais de réponse satisfaisante.

J'aurai beaucoup moins écrit dans la seconde moitié de l'année : affaire de vue autant que d'humeur à quoi je m'efforcerai de remédier.

Peut-être par des pages plus courtes, moins bavardes ?